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Lisbonne vue par les Tchèques eux-mêmes

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Le Puy de Babel

Par Guillaume Bucherer Il n'est pas un média qui ne se soit emparé de l'affaire. Le problématique traité de Lisbonne, qui devrait entrer en vigueur dans quelques mois, va permettre à l'Union européenne de sortir de sa paralysie institutionnelle et politique. Mais si tout est si bien dans ce traité, pourquoi un homme, particulièrement, s'est opposé à lui ? Les Tchèques, dit-on, sont eurosceptiques.

Anti-européens. Souverainistes. Nationalistes ! Qu'en est-il vraiment ? Qui a pris la peine de prendre le pouls de ce peuple normalement discret ?Guillaume, membre du Puy de Babel, a atterri dans ce qui paraît être le bout du monde : Olomouc, où il mène son enquête. Quatrième ville du pays, ancienne capitale de la Moravie, foyer de la contre-réforme catholique, la cité n'est pas la bouillonnante Prague ni l'industrielle Brno. Elle possède néanmoins une université très réputée, centre culturel de la région. Petit aperçu des réactions des Tchèques rencontrés de-ci de-là, dans les bars, les cours, les transports. La situation est-elle aussi manichéenne qu'on veut bien le croire ? Suivez CaféBabel à la rencontre du peuple tchèque.Jakub et Petr sont tous deux étudiants en commerce international. Pourtant, leurs avis divergent dès que la question du Traité de Lisbonne est posée. Pour Jakub, c'est une nécessité économique. L'Europe est la seule échelle capable de porter la République Tchèque sur la scène internationale. est le mot qui revient le plus souvent. Comment faire face, lorsqu'on est dix millions, au milliard d'indiens, au milliard de chinois, aux 140 millions de russes, aux 300 millions d'américains qui peuplent la planète ? La République Tchèque, économie pourtant florissante, a été épuisée par le régime communiste. Il est temps pour elle de trouver sa place car, comme dit mon interlocuteur .

"Protection""qui mieux que les tchèques peut savoir que pour survivre il faut être unis ?"

Le pays a en effet une histoire douloureuse et mouvementée. Si effectivement il existe un royaume de Bohème vers le VI siècle (arrivée des tchèques dans l'actuelle république), ce petit pays passe vite successivement à l'empire Carolingien, puis au Saint Empire Romain Germanique enfin à l'empire austro-hongrois. Il accède brièvement à l'indépendance entre les deux guerres, subit l'invasion nazie pour mieux se faire occuper par le régime communiste. Lorsque enfin l'indépendance est effective, les slovaques, peuple voisin, veulent faire sécession et l'ancienne Tchécoslovaquie est coupée en deux : République Tchèque et Slovaquie font leur apparition.

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Pour Petr, le traité de Lisbonne n'est pas une bonne chose. Il exprime non pas un avis fondamentalement anti-européen. Ce sentiment est d'ailleurs très minoritaire chez les tchèques. Mais Petr, lui, a . Il a peur . Il a peur que son pays soit ligoté, incapable de prendre une décision pour sa propre politique. Et quand on parle d'agriculture... c'est encore pire. La nécessité, selon lui, est de protéger l'agriculture tchèque. Mais celle-ci suffit à peine à nourrir les tchèques, dont l'économie est d'ailleurs très dépendante de celle de l'Allemagne.

"peur""des grands pays comme vous, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni..."

Veronika a fait Histoire de l'art. Étudiante en fin de parcours, elle est déjà enseignante à la faculté. Elle se rappelle simplement ce que l'Europe a permis à la République tchèque. Les autoroutes, les tramways, la modernisation des trains, les infrastructures administratives... Elle rappelle également que le président tchèque n'est pas élu au suffrage universel direct. C'est le parlement qui le désigne. Il est davantage l'expression des parlementaires que du peuple directement. Son opposition à l'Union européenne n'est donc pas, selon Veronika, représentative de l'opinion tchèque. Pour elle, le modèle est celui de l'Espagne.

"L'Espagne est l'exemple du pays qui a profité de l'Europe et dont maintenant l'Europe profite. Une relation à deux sens, c'est cela pour moi, l'Europe. C'est presque comme un couple."

Ivan est professeur d'économie. Pour lui, la République tchèque a voulu accéder à l'Europe car c'était le chemin vers la prospérité économique. Il m'explique pourquoi les U.S.A. sont si populaires.

"Les Tchèques n'ont pas compris que l'Europe n'est pas qu'un marché commun, elle est aussi une volonté politique. Le pays affronte maintenant sa propre illusion.""Les USA ont constitué, pendant toute la période communiste, l'autre modèle tant désiré. L'Europe de l'Ouest n'était pas, pour nous, un vrai modèle car elle nous semblait bien complaisante envers l'U.R.S.S.".

 Aujourd'hui, continue-t-il, la République tchèque s'est tournée vers l'Europe pour l'économie, et vers les USA pour la sécurité. . C'est pourquoi Ivan est favorable au traité de Lisbonne. La perte d'autonomie, il n'y croit pas :

"L'adhésion à l'OTAN dans le même laps de temps (moins de 5 ans) que l'adhésion à l'UE est révélateur : les européens ne sont pas les garants ultimes de leur propre sécurité et tant qu'il ne le seront pas, les pays de l'Est continueront de grossir les rangs de l'Alliance atlantique""le Conseil des ministres est là pour garantir l'expression des pays, de Malte à l'Allemagne. La souveraineté que nous perdons, nous sommes les premiers à y consentir".

Pas si eurosceptiques que ça les Tchèques ? Difficile à dire. Mais le fait est que, sans être des passionnés sur le débat (rien de comparable avec la campagne française sur le traité Constitutionnel), le sujet ne leur est pas étranger. Et ils ont tous, opposants ou partisans, de bonnes raisons de craindre ou d'espérer.