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LONDRES : L'APPEL IRRÉSISTIBLE ?

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Voici Pierre, un ami d'en­fance. Il est parti à Londres voilà 5 ans. Et c'est là-bas que je l'ai revu, après 10 ans de si­lence radio. Comme quoi, les voyages forment la jeu­nesse et la réunissent aussi. C'est parce qu'on y a trouvé du travail que nos chemins se sont croisés. Des chemins que beaucoup de nos compatriotes suivent aujourd'hui.

Pierre, dis-nous tout, qu’est-ce qui t’a amené à Londres ?

Je ve­nais de finir mes études dans l’au­dio­vi­suel à Paris, quand j’ai sou­dain eu le be­soin de prendre l’air. Il y a une étrange pres­sion so­ciale en France de tout en­chaî­ner : après le lycée la fac, après la fac trou­ver un tra­vail, après avoir trouvé un tra­vail se poser… Faire une pause, es­sayer dif­fé­rentes choses, par­tir à l’aven­ture, c’est mal perçu et ça peut sur­tout dé­cou­ra­ger. Ou du moins c’était mon im­pres­sion. Sauf qu’à 19 ans avec un BTS en poche et le sen­ti­ment de n’avoir rien vu ni vécu, à l’ex­cep­tion de l’école, la der­nière chose dont j’avais envie c’était d’en­chaî­ner avec des études plus longues, puis un bou­lot… Pour­tant il me sem­blait que c’était la seule op­tion, et les gens le fai­saient au­tour de moi, mé­ca­ni­que­ment, et ça leur conve­nait. Pour­quoi pas moi ? Après un été de pe­tits jobs et de voyages (fes­ti­val d’Avi­gnon, Ve­nise, road trip dans les Landes) et après avoir ren­con­tré des gens aux choix de vie di­vers et va­riés, j’ai sou­dain réa­lisé quelque chose d’évident et pour­tant de si loin­tain : je pou­vais aussi faire ce qui me plai­sait, tout sim­ple­ment. Je n’avais pas be­soin de mo­dèle. Faire une année de pause dans ma car­rière n’était pas for­cé­ment une mau­vaise chose. Ayant tou­jours voulu par­ler cou­ram­ment l’an­glais et ayant tou­jours été fas­ciné par la mu­sique bri­tan­nique, j’ai donc pris mon sac à dos et j'ai dé­cidé de par­tir à Londres un an.

Pour­quoi es-tu resté ?

Très ra­pi­de­ment j’ai réa­lisé quelque chose d’as­sez fort et de trau­ma­ti­sant à la fois. Cette nou­velle ville était de­ve­nue ma ville en seule­ment quelques mois, bien plus que Paris en deux ans de vécu et bien plus qu’An­gou­lême, la ville de mon en­fance. C’est un sen­ti­ment étrange que d’ar­ri­ver dans un en­droit in­connu et d’avoir pour­tant l’im­pres­sion de ren­trer chez soi. Il y a une éner­gie à Londres que je n’avais ja­mais res­senti avant, un mé­lange de po­si­ti­vité et d’ou­ver­ture d'es­prit, une cé­lé­bra­tion de la di­ver­sité et de l’au­dace. A Paris, on te dé­vi­sage dans la rue si tu portes quelque chose qui sort un tout petit peu de la norme, et on te mé­prise en so­ciété si tu n’as pas vu le der­nier film de bla­bla­bla. Il y a des codes à res­pec­ter. Je me sou­viens en­core lors de ma pre­mière année à Londres, j’avais un mo­hi­can, pas une crête de punk toute sale, non, sim­ple­ment les che­veux rasés à l’ex­cep­tion d’une bande de che­veux au mi­lieu du crâne d’en­vi­ron 10cm qui 

 flot­tait au vent. Je suis ren­tré à Paris pour un week-end, je te laisse ima­gi­ner les re­gards dans la rue. À la FNAC, la sé­cu­rité m’ar­rête à la sor­tie pour vé­ri­fier mon sac. Puis au ci­néma des Halles, j’at­ten­dais un ami pour voir un film, un agent de la sé­cu­rité vient me de­man­der de ne pas m’as­soir et de bou­ger de là. Je lui montre mes billets, rien n’y fait, quel­qu’un comme moi doit res­ter de­bout ou en mou­ve­ment, assis je donne une mau­vaise im­pres­sion du lieu. Le lundi je suis ren­tré à Londres et je m’ar­rête au su­per­mar­ché en che­min pour m’ache­ter à man­ger. Dans l’un des rayons, une pe­tite grand-mère m’in­ter­pelle. « Pour­riez-vous at­tra­per le pa­quet sur la der­nière éta­gère et le mettre dans mon sac ? C’est trop haut pour moi. » En­ough said! Je pense que cette his­toire est un peu une pa­ra­bole. J’ai trouvé à Londres un en­droit où je pou­vais être com­plè­te­ment moi-même sans être ques­tionné ou avoir be­soin de me jus­ti­fier et sur­tout où tout le monde s’en fout !

L’Angleterre est la deuxième destination d’expatriation des Français. A ton avis, pourquoi sont-ils partis ?

La liste des raisons peut-être longue. Je les classerais en deux catégories, les raisons personnelles et celles liées au travail. Je pense que de plus en plus de gens sont séduits par des carrières internationales, travailler sur plusieurs continents a la fois, et l’économie globale s’y prête assez bien. Et puis Londres est la ville parfaite pour ça, tout le monde parle anglais, il y a de forts liens avec les USA, les relations internationales y sont propices et les gens viennent de partout pour y travailler. Et puis il y a ceux qui le font pour des raisons personnelles, pour quitter la France ou parce qu'ils ont un intérêt personnel à vouloir vivre ici. Je ne me suis jamais senti chez moi en France et la culture anglaise, en particulier la musique, m’avait toujours attiré. C’est comme ça que je suis arrivé ici. Au debut temporairement, puis je me suis installé pour de bon.

Ra­conte-nous tes voyages en Eu­rope.

Il y en a trop, ça pren­drait des heures ! Pour moi voya­ger ce n’est pas seule­ment voir de nou­veaux pay­sages, c’est quelque chose de pro­fond. Vivre dans un pays dif­fé­rent du sien est chose fas­ci­nante. Sou­dai­ne­ment les bases qui font qui on est sont re­mises en ques­tion : la langue est dif­fé­rente, les cou­tumes sont dif­fé­rentes, les men­ta­li­tés, les règles, les bonnes ma­nières… C’est per­tur­bant de se ré­veiller un matin et de sen­tir une odeur de viande dans la cui­sine, car le petit dé­jeu­ner est ma­jo­ri­tai­re­ment salé en An­gle­terre.  Ça pa­rait idiot, mais on est forcé de re­mettre en cause beau­coup d’au­to­ma­tismes et de se dire par exemple « qu’est-ce que MOI j’aime le matin ? » au lieu d’ache­ter des cé­réales et du lait. De la même façon, les Fran­çais aiment se plaindre, et en France ce n’est pas mal vu. Ici ça l’est. On doit donc faire at­ten­tion à ne pas pas­ser pour le râ­leur de ser­vice, alors qu’en France per­sonne ne s’en ren­drait compte. C’est ça que je re­cherche quand je voyage, pas­ser du temps dans un en­vi­ron­ne­ment où les gens ont des au­to­ma­tismes dif­fé­rents des miens et qui me font dire : « Ah mais oui, je pour­rais faire comme ça aussi, ça se­rait peut-être mieux ». 

Com­ment tes voyages t’ont-ils in­fluencé au quo­ti­dien ?

Clai­re­ment mes voyages m’ont per­mis de m’ou­vrir 

l’es­prit. Quand on vit dans son petit quar­tier sans trop bou­ger on a ten­dance à juger les gens du quar­tier d’à côté. Quand on est mis au mi­lieu d’une com­mu­nauté com­plè­te­ment dif­fé­rente, on se met à com­prendre le pour­quoi du com­ment. On ap­prend à la res­pec­ter, voire à la cé­lé­brer. La dif­fé­rence cultu­relle est une ri­chesse énorme  pour soi et pour au­trui. Nous de­vrions tous pas­ser quelques mois en plein mi­lieu d’une culture op­po­sée à la nôtre. Nous se­rions tous beau­coup plus ou­verts et res­pec­tueux, au lieu d’avoir le ré­flexe, mal­gré tout le plus hu­main du monde, qui est de dire : « Ma ma­nière de faire est la meilleure ». Et cela sans même se rendre compte que sou­vent cette ma­nière de faire ne vient pas de nous mais de ce que nos pa­rents ou notre en­vi­ron­ne­ment nous a dicté.

De quelle na­tio­na­lité te consi­dères-tu ? On res­sent chez toi une envie de dé­pas­ser les normes, non ? 

Si je de­vais vrai­ment choi­sir une na­tio­na­lité ce se­rait eu­ro­péen. Même si le concept de na­tio­na­lité ne veut pas dire grand-chose pour moi. Je suis Fran­çais car j’ai été édu­qué en France, ça se li­mite à ça. Je ne suis pas An­glais car Londres ne re­pré­sente pas l’An­gle­terre et que jus­te­ment ce qui me plaît dans cette ville c’est son cos­mo­po­li­tisme. Il en va de même pour ma fa­mille, je ne consi­dère pas que j'ap­par­tiens à un groupe de per­sonnes seule­ment parce qu'on par­tage des an­cêtres com­muns. On dit sou­vent : on choi­sit ses amis, pas sa fa­mille. Pour moi c’est l’in­verse, j’ai choisi mes amis et j’en ai fait ma fa­mille, et de cer­tains membres de ma fa­mille j’ai fait des amis. 

Com­bien de na­tio­na­li­tés t’en­tourent ?

Beau­coup ! Aus­tra­lien, co­lom­bien, amé­ri­cain, es­pa­gnol, ita­lien, grec, po­lo­nais et la liste conti­nue !

Et com­ment te sens-tu dans ce petit monde ?

Comme un pois­son dans l’eau ! Pour la ma­jo­rité, nous sommes ex­pa­triés, ce que nous avons du coup tous en com­mun. On ar­rive tous avec nos cou­tumes, nos ba­gages, nos his­toires… J’ai ap­pris qu’il n’y avait pas de sys­tème de train en Co­lom­bie, qu’ap­pa­rem­ment Athènes pue, que la France est trois fois plus peu­plée que l’Aus­tra­lie alors que ce pays est quatorze fois plus grand que la France.

Que fais-tu au­jour­d’hui ?

Je suis Event/Pro­duc­tion Ma­na­ger free­lance. Je tra­vaille en par­tie pour un bar qui or­ga­nise une mul­ti­tude d’évè­ne­ments ar­tis­tiques, le Loo­king Glass (http://​www.​loo­king­glass­lon­don.​co.​uk/​), et à côté je tra­vaille sur des pro­jets di­vers comme le Fringe! Fes­ti­val, un fes­ti­val LGBT d'art et de ci­néma. (http://​frin­ge­film­fest.​com/​

Tu me di­sais vou­loir par­tir outre-At­lan­tique. Qu’est-ce qui te pousse à par­tir ? L’Eu­rope te dé­çoit-elle ?

L’Eu­rope ne me dé­çoit pas, au contraire, quand je re­garde l’état du monde je trouve qu’on s’en sort plu­tôt très bien ! Non, une fois de plus j’ai juste envie de dé­cou­vrir d’autres fa­çons de vivre. On consi­dère comme ac­quis le fait que nous vi­vions dans des villes pour la plu­part vieilles de cen­taines d’an­nées avec un passé et des his­toires in­croyables. L’éner­gie doit être tel­le­ment dif­fé­rente dans un pays comme l’Aus­tra­lie qui n’était peu­plé que d’abo­ri­gènes jus­qu'à la fin du XVIIIème siècle. NYC me tente éga­le­ment énor­mé­ment, cette ville semble être un peu le Londres du conti­nent amé­ri­cain. Avec Londres j’ai l’im­pres­sion d’avoir trouvé ma ville, mais par­tir me per­met­trait de mieux re­ve­nir. 

Story by

Anaïs DE VITA

European and Babelian translator since 2013