L’intégration européenne : un modèle pour l’Afrique ?
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Par Elena Montani, Rédacteur en chef de The New Federalist - Rome, traduit par Agnès SAMPERE-VOLTA - Lyon Article paru dans le numéro 147 de FEDECHOSES - pour le Fédéralisme.
Les représentants élus des peuples africain et européen ont souligné l’importance de l’intégration supranationale pour les pays membres du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), encourageant l’expérience du processus d’intégration européenne.
L’Assemblée parlementaire paritaire ACP / Union européenne (APP) a été créée dans le cadre des Conventions de Lomé, qui ont remplacé les Accords de Yaoundé entre la Communauté économique européenne et les anciennes colonies de ses Etats membres dans les années 1970. A l’origine, on lui avait donné le nom d’Assemblée Consultative, au cours de ces dernières années on lui a attribué son nom actuel -Assemblée parlementaire paritaire- cette modification visait à accentuer le caractère parlementaire de l’assemblée. En fait, l’APP est actuellement composée de 78 membres du Parlement européen et de 78 représentants des Etats ACP qui - conformément à l’Accord de Cotonou- doivent être membres de leurs parlements. Encore principalement un organe consultatif, l’APP prend de plus en plus d’importance, et reste la seule institution de la sorte au monde, rassemblant des représentants de citoyens élus provenant de deux continents au sein d’un véritable cadre institutionnalisé.
Lors de sa éunion à Ljubljana du 17 au 20 mars 2008, l’APP a adopté une résolution « sur les expériences du processus d’intégration régionale européen applicable aux pays membres de l’ACP». Cette résolution répond très franchement à la question que nous avons posée en titre : « aucun modèle d’intégration régionale ne peut être établi étant donné que toute stratégie d’intégration doit être adaptée aux circonstances et intérêts particuliers». Manifestement, l’Afrique ne peut -et ne doit pas- suivre la voie choisie par les Européens pour créer une communauté plus étroite que jamais. Il s’agit d’une région différente, avec des caractéristiques différentes, une histoire différente, des cultures différentes. Les processus d’intégration subrégionale africains les plus avancés (comme la CEDEAO et l’EAC) ont déjà dévoilé leurs propres visages et caractéristiques, d’ailleurs susceptibles « d’être instructifs et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’UE elle-même ».
Néanmoins les plus grandes dynamiques à l’origine de l’UE, incontestablement l’exemple d’intégration politique et économique le plus avancé et le plus réussi entre Etats-nations, sont un patrimoine fondamental pour d’autres processus d’intégration dans le reste du monde, tout particulièrement pour un continent dont le parcours est historiquement et géographiquement inextricablement lié à l’Europe. Trois aspects, mentionnés dans la résolution, méritent d’être cités pour l’intérêt qu’ils présentent pour l’intégration en Afrique. Tout d’abord, la paix a été le plus grand accomplissement de l’intégration européenne, grâce à un cadre où les conflits ont pu être résolus de manière pacifique et à une union entre les peuples plus étroite que jamais et aussi par le biais de l’éducation et des échanges. Ensuite, l’intégration européenne n’a pas été fondée sur un modèle purement libéral, mais sur un projet politique, qui est venu compléter l’objectif du développement économique par ceux du développement durable, de la démocratie et de la défense des droits de l’homme. C’est en ce sens que la solidarité entre les pays et les sociétés s’est avérée la recette clef de la réussite de l’intégration européenne, qui a considérablement comblé le fossé entre les régions les plus riches et les plus pauvres, montrant ainsi qu’un niveau similaire de développement et de prospérité entre les Etats n’est pas une pré-condition nécessaire à l’intégration régionale. Enfin, l’exemple européen montre l’importance d’institutions communes fortes, représentant des intérêts régionaux plutôt que nationaux, même s’il faut veiller à la défense et au respect mutuel des différences nationales. La résolution souligne, en particulier, la nécessité de renforcer les institutions parlementaires des organisations régionales, comme le seul moyen de donner une légitimité aux organes supranationaux et d’assurer leur stabilité.
Alors que les médias n’en font pas de cas, une résolution telle que celle-ci ne devrait pas être sous-estimée, surtout du fait de sa force politique et symbolique. Sur un continent tel que l’Afrique, la force de l’intégration régionale pourrait être considérée comme un « luxe », qui ne mérite pas encore d’être à l’ordre du jour, comparé à des problèmes plus urgents tels que la paix et le développement économique. Au contraire, les organisations régionales se développent rapidement dans toute la région et elles ont de plus en plus de poids. La résolution souligne le fait qu’exercer ensemble la souveraineté à un niveau supranational n’est pas une perte de souveraineté pour les Etats-membres, mais qu’il est plutôt « probable que de ce fait les gouvernements voient leur capacité à protéger les intérêts de leurs citoyens accrue ».
L’expérience européenne montre que l’on peut renverser l’affirmation qui n’est pas nouvelle selon laquelle « il faudrait d’abord régler les problèmes que l’on a chez soi, et ensuite s’occuper de questions régionales de plus grande envergure ». L’intégration supranationale est plutôt une nécessité urgente dans des régions dévastées par une succession de problèmes tels que l’extrême pauvreté et les conflits. Ceci est encore plus manifeste aujourd’hui, alors que la mondialisation pousse les Etats africains à unir leurs forces afin de surmonter les problèmes qui -même s’ils sont mondiaux par leur dimension- ont des conséquences catastrophiques directes sur la vie de tous les jours du peuple africain, qui souffre de plus en plus des effets du changement climatique, de la lutte contre le terrorisme, de la concurrence commerciale accrue de la part des puissances émergentes, de l’augmentation des prix des denrées alimentaires. L’Africain, Desmond Tutu, Prix Nobel de la Paix, a déclaré lors des Journées européennes du développement en 2006, alors qu’il décrivait les grandes réalisations du continent africain tout au long de l’histoire et les grandes contributions que l’Afrique et les Africains ont apporté au monde entier : « Nous ne pouvons être libres que tous ensemble ».