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L'Italie entre cannabis médical et guerre contre la drogue

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Société

En Italie la sévère loi « Fini-Giovanardi » plaçait toutes les drogues sur le même plan. Jugée anticonstitutionnelle en 2014, elle reste en vigueur de facto alors que, pendant ce temps, le cannabis médical est autorisé depuis 2007. Une brêche vers la légalisation ? On a demandé à Claudia Sterzi, sociologue et anti-prohibitionniste. 

cafébabel: Quelle est la situation juridique actuelle de l'Italie en matière de drogues ?

Claudia Sterzi: Après l'abrogation de la loi Fini Giovanardi en 2014 par la Cour Constitutionnelle, la loi s'est convertie en « décret Lorenzin », à savoir on a utilisé le même instrument législatif sanctionné par la Cour Constitunionnelle trois mois auparavant et la même structure prohibitionniste. La cultivation domestique du cannabis reste un délit pénal, aujourd'hui comme hier, si elle provient d'un achat « de rue ». Alors même que l'on reconnaît universellement qu'un premier pas vers la sortie de la War on Drugs mise en place il y a 50 ans (un échec total dans ses objectifs et coupable de nombreux effets collatéraux nocifs) est précisément la légalisation de la cultivation pour consommation domestique.

Grâce au référendum soutenu par les radicaux en 1993, la consommation personnelle n'est pas interdite et ne donne pas lieu à une arrestation, mais il est possible encore aujourd'hui de se voir retirer permis de conduire, passeport, droits parentaux, travail, d'être envoyé en communauté de désintoxication, de devoir se soumettre à des analyses hebdomadaires, etc. Les peines concernant le cannabis ont diminué : avant on pouvait écoper de 6 à 20 ans avec la loi Fini Giovanardi, aujourd'hui on risque de 2 à 6 ans avec quelques contraventions supplémentaires. En revanche, les peines pour toutes les autres substances augmentent, pour une ligne de coke ou quelques pastilles, la loi prévoit de 8 à 20 ans de prison.

cafébabel : Quels sont les pays plus sévères et lesquels sont plus progressistes en matière de drogues en Europe ?

Claudia Sterzi : Certains pays européens ont suivi un projet expérimental de politiques alternatives, à commencer par le Portugal - qui depuis 2001 a dépénalisé toutes les drogues dans une optique sanitaire et non plus « policière » - en fournissant un cas d'école représentatif des conséquences de ce type de réforme. Il existe des dérogations aux interdictions de cultivation et des Cannabis Social Clubs dans de nombreux pays d'Europe, comme l'Espagne et la Belgique, dans d'autres comme la France et l'Italie, ils restent strictement interdits.

cafébabel : La cultivation du cannabis médical au sein de l'établissement militaire de Florence, l'anticonstitutionnalité de la loi Fini-Giovanardi, les déclarations du Directif national anti-mafia sur la dépénalisation des drogues comme moyen de lutte contre l'illégalité, sont-elles des avancées vers la légalisation - ou du moins la dépénalisation - ou un miroir aux alouettes ? 

Claudia Sterzi : 2014 avait commencé sous de bons auspices avec la légalisation en Uruguay, l'anticonstitutionnalité de la loi Fini Giovanardi, la progression favorable des résultats des référendums aux États-Unis, confirmée en novembre dernier en Alaska, Oregon et Washington D.C. Dans le monde entier on parlait d'échec de la guerre contre la drogue. Des prix Nobel, des économistes, des scientifiques, des chefs d'État et de gouvernement, des fonctionnaires, des artistes se sont exprimés. Les propositions de révision et de réformes deviennent plus nombreuses. Un vaste mouvement vers une sortie progressive de la War on Drugs est en marche, très puissant et en voie de structuration.

cafébabel: Les quantités de cannabis cultivées au sein de l'établissement de Florence sont insuffisantes. Cela profite-t-il au crime organisé ?

Claudia Sterzi : Bien sûr, et à qui sinon ? Le projet de Florence doit être amplifié, mais en ce qui concerne le cannabis thérapeutique - différent du cannabis récréatif - on est sur la bonne voie.

cafébabel : Quels sont les bénéfices du cannabis sur les patients auxquels on le prescrit ? Est-ce juste un paliatif ou y a-t-il des effets positifs à long terme ? Y a-t-il des effets collatéraux ?

Claudia Sterzi : Les études continuent. Cela va bien au-delà des qualités anti-douleur, les effets collatéraux existent, comme pour toutes les substances, comme il existe une efficacité et un seuil tolérance personnels, mais nous n'avons pas observé jusque là, de graves effets nocifs. Le cannabis reste une des substances les moins toxiques au monde.

cafébabel : Dans l'État de Washington, par exemple, on a légalisé et commercialisé depuis un an le cannabis. Les ventes ont rapporté 250 millions de dollars, 70 millions d'impôts. Sommes qui iront à l'État et non dans l'escarcelle du crime organisé. Quels seraient les bénéfices pour l'État italien en cas de légalisation ?

Claudia Sterzi : Ils seraient économiques, sanitaires et sociaux. Ceux économiques représentent la taxation, les moindres frais policiers, juridiques, carcéraux et la lutte à l'économie mafieuse. Les bénéfices sanitaires résident dans la possibilité de contrôler, traiter, prévenir des phénomènes d'abus de dépendances, surtout en ce qui concerne les drogues « dures ».

La décriminalisation de millions de personnes impliquées en tant que consommateurs, cultivateurs ou employés dans le trafic de drogue aurait des conséquences positives sur la société. Il y a aussi tout un aspect lié à la corruption et à la violence sociale des narco-trafficants. Tant que la stratégie prohibitionniste dure, le trafic de drogue prospère et se propage. 

cafébabel : Une question provoc', l'Italie sera-t-elle le prochain pays à légaliser le cannabis ?

Claudia Sterzi : L'Italie risque de rester en arrière pour deux raisons : d'abord la puissance du crime organisé dans notre pays et son degré d'infiltration en politique, ensuite la grande conflictualité au sein des mouvements anti-prohibitionnistes. Mais la lutte continue.

Translated from L'Italia fra cannabis terapeutica e "war on drugs": intervista a Claudia Sterzi