L’europudding ne fait pas recette
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Pour faire un bon film européen, pourquoi ne pas mélanger un réalisateur italien, une actrice française, des techniciens espagnols, et tourner dans des studios polonais ? Pas si simple…
On connaît le cinéma américain, le cinéma asiatique, le cinéma argentin… Quid du cinéma européen ? Est-il reconnu dans le monde et en Europe ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, depuis une cinquantaine d’années, des coproductions sont conçues à l’échelle de l’Union, comme Le pianiste de Roman Polanski, film franco-polonais. Cela participe au dynamisme des cinématographies nationales mais aussi de la « culture européenne ». Et le cinéma est un art qui réunit les foules. Il peut donc devenir un enjeu dans la construction de l’identité européenne.
Au-delà des financements, chaque pays peut apporter un savoir-faire particulier dans ce domaine. Les images sont un vecteur culturel fort, voire un mode d’unification. Les Américains l’ont bien compris : la part de marché de leurs films va de 50% à plus de 85% dans les pays d’Europe. Le succès américain repose sur des stars mondialement connues et des histoires qui plaisent au plus grand nombre. Alors pourquoi ne pas tenter la même recette, à la sauce européenne, et lancer l’ « europudding » ?
En anglais pour que tout le monde comprenne
Un pudding, c’est un gâteau où l’on trouve des ingrédients divers et variés. Appliquée au cinéma, la recette est la suivante : une scénario au sujet large ou européen, la vie de Napoléon par exemple ; deux stars, Catherine Deneuve pour la France, John Malkovitch pour le Royaume-Uni ; un réalisateur italien, Roberto Benigni (La Vie est belle) ; des techniciens espagnols (leurs salaires sont compétitifs…). Mélangez le tout dans un tournage en Pologne (les studios y sont performants). Il ne reste plus qu’à déguster en anglais, pour que tout le monde comprenne.
Les coproductions à l’échelle européenne procèdent de cette recette, qui réussit surtout aux téléfilms. Bon nombre de réalisateurs se sont rendus compte de l’indigestion qu’elle peut aussi causer. Artificielle, elle tue la créativité et la diversité communautaire. Le scénariste Jean-Claude Carrière, qui a travaillé avec de grands réalisateurs européens le souligne : « A la recherche d’un sujet européen, ce qu’on voit immédiatement, (…) c’est que le champ de l’imagination, au lieu de s’élargir, se rétrécit. Les bonnes histoires ont des racines précises ».
Pour Dancer in the Dark, Lars Von Trier a réuni des fonds venant du Danemark, de Suède et de France. Il a choisi deux actrices européennes, Catherine Deneuve et Björk, et tourné en anglais. On peut se demander ici si « europudding » ne rime pas avec « marketing »… On préfère croire qu’il s’agit d’un véritable choix artistique désintéressé.
Mieux vaut valoriser davantage chaque cinématographie nationale dont « le sujet, les auteurs, les interprètes, les techniciens, la langue, reflètent l’âme, la culture d’un pays » comme l’affirme Gilles Jacob, directeur du festival de Cannes. Il ne faut pas tendre vers une « européanisation » du cinéma. Et le public ne s’y trompe pas.
Ces dernières années, les films européens à succès ont un point commun : ils évoquent un univers propre à chaque pays. Le plus marquant est sans doute Good Bye Lenin de l’allemand Wolfgang Becker, qui raconte, au travers de la vie d’une famille est-allemande, les bouleversements causés par la réunification. Respiro, sympathique film italien d’Emanuele Crialese, est une peinture ensoleillée d’une île sicilienne, inspirée d’une légende locale. Les exemples sont de plus en plus nombreux.
Si le cinéma européen se porte bien, c’est grâce à des films aux identités fortes et qui rencontrent leur public à travers toute l’Europe. Mais il ne faut pas s’arrêter à un réalisateur par pays. Ils sont nombreux, et il y en a pour tous les goûts. Les European Film Award essaient justement de valoriser cette cinématographie. Malgré la qualité de l’initiative, ces prix sont beaucoup moins reconnus et médiatisés que les Oscars. Pour écouter les histoires de nos voisins, il faut donc se rendre dans des salles de cinéma labellisées « Europa Cinéma ». Elles tentent de proposer un choix divers reflétant « l’euro-cinéma », et le tout en version originale.
Pourtant, certains films sont à peine diffusés dans leur pays d’origine, tandis qu’ils sont applaudis dans d’autres. Tous les Européens ne croient pas dans leur cinéma, dans leurs histoires. Leurs préférences vont surtout à des films américains. Ainsi, en 2001, dans l’UE, parmi les 20 premiers succès en termes d’entrées, on ne trouve que 4 productions européennes, la première pointant à la 12ème place. Pour découvrir 25 horizons différents et leurs univers, il faut utiliser le cinéma comme moyen de « propagande » en faveur de l’interpénétration des cultures.