« L’horizon de l’adhésion aux 25 reste ouvert »
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Les balbutiements européens dans le Caucase témoignent de l’importance croissante de la région dans la géopolitique internationale. Dov Lynch, chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne nous explique pourquoi.
Spécialiste des relations UE-Russie et des questions de sécurité en Russie et dans l’ex-URSS, Dov Lynch travaille en tant qu’expert auprès de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne (IES-UE), un organe de réflexion indépendant créé en 2001 dans le cadre de la Politique Extérieure et de Sécurité Commune (PESC) des 25. Tout en analysant les enjeux de la région, il salue les efforts de l’Union pour encourager le processus de démocratisation du Caucase-Sud.
Quel intérêt le Sud Caucase présente t-il pour l’Union européenne ?
Les intérêts sont à différencier des enjeux. Concernant les intérêts directs, la région représente une alternative aux ressources pétrolières de la zone OPEP. La mer Caspienne contient des réserves importantes d’or noir et beaucoup de compagnies européennes y sont implantées. Toutefois, il ne faut pas exagérer l’état de ces réserves. D’un point de vue géopolitique, un renouvellement des conflits gelés serait immédiatement ressenti en Europe, et ce d’autant plus que ses frontières se sont décalées vers l’est avec l’élargissement. La reprise du conflit tchétchène s’est par exemple traduite en 2004 par un flot de demandeurs d’asile en provenance de Grozny aux frontières de l'Autriche. Pour la première fois depuis les années 90, toutes les régions d’ex-URSS sont en « mouvement ». Avec cette vague de révolutions « des roses » [Géorgie], « orange »[Ukraine] et « des tulipes » [coup d’Etat en mars 2005 au Kirghizistan] – nous assistons à l’émergence de leaders nationalistes en Ukraine, Géorgie, Moldavie…qui sont très pro-Européens. L’Union a donc intérêt au succès de ce processus de démocratisation afin de stabiliser la région. Quant aux enjeux, il y va de l’avenir de la relation UE-Russie, de même que celui des structures de sécurité à l’instar de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). En outre, quel est l’avenir du lien transatlantique ? Lors de la « révolution des roses » à Tbilissi, Washington a coopéré de manière très étroite avec l’Union et Bruxelles souhaite encourager cet esprit de partenariat dans la région.
Quelle est aujourd’hui la politique européenne mise en place dans le Sud Caucase ?
On ne peut pas réellement parler de stratégie caucasienne de l’UE. Depuis la chute de l’ex-URSS et jusqu’à la fin des années 90, il était principalement question d’aide humanitaire puis les programmes d’assistance technique se sont multipliés. En 1999, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan ont ratifié des accords de partenariat et de coopération. L’élargissement de l’Union vers l’est et la « révolution des roses » en 2003 ont ensuite fait comprendre aux 25 la nécessité d’une vraie politique étrangère à l’égard de ces pays, proches de ses nouvelles frontières. Aujourd’hui, un certain nombre d’instruments classiques ont été mis en place à l’initiative de la présidence irlandaise en 2003. Un représentant spécial du Conseil européen, Heikki Talvitie, a été désigné en juillet 2003, afin d’aider à la résolution des conflits. Même si son rôle a été mineur lors de l’escalade du conflit entre l’Ossétie du sud et la Géorgie, il est parvenu à déjouer la méfiance des acteurs locaux et a insufflé une présence européenne. L’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan ont été inclus au sein de la nouvelle politique européenne de voisinage (PEV). Une initiative qui implique des plans d’action à court terme dotés d’un volet politique plus intense, avec notamment plus de dialogue et plus d’argent, témoignant de l’engagement de l’Union. L’horizon de l’adhésion aux 25 reste ouvert. En outre, Bruxelles a un rôle très actif en matière de développement, c’est même le principal bailleur de fonds d’assistance de la région. Elle finance par exemple des programmes de réhabilitation des zones de conflit, comme en Abkhazie.
Quel rôle l’Union doit-elle endosser face aux puissances américaines et russes, très présentes dans la région ?
Le Caucase est un terrain difficile. Particulièrement au Nord : explosion démographique, absence d’emplois, système éducatif en miettes, présence d’islamistes radicaux sans oublier une politique russe de force en Tchétchénie…Il subsiste en outre des conflits larvés compliqués à résoudre (Haut-Karabagh, Abkhazie…) Dans l’ensemble de la région, les Russes pratiquent une stratégie d’ordre émotionnelle comme nationale. De même, les Etats-Unis ont vu leur rôle politique et militaire s’accroître après le 11 septembre. Si leur présence dans la région est bénéfique, elle joue un rôle aussi dans la militarisation de la région. Zone tampon entre UE et Russie, le Sud Caucase est teinté de méfiance, d’incertitudes et de mauvaise communication : le cocktail est volatil. Mais les 25 ont leur carte à jouer et peuvent apporter des outils humanitaires et économiques pour aider aux réformes. Sans revendiquer un quelconque leadership géopolitique. Les avancées de l’Union en terme de programmes d’assistance et de développement permettront d’établir un lien de confiance susceptible d’influer le dégel politique.