Lorenzo Mattotti: «Garder la tête très ouverte»
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Le dessinateur de BD aux couleurs flamboyantes raconte sa vie entre la France et l’Italie. Car il n’y a pas que Tintin à Bruxelles, et Titeuf à Angoulême. Rencontre avec le chantre d’une BD plus « sensée ».
Au détour d’une exposition, une boîte de tubes de couleurs à la main et ses petites lunettes fichées sur le nez, concentré sur les mouvements de ses mains et visiblement aspiré par la création, j’ai rencontré Lorenzo Mattotti, un grand maître de la bande dessinée italienne, convié à tous les festivals de la Grande botte.
Même s’il a quitté la péninsule pour s’installer en France, à Paris, le style incontournable de Lorenzo Mattoti, une explosion de couleurs et de poésie, ne trahit pas ses racines. Sur ses planches, les courbes des collines de Toscane et le bleu profond de la mer des plages de Calabre se dessinent. Ces couleurs et ces formes sont celles de la tradition picturale italienne, selon Lorenzo Mattotti lui-même. « Je crois que tout cela vient de mon amour pour la lumière, et de mon admiration pour les peintres italiens, raconte-t-il d’une voix douce, un peu timide. Je les emmène partout avec moi, ce sont des couleurs très cérébrales, très intérieures. »
BD pour sans papiers
Vivre à l’étranger, « c’était aussi pour changer d’atmosphère, voir ce que voulait dire ailleurs, toucher de nouvelles cultures. Ma tête, elle, est toujours en Italie », décrit l’illustrateur de 54 ans. Il y a neuf ans, encouragé par un grand succès critique en France et en Europe, il quitte la péninsule et devient un très célèbre auteur de BD sur le continent. Ces ouvrages sont d’ailleurs publiés dans le monde entier. Pourtant, il ne cesse de revenir dans son pays d’origine.
Cette vie d’immigré, déracinée, l’a sans doute inspiré car il prête ses crayons et ses pinceaux à une BD manifeste intitulée Paroles Sans Papiers. Un album qui raconte des histoires d’immigrés clandestins en route vers l’Europe. Pour raconter cette histoire, Mattotti avait choisi le noir et blanc parce qu’il y « trouve un rapport presque plus direct entre l’idée, l’image et ses couleurs. »
Car pour Lorenzo Mattotti, l’histoire et l’image sont indissociables. L’une comme l’autre ne doivent pas avoir peur d’être profondes. « On a toujours peur de la profondeur dans la bande dessinée, des choses sérieuses et dramatiques, estime-t-il. Il faudrait toujours être ironique. La bande dessinée réservée à un public exclusivement jeune, cela n’existe plus. Mais aujourd’hui ce format gagne des territoires et des publics différents. Désormais, les lecteurs sont adultes. C’est cela qui a fait évoluer notre travail, poursuit-il. Quand on a cinquante ans et qu’on aime la bande dessinée on ne s’intéresse plus seulement à des histoires d’adolescents on voudrait toucher autre chose. Et aujourd’hui, il manque ce genre d’histoires. »
Lorenzo Mattotti déroute son lecteur, il bouscule les cadres traditionnels de la bande dessinée. De là, il change de mode d’expression et de supports, allant de l’illustration au cinéma d’animation. Il travaille aussi dans le domaine de la mode et pour la revue Vanity, en redessinant les modèles des plus grands couturiers. Ou dans la presse où il dessine les couvertures de revues pour The New Yorker, Le Monde ou le Suddeutsche Zeitung. C’est grâce à la BD que Mattoti a pu explorer d’autres territoires. Ainsi, le dessinateur prend congé, l’air un peu mélancolique : « Je n’ai pas de frontières dans ma tête. Je ne me donne pas de limites, j’aime garder la tête très ouverte. »