L’improbable président d’Oliver Stone
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Jessica Devergnies-WastraeteA travers ce film, une Amérique sans complexes regarde son nombril historique sur grand écran. Les réalisateurs européens sont eux trop dépendants des subventions publiques pour oser se lancer dans les « biopics » de personnages publics encore vivants.
Dans sa visite à la Maison Blanche, le 12 octobre dernier, Silvio Berlusconi a déclaré : « L’histoire dira de Bush qu’il a été un très grand président des Etats-Unis ». « En lui, je n’ai jamais vu la stratégie politique, mais bien la spontanéité et la sincérité de celui qui croit en ce qu’il fait, a poursuivi le chef d’Etat italien, j’ai facilement abondé dans le sens des décisions du président Bush fondées sur l’amour de la liberté, de la démocratie et du respect d’autrui. » Peut-être Berlusconi n’était-il pas si loin de la position d’Oliver Stone.
Un guignol sur grand écran
Le « W » de Stone (interprété Josh Brolin), dont la sortie est prévue peu avant les élections, dépeint un portrait partiel et un peu grotesque d’un personnage pittoresque. Stone a choisi de présenter des aspects assez frappants comme le rapport œdipien du président avec son père, son histoire d’amour à la limite du féérique avec sa femme Laura (Ellen Burstyn), l’alcoolisme, la foi et, surtout, la guerre en Irak.
En revanche, le réalisateur n’aborde pas au moins deux thèmes fondamentaux : le 11 septembre et les élections au terme desquelles Bush a été élu (certes déjà traitées par Michel Moore dans Farenheit 9/11). Le Bush de Stone est une espèce de gourde qui se retrouve, un peu par hasard et un peu par jeu, à la présidence d’un pays, qui ne se nourrit que de sandwiches et de hamburgers et qui, au final, nous paraît presque sympathique. Est-ce là le message de Stone ? Le seul problème qui lui tienne réellement à cœur est, semble-t-il, la guerre en Irak. Colin Powell (que joue Jeffrey Wright) se voit chargé d’adresser au public un discours antimilitariste vraiment peu plausible, tandis que les images des corps meurtris des soldats s’occupent du reste.
Que le but de Stone ne soit pas de faire de l’histoire est clair : ni lui, ni le scénariste, Stanley Weiser, ne se sont préoccupés de chercher des sources de première main. Aucun des « vrais » protagonistes n’a été contacté et il semble qu’une grande partie du scénario soit basée sur deux livres : State of Denial de Bob Woodward et The Faith of George W. Bush, de Stephen Mansfield.
À quand un film sur Sarkozy ?
Si, pour le cinéma américain, s’essayer à la biographie des hommes qui ont fait la « grande Histoire » (comme l’a déjà fait Stone en 1995 avec Nixon, et en 1991 avec JFK) est plutôt chose courante, de l’autre côté de l’Atlantique, nous sommes plutôt habitués au film de dénonciation, ou au film historique. Comme dans le premier film sur Mussolini qui est avant tout un film sur sa mort (Mussolini : Ultimo atto, Carlo Lizzani, 1974) ou un film sur Hitler (La Chute, d’Olivier Hirschbiegel, en 2004).
Mais s’essayer au portrait d’hommes politiques actuels est encore chose rare. En Italie, Nanni Moretti s’est lancé en 2006 avec Le Caïman et, bien que le réalisateur a obstinément réfuté qu’il s’agissait d’un film sur Berlusconi, de nombreux politiciens (de droite) ont demandé à ce que la date de sortie soit reportée en raison des élections d’avril. Plus récemment, Paolo Sorrentino a réalisé un film sur Andreotti (Il Divo, 2008). En France, on a tenté le coup avec Mitterrand : Le Bon Plaisir (Francis Girot, 1984) révèle et tait à la fois l’existence de l’enfant caché du président socialiste, tandis qu’en 2005, Robert Guédiguian avait essayé de dresser un portrait privé d’un homme au crépuscule de sa vie politique (Le promeneur du Champs de Mars, 2005). L’Allemagne s’apprête à voir un film sur Helmut Kohl, qui sortira sur les écrans en 2009 (apparemment, seulement sur le petit écran).
Qu’il y ait en Europe une sorte de respect par rapport à l’histoire est indiscutable : l’UE a un peu plus de cinquante ans et cherche à rassembler aujourd’hui des peuples qui ont cohabités pendant l’entre-deux guerres. Et le cinéma semble refléter cette approche. Erwan Benezet, journaliste au Parisien, a co-écrit avec Barthélémy Courmont le livre Washington Hollywood : Comment l'Amérique fait son cinéma (Armand Colin, 2007), le confirme : « Historiquement, les Etats-Unis sont le seul pays démocratique à avoir pleinement utilisé le cinéma comme un outil de propagande (avec une instance de supervision à Hollywood, par exemple). Les trois autres puissances à avoir utilisé le cinéma de la sorte étaient des gouvernements autoritaires ou des dictatures, comme l’Allemagne, l’URSS ou l’Italie, à une certaine époque. Le cinéma américain se distingue aussi grâce à son incroyable réactivité par rapport à l’histoire nationale et internationale. »
Chasse aux sorcières et cinéma US
Dans les années 60, l’Amérique a en effet vu des films sur la guerre du Vietnam, sans que la guerre ne soit terminée, et un film sur l’Irak alors que les soldats sont toujours sur place (pour n’en citer que deux : Lions et Agneaux de Robert Redford, et Dans la vallée d’Elah de Paul Haggins, tous deux sortis en 2007). Et personne ne crie au scandale, comme c’est le cas en Europe. Dans son dernier Miracle à Santa Anna, Spike Lee raconte l’histoire des Buffalo Soldiers et utilise la guerre civile italienne comme toile de fond de son récit. D’ailleurs, face à la levée de boucliers nationale que la sortie du film a provoquée, le réalisateur a riposté d’un poli haussement d’épaules.
Mais, toujours selon Erwan Benezet : « C'est aussi une question d'argent. Les choses changent quand les budgets peuvent être indépendants de l'Etat qui contrôle l'Histoire. En France ou en Italie, le cinéma demeure trop subventionné pour avoir suffisamment d'indépendance. Ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis où il est une industrie à part entière, avec une plus grande liberté de mouvement et d'opinion. Le gouvernement a essayé de remettre la main sur le cinéma la dernière fois dans les années 50 lors de la chasse aux sorcières. »
Translated from George W. Bush di Oliver Stone: un Presidente improbabile