Louis De Gouyon Matignon : l'Europe Tsigane
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Engagé depuis plusieurs années aux côtés des gens du voyage, Louis de Gouyon Matignon, n’a pas froid aux yeux. Déjà remarqué pour ses prises de positions politiques et son franc-parler, il lance à 22 ans son premier parti politique à l’occasion des élections européennes. Rencontre.
Dans les allées de la Foire du Trône, la fête foraine annuelle de Paris, Louis de Gouyon Matignon marche d’un pas assuré. Affable et souriant, il s’exprime à toute vitesse, comme s’il ne doutait jamais de la direction. Quelques jours plus tôt, en présence d’une trentaine de personnes, c’est dans une buvette-baraquement ici-même qu’il a lancé son parti, le Parti Européen, pour lequel il est tête de liste en Ile-de-France. Un parti qu'il ne revendique ni de droite, ni de gauche. « Je me sens parfois proche des Verts, parfois proche des centristes. Mais je ne suis d'aucun bord ». Sa gestuelle évoque un curieux mélange entre l’homme politique et le méridional, qui tranche avec son visage sage de blond aux yeux bleus. Avec son costume sombre sur son col ouvert et sa chevalière dorée, sans connaître son parcours et son tempérament, on pourrait croire à une caricature. Mais ça serait se méprendre sur le personnage !
Agitation et médiatisation
Surnommé « l’avocat des tsiganes », il côtoie les communautés manouches depuis l’âge de 16 ans. Même s'il n'est encore pour l'instant qu'étudiant en droit, il n’a pas attendu son inscription au barreau pour défendre la cause des gens du voyage. Président de l’Association de Défense de la Culture Tsigane depuis deux ans, il investit la scène médiatique avec fougue en alternant tribunes dans la presse nationale et actions en justice. Habitué des plateaux télé et des chaînes de radio, il est suivi depuis plusieurs mois par une équipe d’Arte qui lui consacre un portrait. Si Louis Gouyon de Matignon a l’air débordé, c’est qu’il l’est ! En plus de ses études et de son association, il a travaillé comme attaché parlementaire d’un sénateur UMP (avant de se faire remercier, suite à ses prises de position) et participe à de nombreux rassemblements et événements de la communauté des gens du voyage. Tout cela quand il n'est pas en train de faire la promotion des livres qu’il a écrit, dont un dictionnaire et une méthode d’apprentissage du dialecte sinté. Depuis un mois, le voilà désormais engagé dans sa première campagne politique, tractant dès que possible après les cours !
Gadjo grâce à Django
Malgré cet emploi du temps de ministre, le jeune homme prend le temps de l’interview, parlant de tous les sujets avec aisance. Parce qu’il a des choses à revendiquer, et parce qu’il sait que malgré une certaine médiatisation, sa voix reste peu entendue. Il confie : « il ne se passe rien sur le plan politique en France, alors qu’il y a des choses à faire ! Je suis déçu de la classe politique et je m’étonne que les Français ne fassent pas la Révolution. C’est vrai qu’il n’y a pas encore de grands conflits sociaux, mais sur le plan politique c’est le vide total ! ».
Sa politisation à lui a évolué auprès des Tsiganes. Fils d'une noble famille française, rien ne le prédestinait à passer ses weekends au milieu des caravanes. Il a suffi d'un disque de Django Reinhardt pour que naisse une passion pour la guitare manouche. Par la musique, il découvre le mode de vie des gens du voyage, leur religion et leurs problèmes. Conquis, le garçon a ensuite la verve suffisante pour se faire accepter de la communauté et le culot d'en devenir le porte-parole (il s'est adressé récemment au Président français pour demander l'abrogation du livret de circulation qui contraint les « itinérants » à s'enregistrer régulièrement auprès des autorités). Il faut dire qu'il ne fait pas les choses à moitié. Il apprend le dialecte sinté et participe aux immenses rassemblements religieux annuels, tout en officiant sur une radio protestante. Avec l'association qu'il fonde, il donne une légalité à son nouveau combat : défendre cette culture et combattre les discriminations qui touchent les Tsiganes. Progressivement, il se donne aussi une crédibilité lorsque, par exemple, il porte plainte en justice contre un ancien ministre qui s'en prend verbalement aux Roms.
« On incarne le rêve et l'espoir, ça emmerde les vieux »
Son engagement associatif se transforme logiquement en engagement politique. Le Parti européen, c’est son idée et c’est lui qui l’incarne. Il ne cache pas que c’est grâce à son parcours et à sa personnalité qu’il a réussi à convaincre 17 jeunes de participer à sa liste. Avec une moyenne d’âge de 23 ans, il peut ainsi revendiquer avoir la plus jeune liste pour les Européennes.
Mais pourquoi s’engager dans un nouveau combat pour l’Europe ? « C’est grâce à la question tsigane et par extension celles des Roms, que j’ai compris l’Europe. Je pense qu’il nous faut une Europe sociale, solidaire et démocratique. De toute façon, si tu connais un peu l’histoire, l’Europe on est dedans et on va dedans. Donc autant bien la faire ! » Dans son programme, il souhaite notamment la création d'une carte européenne d'identité et une nouvelle constitution, afin de « doter l’Europe d’une vraie identité et d'harmoniser le territoire ». Que cela soit dans les domaines de la santé, de l'éducation ou de la politique extérieure, « la convergence des politiques européennes doit se poursuivre », pense-t-il. Celui qui avoue avoir de l'estime pour Daniel Cohn-Bendit ajoute aussi : « l'écologie doit être au coeur des priorités de l'UE ».
Pour lui, les Pères de l’Europe de l’après-guerre ont réussi à faire rêver une génération, même si l’enthousiasme est retombé. Il croit dur comme fer que les jeunes peuvent redonner un avenir à l’Europe : « les gens ne se sentent pas emportés, ils n’y croient pas. Il faut redonner un rêve à la jeunesse et ce rêve c’est l’Europe ! » Pourrait-il être celui qui peut faire rêver sa génération?Pourra-t-il faire rêver toute une génération ? Louis ne doute pas en tout cas d’être pris au sérieux, malgré ses 22 ans. Sa jeunesse, il la voit comme une arme. « Moi je suis mon instinct. Parfois ça me sert, parfois ça me dessert. Mais surtout, ça emmerde les vieux. On incarne le rêve et l’espoir. On y croit plus quand on est jeune ! » Volontaire et enthousiaste, il n’en est pas moins réaliste. Il sait qu’il a peu de chance de siéger à Strasbourg cette fois-ci. Mais il ne lâchera pas pour autant ses combats.
Bibliographie de Louis de Gouyon Matignon :
Dictionnaire tsigane. Dialecte des Sínté. L'harmattan 2012.
Gens du voyage, je vous aime. Michalon Éditeur 2013.