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Liberté de la presse: les écarts se creusent en Europe

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Bruxelles

Depuis 1994, le 3 mai est consacré à la liberté de la presse. C’est l’occasion pour l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF) et les institutions de l’Union européenne, au premier chef desquels le Parlement européen, de sensibiliser et de faire le point sur l’état de la liberté de la presse dans le monde.

Afin de sensibiliser les individus et les pouvoirs publics sur les questions de la liberté de la presse et son état dans le monde, Reporters Sans Frontières classe depuis 2002 les États selon la possibilité pour les journalistes d’exercer leur travail librement sans craindre de pressions, de menaces et sans craindre pour leur vie.

Ce classement se base sur le calcul d’un indice qui est attribué à chaque pays. Plus un pays obtient un indice faible, plus le journalisme peut s’exercer librement. Aujourd’hui, le classement repose sur un questionnaire traduit dans plus de vingt langues est envoyé à différents experts autour du globe. Ces experts et journalistes doivent alors s’exprimer sur l’état du pluralisme, de l’indépendance des médias, de l’environnement et de l’autocensure, du cadre légal, de la transparence et qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. Il prend également en compte des éléments objectifs, car chaque année les exactions et menaces subies par les journalistes sont recensées.

Une situation inégale selon les régions du globe

Toutes les éditions font ressortir les très fortes inégalités qu’il y a entre les régions du monde. Si l’on prend des parties du monde dans leur ensemble, on remarque aisément que l’Europe mène et reste en 2017 le meilleur endroit pour exercer le journalisme en toute indépendance et liberté. À l’inverse, l’Asie est à la traîne, avec de nombreux pays classés en queue de liste (Corée du Nord, Chine, Vietnam, Laos, Iran, Arabie Saoudite, Yémen, etc.).

Le classement permet aussi de mettre à mal certains préjugés. Ainsi, il est possible de se rendre compte que, si les démocraties occidentales, d’une manière globale, sont en tête du classement, elles ont aussi à apprendre de pays moins riches. Cette remarque est présente dès la première édition du classement dans laquelle l’Italie se trouvait derrière le Bénin par exemple. Cette année, le Costa Rica et la Jamaïque se classent parmi les dix premiers pays ; loin devant la France (39e) ou encore l’Italie (52e).

Dans un régime démocratique, la liberté de la presse est l’une des caractéristiques et est nécessaire. Le classement de RSF vient aussi nous rappeler que la création de richesse et l’enrichissement d’un peuple ou d’un État ne s’accompagne pas systématiquement d’une démocratisation du régime en place. Singapour, cité-État d’une richesse inouïe, ne se classe qu’à la 151e place (mais 8e PIB par tête). Les pays considérés comme des puissances émergentes en donnent aussi la preuve. Par exemple, le Brésil (103e), le Nigeria (122e), l’Indonésie (124e), l’Inde (136e) et la Chine (176e) ne font pas partie des bons élèves alors même que certains de ces pays sont considérés comme démocratiques.

Une liberté de la presse en recul sur le continent européen

Dès le départ, l’organisation Reporters Sans Frontières constatait que la liberté de la presse était menacée de partout. Depuis ces dernières années, RSF montre que la situation en Europe et au sein même de l’Union européenne ne cesse de se dégrader. La Pologne, par exemple, voit sa position s’aggraver en l’espace de deux années, en passant de la 17e place en 2015 à la 54e actuellement. Cela est dû notamment à l’emprise qu’a prise le parti Liberté et Justice (PiS), au pouvoir depuis le deuxième semestre de 2015, sur les médias du service public.

L’élection présidentielle française a aussi mis en avant le comportement de certaines personnalités politiques. C’est le cas de François Fillon (Les Républicains, PPE) qui n’a pas hésité à s’en prendre avec véhémence aux journalistes lorsqu’il se trouvait empêtré dans des affaires le mettant en cause et nuisant de ce fait à sa campagne. C’est le cas, aussi, de Marine le Pen (Front National, ENL) qui refusait l’accès à ses meetings et réunions publiques à certains journalistes. Plus récemment encore, le nouveau Président de la République française, Emmanuel Macron, n’a pas hésité à sélectionner les journalistes pouvant le suivre lors de son déplacement au Mali.

Les temps sont donc plus difficiles pour les journalistes européens ! La campagne menant au vote du Brexit et l’élection de Donald Trump marquent de nouvelles étapes dans la création d’un climat délétère pour la liberté de la presse avec une manipulation éhontée des faits. D’autres personnalités politiques telles que Beppe Grillo en Italie souhaitent contrôler la presse en proposant la mise en place d’un jury populaire chargé de vérifier le travail des journalistes.

Une focalisation des discussions au Parlement européen sur la question des fake news

Le Parlement européen a toujours été très présent sur la question de la liberté de la presse, même si l’institution n’est pas exempte de critiques. En 2010, par exemple, les députés européens avaient refusé, lors d’un vote en plénière, de traiter de l’état de la liberté de la presse en Italie.

Cette année a été l’occasion pour le Parlement de sensibiliser les citoyens européens sur les fake news. La sous-commission en charge des droits de l’Homme a profité de cet événement afin de convier, le 4 mai 2017, trois invités dont Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

La question de la désinformation est celle qui a préoccupé le plus les députés de la sous- commission. La discussion a notamment rappelé le rôle que jouait la Russie avec deux des médias qu’elle finance (Russia Today et Sputnik). La réponse la plus évidente à de telles campagnes de désinformation est de pratiquer le fact-checking. Toutefois, comme le rappelle Christophe Deloire, cela revient aussi à « labourer la mer ». Il propose donc aux responsables politiques et à la société civile de réfléchir à des mécanismes permettant aux informations vérifiées de mieux circuler.

Après un échange de points de vue qui a duré prês d’une heure, il est intéressant de noter que ce qui préoccupe les députés européens est la situation à l’extérieur de l’Union européenne et l’influence que certains États tiers peuvent avoir sur l’opinion publique européenne. Ces questions sont certes essentielles, mais très peu de remarques ont été consacrées à l’état de la liberté de la presse au sein même de l’Union européenne où l’écart entre les « bons élèves » et les « moins bons » se creuse d’année en année. Il est important pour l’Union européenne de porter attention à la liberté de la presse ailleurs dans le monde. Cependant, elle devrait aussi veiller de manière plus visible à celle au sein de ses États membres. Au final, il en va de sa crédibilité lorsqu’elle agit sur la scène extérieure. Il en va de sa crédibilité de rappeler à certains de ses États membres que la liberté de la presse innerve bon nombre des valeurs que les Européens partagent et défendent.

Article écrit par Pierre Angelloz-Pessey et initiallement publié sur le site de notre partenaire EU logos.

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