L’interactivité au service des Serbes du Kosovo
Published on
Des Serbes ont produit un cd-rom pour faire valoir les arguments politiques en faveur de l’autonomie de la province. Pédagogie ou propagande ?
Alors que les négociations sur le statut du Kosovo patinent depuis février 2006, il aura fallu plus d’un an à une équipe de trois bénévoles pour produire un cd-rom intitulé « Kosovo 2006 : atteindre un compromis ». Sa couverture présente un œuf fissuré, trônant sur un coquetier décoré par moitiés par les drapeaux albanais et serbe. Le cd-rom, édité en anglais, a été développé sous le patronnage du think tank en faveur de l’intégration serbe Institut 4S. Il est divisé en 3 parties distinctes : la première expose les faits historiques jusqu’en 1999 ; la deuxième présente un état des lieux du Kosovo sous les Nations Unies ; la dernière analyse les perspectives pour le futur statut de la région, privilégiant le retour à l’autonomie, plutôt que l'indépendance totale ou l'administration par l'ONU.
Malgré leur jeune âge, les volontaires du projet, basés à Bruxelles et en Serbie, ne sont pas des inconnus. Aleksandar Mitic, le directeur du projet, fut ainsi le seul correspondant de l’Agence France Presse (AFP) à rester durant les bombardements de l’OTAN au Kosovo en 1999. Son frère, Boris Mitic, un ancien journaliste, est aujourd’hui un brillant cinéaste qui accumule les prix durant les festivals de cinéma.
Contre mauvaise fortune, bon cœur
Aleksandar Mitic ne cache pas que ce cd-rom est plutôt pro-serbe. « Ce n’est pas une encyclopédie neutre. Certains arguments seront vraisemblablement réfutés par les Albanais du Kosovo ». Il s’agit de présenter les arguments serbes en faveur d’un statut d’autonomie du Kosovo, à la lumière de l’héritage et la mémoire collective serbe.
Ainsi lors du visionnage, on apprend que 120 000 Serbes du Kosovo vivraient dans des sortes de ghettos, harcelés au quotidien : les enfants, prêtres ou passagers de transports en commun se verraient ainsi systématiquement accompagnés d’une escorte militaire. Les auteurs du cd-rom affirment qu’accorder l’indépendance au Kosovo équivaudrait à ouvrir la boite de Pandore, ouvrant la voie à de nouveaux conflits, un peu plus loin, dans la région du Caucase. La Russie pourrait ainsi légitimer l'assimilation des territoires de l’Abkhazie, d’Ossétie du Sud, de la Transnistrie et de parties du Kazakhstan. Et perdre, au même titre, la Tchétchénie, le Daghestan ou d’autres régions à majorité musulmane.
Ce cd-rom se veut plutôt stratégique : au lieu d’être diffusé uniquement sur le site de l’Institut4s, cet outil sera remis en main propre aux acteurs clé du processus, prenant ainsi la forme d’un lobbying. Ce produit témoigne également de la volonté des Serbes d’être impliqués et entendus durant les négociations sur le statut final du Kosovo, lancées en février 2006.
Certains verront toutefois dans cette initiative une forme de propagande. Dans un contexte de crise, il pourrait même être considéré comme une sorte de provocation. Ses instigateurs se justifient en invoquant l’aspect informatif et pédagogique du cd-rom.
Les Serbes incompris ?
Selon Aleksandar Mitic, les Serbes n’ont pas toujours excellé dans l’art de la communication et ont échoué à exposer des arguments convaincants. Nicholas Whyte, le responsable du département Europe de l’ONG International Crisis Group, actuellement en visite au Kosovo, reconnaît que les arguments venant de Belgrade n’aident pas le peuple albanais du Kosovo à envisager les effets bénéfiques d’une réintégration. Par ailleurs, le leg de Milosevic pèse toujours sur les Serbes qui auront du mal à faire entendre leur voix.
L’initiative du cd-rom entend donc rétablir l’équilibre entre les intérêts des Albanais et des Serbes du Kosovo tout en donnant aux représentants serbes des arguments modérés sur la position de leur patrie. Enfin, les concepteurs espèrent que cet outil original permettra à la population serbe de s’approprier le débat de manière pédagogique et pratique.
L’avenir dira si cette initiative n’est pas un peu trop tardive. Car si les Serbes sont prêts au compromis, comme le souligne Slobodan Samardzic, membre de l’équipe des négociations et conseiller auprès du Premier Ministre serbe, Vojislav Kostunica, c’est peut-être justement parce que les autorités perçoivent la perspective d’un Kosovo indépendant comme étant de plus en plus probable. Jan Marinus Wiersma, député européen, membre de la commission des Affaires Etrangères, déclarait ainsi qu’ « en Serbie, les politiciens sont tenus de faire passer le message que le pays doit se préparer à la possibilité d’un Kosovo indépendant ». Espérons que ce cd-rom pourra lancer les débats.