L'UE cultive son ambiguïté calculée vis-à-vis de l’Ukraine
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Prune AntoineLe sommet UE-Ukraine s’est ouvert le 27 octobre, miné par les tensions énergétiques avec la Russie et l'instabilité du gouvernement de Viktor Iouchtchenko.
Le 27 octobre, le 10ème sommet UE-Ukraine s’est ouvert à Helsinki en Finlande. Si les dossiers de l'énergie, des visas et du commerce sont à l'ordre du jour, c'est surtout « un signe sur les perspectives européennes » que le président ukrainien Viktor Iouchtchenko attend pour l'ex-république soviétique.
Professeur polonais à l’Université autonome de Barcelone, Michal Natorski, spécialiste des relations internationales et des questions d’intégration, explique pourquoi l’Ukraine a ralenti sa marche vers une Union, qui d’après lui, « n’a pas fait suffisamment pour aider Ioutchenko à légitimer la Révolution orange. »
Qu’est-ce que l’Ukraine peut apporter à l’Union européenne ?
La perspective que Kiev intègre l’Union n’est pas envisageable avant 10 ou 15 ans. Quand bien même les réformes nécessaires seraient effectuées, de nombreuses interrogations subsistent. Une Union plongée en pleine crise institutionnelle n’est pas prête à aborder sérieusement la question de l’adhésion de l’Ukraine. Cela dit, cette intégration pourrait constituer une preuve de la viabilité de la « voie européenne vers la démocratisation », fondée sur l’expression de la volonté populaire. L’UE, de par son voisinage avec l’Ukraine, a la possibilité de confirmer sa crédibilité comme puissance normative internationale. En outre, la transition en Ukraine [d’un système semi autoritaire vers un système mixte parlementaire présidentiel] peut démentir la thèse selon laquelle dans les régions post-soviétiques ce sont les systèmes présidentiels autoritaires qui sont les plus efficaces
Nous avons assisté la semaine passée à une autre crise gouvernementale en Ukraine. Ce problème éloigne t-il le pays de l’OTAN et du chemin vers l’Union européenne ?
La crise gouvernementale en Ukraine dure en fait depuis le mois de septembre 2005, durant lequel le Président Viktor Iouchtchenko a obligé la Première ministre de l’époque Ioulia Tymochenko à démissionner. Depuis, le gouvernement central n’a plus obtenu de majorité parlementaire stable et les élections de mars 2006 [qui ont vu la victoire du rival de Iouchtchenko, Viktor Ianoukovitch] n’ont rien changé. L’absence d’un leadership clair rend difficile la mise en place de réformes susceptibles de rapprocher le pays des standards d’adhésion à l’UE comme à l’OTAN. La répartition des compétences entre le chef du gouvernement et le Président ukrainien impose de suivre une politique extérieure nette. Or aujourd’hui, il existe une rivalité entre deux centres de pouvoir pour savoir qui l’emportera à la tête de la politique étrangère. La situation est identique à la celle vécue par la Pologne en 1997, lorsque le chef de l’Etat avait le pouvoir de nommer –indépendamment des forces politiques de son gouvernement- son ministre des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur. En Ukraine, ce partage des compétences a servi, lors de l’arrivée au pouvoir de Léonid Kuchma, à maintenir une distance égale entre la Russie et l’Europe Occidentale. Ce schéma, au lieu de constituer une stratégie planifiée et voulue, est désormais la conséquence de rivalités politiques, brouillant les cartes et minant la crédibilité et le prestige acquis durant la Révolution orange.
Les relations poussées de Bruxelles avec Iouchtchenko ne rendent-elles pas la position de l’Union européenne ambiguë face à la Russie ?
Pour le bien des relations UE-Russie et UE-Ukraine, il faudrait que chacune se développe de manière indépendante. L’Ukraine ne doit absolument pas être traitée comme un Etat dépendant des relations avec un autre pays, même si celui-ci est aussi puissant que la Russie. Il est clair que Moscou a bien mieux digéré son échec à juguler la Révolution orange que l’Union européenne les conséquences de cette vague de libération. Depuis, la Russie a refaçonné sa politique extérieure, la fondant dorénavant sur son potentiel énergétique alors que l’Union est restée engluée dans sa crise institutionnelle, se concentrant sur l’adhésion de la Turquie. Les Vingt-Cinq ont tendance à se replier sur des questions internes.
Le sommet UE-Ukraine du 27 octobre se concentrera sur la problématique des visas attribués aux Ukrainiens et aux problème de l'immigration clandestine : n’y a t-il pas une volonté européenne de remettre en question le fonctionnement des instances policières ukrainiennes ?
Non. Les chefs d’Etat vont se concentrer sur la facilitation de l’attribution de visas aux citoyens ukrainiens désireux d’entrer dans l’espace Schengen. La Commission entend assortir tous ces accords sur les visas d’une clause de réadmission des immigrants clandestins. Même si l’Union européenne a mis en place un moratoire avec la Russie sur cette question. Néanmoins, ce qui effraie le plus Bruxelles ce ne sont pas les clandestins de pays tiers transitant par l’Ukraine mais les ressortissants ukrainiens eux-mêmes. L’Union applique une politique de visas bien plus stricte à l’égard de son voisin direct, l’Ukraine, que vis-à-vis des pays d’Amérique latine par exemple. Non, l’objectif de ce sommet bilatéral vise à une refonte des relations entre les deux parties : la conclusion d'un nouvel accord bilatéral entre Kiev et Bruxelles, censé remplacer l’actuel accord de coopération -qui doit expirer en 2008- est à l'ordre du jour. Cette négociation est d’une importance cruciale pour l’Ukraine eu égard à son aspiration à intégrer le club des Vingt-Cinq. Côté européen, le nouveau texte entend préserver l'ambiguïté calculée de Bruxelles, exigeant de Kiev une adaptation aux normes communautaires, sans pour autant lui offrir de perspective d’adhésion claire. L’Union n’envisage même pas de baptiser cette nouvelle relation ‘Accord d’association’, comme elle l’a fait avec Mexique et le Chili notamment.
Translated from Michal Natorski: La UE mantendrá su ambigüedad calculada con Ucrania