Luca Ragazzi et Gustav Hofer : « Nous racontons les six mois qui ont changé l’ Italie »
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Elise CompagnonLe couple, plusieurs fois primé pour le documentaire Improvvisamente l’inverno scorso sur les droits des homosexuels en Italie, revient sous les feux de la rampe avec Italy, love it or leave it : un voyage à bord d’une vieille Fiat 500, qui change de plaque d’immatriculation et de couleur, à la recherche de raisons pour ne pas quitter l’Italie.
Avant de partir pour Le Cap en Afrique du Sud, ils l’ont présenté à cafebabel.com.
Gustav Hofer vient de Sarentino dans le Haut Adige. Il a étudie à Vienne et à Londres. Depuis 13 ans, il vit à Rome où il est correspondant pour la chaine de télévision Arte. Luca Ragazzi est critique de cinéma. « Romain de Rome », il a également vécu aux Etats-Unis.
cafebabel.com : Avant ce documentaire, vous vouliez partir à l’étranger. Pourquoi ?
Luca : Nous avions reçu l’avis d’éviction de notre appartement à Rome, cela semblait un signe du destin: le moment de partir était arrivé, et Gustav insistait pour que l’on déménage à Berlin. Moi je n’arrivais pas à me faire à cette idée. Nous avons alors décidé de faire un grand voyage afin de se réconcilier avec notre pays. Un pays qui traverse un moment de grandes difficultés, un pays qui donne peu d’espoir aux jeunes mais un pays qui, en ce moment, voit la lumière au bout du tunnel.
Gustav : Depuis 13 ans que nous sommes ensemble, l’idée de partir nous a toujours accompagné. Nous pensions à l’Argentine mais la crise a bouleversé ce pays puis Barcelone, mais en Espagne aussi les choses ne vont pas pour le mieux. Au contraire, Berlin reste la ville symbole de l’Europe où les jeunes européens réussissent à réaliser leurs propres projets.
cafebabel.com: Où et quand a commencé votre voyage ?
Luca : Au départ, Gustav voulait me montrer que toutes les icônes qui avaient rendu l’Italie célèbre aux yeux du monde dorénavant ne valaient et ne signifiaient plus grand-chose. Nous sommes partis de Turin, où les ouvriers de Fiat au chômage technique ont du mal à boucler leur fin de mois, où la fabrique de la cafetière Bialetti a fermé. Puis nous sommes allés à Milan pour rencontrer les partisans de Berlusconi, à Rimini à la recherche du latin lover qui n’existe plus et où, au contraire, on consomme la plus grande quantité de viagra d'Italie. Le film raconte les six premiers mois de 2011 en Italie, et documente également des moments significatifs comme le référendum contre le nucléaire ou la victoire de Giuliano Pisapia, centre-gauche, à la mairie de Milan (fief de Berlusconi), ou encore le scandale des fêtes de Berlusconi.
cafebabel.com: Vous avez de la chance, vous avez dans les mains un documentaire sur les six mois qui ont changé l’Italie jusqu’à la démission de Berlusconi et au couronnement de Monti.
Luca : C’est vrai et sans l’avoir prévu. Nous sommes en avance sur ceux qui voudront raconter cette période. Nous parcourons le monde car partout, on veut savoir ce qui se passe en Italie. Le moment décisif pour moi reste la manifestation des femmes, « Se non ora, quando » (« Maintenant ou jamais »), quand des milliers de personnes sans appartenance politique sont descendues dans la rue en criant « Dimissioni, dimissioni ! » (« Démission, démission ! »).
Gustav : Durant ces derniers mois, il y a eu une prise de conscience collective. Les Italiens ne veulent plus subir passivement mais ils cherchent à être acteur du changement. Les gens ont compris que la situation est pire qu’avant, ils ont arrêté de céder aux flatteries et à la propagande véhiculée par les journaux télévisés. Et Internet a créé une cohésion au sein de l’opinion publique.
cafebabel.com: Dans la deuxième partie du film, l’Italie se rachète et vous convainc de rester : grâce à qui ?
Gustav : Le témoignage qui m’a le plus marqué est celui d’Ignazio Cutrò, un repenti sicilien, chef d’entreprise qui a dénoncé à plusieurs reprises la mafia et qui, pour toute réponse, a été mis à l’écart de la communauté locale. Aujourd’hui, il est continuellement menacé de l’incendie et de la destruction de ces machines. J’avais pensé qu’il aurait convaincu Luca de partir mais sa passion et son courage m’ont persuadé de rester.
Luca : De tous, l’écrivainAndrea Camilleri nous a dit les choses de manière tellement forte que cela nous a troublé. Toutes les histoires dans le sud ont été un tournant dans notre voyage : c’est comme si aujourd’hui l’Italie connue à travers le monde, se trouve uniquement au sud car le nord, riche et à la recherche constante du progrès, n’a su produire ces vingt dernières années que Comunione et Liberazione (réseau de lobbying d’inspiration catholique, ndlr), la Ligue du Nord et Berlusconi.
cafebabel.com: Maintenant que Berlusconi est tombé, ce documentaire ne devrait plus avoir de sens ?
Gustav : Bien sur que si. La mentalité des Italiens ne changera pas facilement. Le problème n’est pas Berlusconi mais le berlusconisme, un système de valeurs négatives qui a étouffé des mots comme éthique et déontologie, concepts que les Italiens ont besoin de retrouver. Le sens du film est de raconter des histoires d’Italiens qui cherchent à changer les choses et que nous proposons comme des modèles à suivre.
Luca : Les Italiens se lamentent facilement de tout, mais ils sont paresseux quand il s’agit de se retrousser les manches pour changer les choses. C’est ce comportement qui doit changer. Les personnes que nous avons rencontrées n’ont pas attendu que le miracle tombe du ciel mais ils ont commencé à changer des choses dans leur vie quotidienne.
cafebabel.com: La conclusion du film est explicite: « La vie est trop courte pour ne pas être italiens ». Qu’est ce qui vous manque le plus de l’Italie et des Italiens quand vous êtes à l’étranger ?
Gustav : La passion... (Luca l’interrompt) : le caractère passionnel tu veux dire... le fait que les Italiens sont toujours plus excessifs que les autres quoiqu’ils fassent, comme s’ils amplifiaient tout. A l’étranger, on a toujours l’impression que les gens ont pris un coup sur la tête et qu’ils se contrôlent trop. En Italie, on est plus colorés et plus drôles. Et puis l’autre qualité des Italiens, c’est leur élasticité mentale, la faculté de faire en sorte que tout le monde rentre chez soi heureux, au-delà de la dureté des lois et de la rigidité des règles. En ce qui concerne le climat, la nourriture, la beauté… les Italiens y sont habitués mais quand ils commencent à être en manque, ils sont en crise. Avec ce film, nous voulons les inviter à regarder le verre à moitié vide.
Le documentaire sera retransmis sur la chaine franco-allemande Artele dimanche 27 novembre. Cliquer ici pour le programme des projections en Italie et dans le monde.
Toutes les photos : courtoisie de © Italy, love it ore leave it
Translated from Luca Ragazzi e Gustav Hofer: "Raccontiamo i sei mesi che hanno cambiato l'Italia"