L'OTAN, frein à l'Europe de la défense ?
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Disparue depuis 2005, la question de la Défense européenne est de retour au cœur de l’agenda européen et, sous impulsion française, a été portée à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013.
Le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013 n’a pas suscité l’engouement des grands rendez-vous de l’Europe. Les questions de défense ne concernent pas ou peu l’Union européenne. L’Union bancaire s’est d’ailleurs invitée au centre des débats, si bien que la composante Défense semble avoir été reléguée au second plan. Il est pour autant intéressant de constater que le Conseil européen n’a pas été un échec sur les questions de défense. Il a permis d’en discerner les possibles évolutions à venir.
Si l'Union europénne ne disposera pas d’une armée commune et que les forces armées des Etats membres ne seront pas engagées sous un Etat Major européen, que les sceptiques se rassurent : ce n’était pas son idée. Si l’Etat Nation prime toujours pour les questions de défense, à l’heure des menaces communes, il a été (une nouvelle fois) reconnu que l’Union fait la force et que la coopération devait être augmentée entre les Etats. Quid de l’OTAN au sein de cette dynamique. Pouvons-nous penser que l’Alliance soit (encore) un frein à l’Europe de la Défense ?
OTAN / UE : vers un partenariat autonome ?
Pour le Président Hollande, la question de l’OTAN « aurait pu nous diviser », et ceci était la « crainte de certains qu’une autonomie stratégique puisse signifier un éloignement ». Du point de vue de la France, un développement des capacités de défense de l’Europe n’est pas contradictoire avec l’OTAN, mais s’y ajoute. François Hollande a par ailleurs rappelé la place entière de la France au sein de l’Alliance. Si un désengagement de l'OTAN au profit de l’Union européenne n’est pas envisagé, la relation entre les deux acteurs est pour autant définie dans les Conclusions du Conseil. Les opérations de l’UE et de l’OTAN sont considérées comme autonomes[1] , l’OTAN étant un partenaire de l’Europe, au même titre que les Nations Unies[2].
Le verbatim de David Cameron va plus loin en rappelant que l’OTAN « doit rester la première organisation encadrant les interventions sur le terrain ». Guère étonnant au regard du positionnement historique du Royaume Uni. Un outil de défense développé hors OTAN pourrait être utilisé hors cadre d’une coopération avec les Etats Unis, ce qui est inenvisageable Outre-manche. Leurs systèmes militaires sont imbriqués et, depuis la crise de Suez en 1956, aucune intervention anglo-saxonne n'a vu le jour sans engagement américain en parallèle. David Cameron s’inscrit dans la tradition anglaise, et ne peut dans tous les cas réagir autrement du fait de l’hostilité de son opinion publique et de la Chambre des Communes à toute intervention extérieure[3], voire plus largement à toute tentative d’européanisation. Cependant, si la position anglaise s’inscrit dans la continuité, elle ne va pourtant pas à l’encontre de l’Europe de la défense et comporte des subtilités.
Un développement bilatéral entre la France et le Royaume Uni
François Hollande a rappelé que la France augmente ses relations bilatérales avec le Royaume Uni. Les français et les anglais apparaissent en harmonie sur cette idée car, le 20 décembre, David Cameron s’est prononcé en faveur d’un rapprochement avec la France dans le cadre d’opérations bilatérales. Si nous ne sommes pas dans une logique d’intégration européenne classique, le Royaume Uni s’engage dans une coopération avec la France, qui elle même s’engage pour plus d’Europe de la défense. Ce développement de relations bilatérales est un signe important car il s’agit des deux puissances nucléaires de l’Europe, leur relation constitue et renforce la capacité de dissuasion de l’UE toute entière. Il ressort de ce Conseil que les deux acteurs s’harmonisent davantage sur la solution bilatérale comme soutient au développement de leur capacité de défense. Une coopération renforcée constituerait par ailleurs une véritable opportunité d’économies de moyen.
Pourquoi l’OTAN a-t-il besoin de l’Europe ?
Certains pays de l’UE ne sont pas membre de l'Alliance Atlantique et, réciproquement (28 pour l’UE, 28 pour l’OTAN). L’autonomie respective de l’UE et de l’OTAN, si elle se doit d’être rappelée, est une autonomie de fait car les deux compositions ne sont pas identiques. Les mêmes acteurs ne sont pas engagés. Pour Anders Fogh Rasmussen, « le moment est venu d’agir » pour l'Europe car les Etats Unis pourraient bientôt se demander pourquoi est-ce qu’ils assureraient la défense européenne, le risque étant alors que les Etats Unis et l’Europe s’éloignent l’un de l’autre : « Aucun d’entre nous ne le souhaite. Et cela ne serait ni dans notre intérêt ni dans celui du reste du monde. » La menace d’un éloignement de l’allié américain semble ici expliqué par un désintérêt de l'UE pour sa propre défense. Moins polémique, ce discours permet d'éviter de parler des changements stratégiques américain qui les tournent aujourd’hui davantage vers l’Asie et le Pacifique. A l’heure où les agendas ne coïncident plus [4], l’Europe de la défense devient une urgente nécessité.
L’Europe prend conscience de ses lacunes
L’Europe s’inscrit dans une démarche davantage réaliste car elle a eu pu identifier et faire face à ses faiblesses au cours des conflits qui ont impliqués certains de ses Etats membres au cours des trois dernières années (Lybie, Mali, RCA). Des lacunes se sont matérialisées notamment concernant les capacités de transports (inadaptées au transport lourd), de ravitaillement (insuffisantes), ou encore de mise en place d’un système de commandement intégré (en Lybie notamment). Dans une période de désengagement de l’allié outre-Atlantique en Europe, il apparaît de manière concrète aux européens que l’assurance de pouvoir agir seuls et sans un recours américain dans des crises à leurs frontières, devra à terme être possible. L’OTAN soutient cette dynamique car une Europe forte signifiera un OTAN fort, tout comme à l’inverse une Europe faible le desservira. Rasmussen parle « du besoin qu’ont les nations européennes d’acquérir ces capacités de défense qui leur font défaut ». Nous pouvons également parler du besoin qu’a l’OTAN de palier au désengagement américain afin de rester une force de dissuasion crédible, aux capacités réelles et effectives.
Perspectives
L'Europe de la défense se développe donc, suivant une logique de « petits pas » dans un cadre à géométrie variable, intégrant du bilatéral. Affirmer que l'OTAN n’est pas (ou plus) un frein à l’Europe de la défense serait pêcher par excès d'optimisme, mais nous faisons face à reconfiguration stratégique. Les Etats réalisent que l’outil national de chaque Nation ne sera pas suffisant face aux nouveaux enjeux, et pourraient faire le choix du rapprochement européen, sous différentes formes et dans différents domaines (cyber sécurité, terrorisme...).
[1] « La PSDC continuera à se développer en pleine complémentarité avec l'OTAN dans le cadre agréé du partenariat stratégique entre l'UE et l'OTAN et dans le respect de leur autonomie de décision et de leurs procédures respectives. » Conclusions du Conseil européen, Titre I Paragraphe 2
[2] « L'UE et ses États membres doivent assumer davantage de responsabilités face à cette situation difficile s'ils veulent contribuer au maintien de la paix et de la sécurité dans le cadre de la PSDC en coopération avec les principaux partenaires, tels que les Nations unies et l'OTAN. » Conclusions du Conseil européen, , Titre I Paragraphe 2
« La mutualisation de la demande, la consolidation des exigences et la réalisation d'économies d'échelle permettront aux États membres d'utiliser plus efficacement les ressources disponibles et de garantir l'interopérabilité, y compris avec les principales organisations partenaires telles que l'OTAN. » Titre I, Section b, Paragraphe 10
[3] Rejet de la Chambre des communes le 29 août 2013 d’une motion présentée par le Premier ministre David Cameron, défendant le principe d'une intervention militaire en Syrie.
[4] Depuis mai 2010, les Etats-Unis se fixent désormais comme objectif prioritaire de construire des partenariats avec les puissances émergentes