Londres : le festival de Khan
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Beaucoup (trop) ont résumé le personnage à sa religion musulmane et ses origines modestes. Pourtant, en gagnant la capitale britannique, Sadiq Khan pourrait bien se placer sur le toit du pays comme tout le monde : en cultivant un gros appétit politique et en montrant les dents.
« Nous avons de multiples identités : je suis Londonien, je suis Britannique, je suis Anglais, je suis d’origine asiatique, d’héritage pakistanais, je suis un père, je suis un mari, je suis un fan absolu de Liverpool, je suis membre du Labour, je suis Fabian (un think tank et un club politique anglais de centre gauche, créé en 1884, ndlr) et je suis musulman. » C’est dans une tirade proche de l’anaphore que Sadiq Khan a décidé de se présenter en tant que nouveau maire de Londres, et successeur du célèbre Boris Johnson. Mais Khan - « le maire de tous les Londoniens » - aurait pu ajouter qu’il était travailliste, avocat de formation spécialisé dans la défense des droits de l’homme et fils d’un couple d’émigrés pakistanais (son père était chauffeur de bus et sa mère couturière, ndlr).
L’école de la vie
Né à Tooting dans la banlieue sud de Londres, Khan a grandi dans une Council House (HLM britannique). Durant son enfance, il est vite confronté au racisme ordinaire et à des attaques sur sa religion. Une stigmatisation dont il a également été victime tout au long de sa campagne pour l’accession à la mairie. Cependant, son enfance populaire lui aurait cette fois-ci permise d’écrire une histoire inédite. Son élection éclatante, fort du soutien de 1,3 million d'électeurs, fait de lui le politicien élu au suffrage universel ayant reçu le plus de votes jamais enregistrés au Royaume-Uni. Reconnaissant, Khan adressera donc ses premiers mots à une ville qui a décidé de lui associer son destin : « Merci Londres. Londres est la ville la plus formidable du monde. Je suis tellement fier de notre ville. Je suis profondément honoré par l'espoir et la confiance que vous avez placés en moi ».
Un début en fanfare, bien lesté par un fait inédit : Sadiq Khan est et restera comme le premier maire musulman de Londres. Cela dit, le nouvel édile de 45 ans devra vite répondre aux responsabilités qui pèsent sur sa fonction. Demain, c'est confronté à ces difficultés qu'on mesurera s’il est vraiment l'incarnation du Londonien moderne ambitieux, à l'aise avec l'identité multiculturelle de sa ville et de son positionnement dans le monde.
Khan « le prolo »
Les médias européens, eux, ont d’ores et déjà commencé à tailler le nouvel élu dans le futur. Tous adoptent une vision assez différente de cette élection. En France, aux Pays-Bas, en Allemagne ou encore en Suisse, il est systématiquement fait référence à la religion de Khan et à l'image du Pakistan comme terre de fondamentalisme musulman. Metronews titrait : « Sadiq Khan, fils d’immigrés prolos et maire de Londres ». Aux Pays-Bas, où la deuxième ville du pays, Rotterdam, est dirigée par un musulman depuis 2008, la question de la religion se pose aussi. Le très sérieux NRC Handelsblad opposait « le millionnaire vert » (son adversaire le conservateur Zac Goldsmith, ndlr) au « musulman de gauche ».
Loin de cette représentation, le Royaume-Uni voit plutôt le symbole d'une réussite académique à saluer. Et l'élection de Sadiq Khan devient alors un moment charnière dans la vie politique britannique, comme l'accession des émigrés issus de l'Empire aux fonctions clefs de la société. David Lammy, député travailliste de Tottenham abonde : « Si un jour nous avons un premier ministre de couleur, nous le devrons à ce que Sadiq Khan aura accompli ».
Sous les toits de Londres
Pour l’instant, ce que Sadiq Khan a accompli tient surtout en un plan : le « Home for Londoners », son programme phare qui entend répondre à la première préoccupation de ses électeurs : le logement. Pour faire de « la capitale la plus chère d’Europe » un endroit moins étroit et plus accessible, le nouveau maire de Londres compte quadrupler le nombre de logements dits abordables en « mettant à genoux les promoteurs cupides ». Ensuite, le nouveau représentant compte mettre en place une agence immobilière à but non-lucratif afin d’aider les « bons propriétaires » à se sortir des griffes des agences commerciales. Les propriétaires utilisant ce label de qualité pourraient ainsi se différencier de ce qu’il appelle « les voyous ordinaires de l’immobilier ». Enfin, Khan souhaite réserver, 6 mois durant après la construction, la vente des logements au marché local. « Cela n'a aucun sens de construire des maisons, si elles sont seulement achetées par des investisseurs du Moyen-Orient ou d'Asie, clame-t-il. Je ne veux pas que nos logements restent vides. Je ne veux pas que l'on devienne la capitale mondiale du blanchiment d'argent. Je veux donner la priorité aux Londoniens », envoie-t-il.
Particulièrement sous la lumière l’été dernier, lorsqu’il a soutenu la nomination de Jeremy Corbyn dans la course à la présidence du Labour, préférant ensuite voter pour son adversaire, Khan a surfé sur la « Corbymania » pour s’attirer la sympathie de la gauche du parti. Dès l’instant où il s’impose comme candidat travailliste pour Londres, il se distance de Corbyn, tournant ses attaques contre l’image « anti-Juifs » du parti ou le fait que le nouveau n°1 des Travaillistes a refusé de chanter l’hymne national, « God Save the Queen ». « Ce n’est pas très avisé de sa part, surtout lorsque l’on essaye de devenir premier ministre », fustigeait-il.
Le spot de campagne de Sadiq Khan.
Car en plus de passionner les foules, Sadiq Khan dévoile de plus en plus un appétit pour la bataille politique. Celui qui témoigne des manœuvres ou des prises de positions éphémères de ceux ou celles prêts à tout pour plaire, en montrant les dents. Celui, surtout, qui permet à tous les électeurs de projeter en lui l’image d’un leader. Récemment, un député travailliste le comparait même à Richard Nixon dans le Financial Times : « Il est peu scrupuleux, mais je ne l’entends pas dans un sens négatif. Je le vois comme Nixon, le premier des politiciens peu scrupuleux des temps modernes, inconnaissable, et très performant électoralement. » Alors, Mr Khan, « serez-vous bientôt 10 Downing Street » ?
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