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L'Europe sera-t-elle un jour capable de se débarrasser des marionnettistes américains qui tirent les fils de sa politique étrangère ?

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Default profile picture Morag Young

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Default profile picture raphaël rouby

Parce que la lutte contre le terrorisme passe surtout par la compréhension des motivations et des frustrations des auteurs d'attentats, l'Europe doit se faire entendre sur ce terrain, pour proposer une alternative à la réthorique simplificatrice américaine. Le suivisme ne doit pas être une option si l'on veut voir le terrorisme reculer.

Ainsi, une fois de plus, l'Occident crie à l'abomination morale après la mort de ses ressortissants venus faire du tourisme en Indonésie. Une fois de plus, les chefs des Etats les plus puissants du monde ont déclaré la guerre contre le "mal" qui menace leur hégémonie. George Bush, Tony Blair et John Howard (le Premier ministre australien) ont été unanimes dans leur désir de débarrasser notre planète de ces ignobles terroristes.

Alors que le rouleau compresseur de la politique extérieure américaine poursuit son chemin, aidé avec zèle par monsieur Blair, il est difficile d'ignorer un sentiment d'impuissance grandissant quant à l'avenir de la société mondiale. Bush annonce qu'il "suppose" que l'attentat de Bali peut être attribué à Al-Qaida et, dans les 24 heures, la plupart des pontes de la politique et des médias mondiaux répètent cette hypothèse presque comme s'il s'agissait d'un fait avéré. Et si en effet, c'est là l'œuvre d'Al-Qaida, c'est tout naturellement une preuve de plus pour justifier que la lutte antiterroriste doit se poursuive de plus belle. Très simplement (si vous êtes dans le camp de Bush et de Blair), cela signifie davantage de frappes militaires, pas seulement contre l'Irak (bien que le rapport avec Al-Qaida soit tout au plus défendable) mais dans le monde entier. Bush s'est engagé hier à mener sa guerre sur tous les fronts, même si la guerre sur un seul front — en Afghanistan — n'a pas permis de mettre la main sur Ben Laden. Malgré tout, Bush reste convaincu que cette approche, unilatérale si nécessaire, réussira à anéantir le terrorisme.

Les pays européens, menu fretin de la scène internationale

Au milieu de cette surenchère et de cette rhétorique agressive, où est l'Europe ? Quelle est notre position ou, plus exactement, celle de nos gouvernants ? Que faisons-nous de la grande idée de l'unité européenne sur les sujets majeurs ? Force est d'admettre qu'aujourd'hui, nous ne pouvons répondre à ces questions que par d'autres questions. Pris à part, les pays européens du XXIe siècle ne sont guère plus que du menu fretin sur la scène internationale. Leurs économies, trop petites, les empêchent de posséder un pouvoir politique qui compte vraiment. La Grande-Bretagne soutiendrait sans doute qu'elle joue encore un rôle d'acteur mondial, mais ces prétentions ne sauraient être prises sérieusement quand Blair s'essouffle pour ne pas se laisser distancer par Bush. Au contraire, la plupart des Européens sont conscients du fait que leur hégémonie nationale des siècles passés a désormais disparu, et disparu pour de bon.

Dès lors, pourquoi nos pays mettent-ils si longtemps à s'unir et pour utiliser le pouvoir découlant de cette union à bon escient ? Dans cette même semaine, de nouvelles victimes sont mortes inutilement, et les projets d'une force européenne de réaction rapide ont été de nouveau repoussés parce que l'OTAN a elle aussi l'intention d'en créer une. En elle-même, cette décision n'est pas une mauvaise chose. Les Etats-Unis déplorent que les Européens ne dépensent pas suffisamment pour leur défense. Ils regrettent aussi la réticence des gouvernements européens à allouer une part suffisante de leurs budgets à leur puissance de feu et à l'amélioration de leurs armes. Cependant, il n'est peut-être pas judicieux pour l'Europe d'essayer de rivaliser avec la puissance militaire des Etats-Unis. L'Europe est en train de chercher sa place et son rôle dans le nouveau siècle. Pourquoi alors ne pas constituer une alternative aux prouesses militaires et machistes des Etats-Unis ? En Palestine, l'Union Européenne a déjà montré son désir de trouver des solutions diplomatiques, plutôt que celles imposées par le glaive. Une force européenne pourrait être mise en place sur le modèle des troupes onusiennes de maintien de la paix. Laissons l'OTAN (dominée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne) poursuivre une politique étrangère agressive ; l'U.E. peut se faire le héraut d'une alternative moins basée sur la confrontation. L'Allemagne vient de refuser clairement de soutenir une intervention militaire en Irak, ce qui est un bon début ; mais pourquoi l'Europe ne défend-elle pas ses positions avec un peu plus de force ?

Qualifier une personne de mauvaise, c’est justifier son élimination

Les attentats de Bali sont les derniers éléments d'une série de protestations (bien qu'illégales et moralement inacceptables) contre le monde dans lequel nous vivons et, particulièrement, contre la manière dont il est gouverné. Blair a beau jeu de dire que ces gens sont "mauvais", mais c'est une analyse beaucoup trop simpliste. Pense-t-il vraiment que les centaines, voire les milliers d'Islamistes radicaux en Indonésie, en Palestine, en Afghanistan, au Pakistan et ailleurs sont tous mauvais ? Leurs chefs sont sans doute, et au bas mot, des mégalomanes qui essaient d'exploiter les passions de leurs populations. Mais suggérer que les acteurs de cette pièce meurtrière incarnent tous le mal, voici qui est intrinsèquement inquiétant. En effet, si une personne ou une chose est "mauvaise", alors il est d'autant plus simple de justifier son élimination.

Il n'est guère surprenant que Bush et Blair soient si empressés de diaboliser ces gens ; ce faisant, ils empêchent toute sympathie de l'opinion publique pour leur cause, suppriment la nécessité de comprendre pourquoi ils font ce qu'ils font, pourquoi ils sont toujours plus nombreux, et quels changements politiques fondamentaux il faut envisager. Pourtant, bien que cela soit plus difficile, c'est ainsi qu'il faut envisager la situation. Mais Bush n'est pas prêt à le faire ; et avec lui, beaucoup d'autres pays, trop effrayés par les conséquences d'une éventuelle opposition aux Etats-Unis pour contredire le gouvernement américain. Pourquoi alors l'Europe ne s'élève-t-elle pas pour poser ces questions ?

La voix de l’Europe : un murmure d’écolier en faute

La domination américaine se nourrit en grande partie des problèmes du commerce international. Pour de nombreux pays, se désolidariser des Etats-Unis signifierait une forte régression des échanges commerciaux, et un avenir économique désastreux. Cela dit, les Etats-Unis ont autant besoin des marchés européens que nous des leurs. La balance penche peut-être toujours en leur faveur, mais il n'en demeure pas moins que les Etats-Unis seraient très réticents à devoir renoncer au marché européen. Ceci donne à nos gouvernements le pouvoir de remettre en question la politique américaine. Qui sait ? Si l'Europe commençait à remettre en cause ouvertement la politique américaine, comme la France l'a déjà fait dans une certaine mesure dans le cadre de l'O.N.U., et proposait une alternative à ces problèmes (ce qui est crucial), peut-être que d'autres pays seraient plus enclins à nous soutenir.

Actuellement, l'Europe murmure qu'elle n'est pas entièrement d'accord avec la politique étrangère des Etats-Unis, mais lorsque les choses se gâtent, elle se remet dans le rang comme un écolier pris en faute. Des voix s'élèvent sans cesse contre le monde américanisé dans lequel nous vivons. Après le 11 septembre, un petit nombre d'Américains – un très petit nombre, en fait – a sérieusement voulu savoir pourquoi le monde entier les haïssait à ce point. Mais un nombre plus petit encore a demandé qu'en conséquence, leur pays adopte un autre point de vue sur la situation. L'attitude de Bush, qui consiste à répondre par les armes à tous ceux qui osent s'opposer à son pays si attaché à la "liberté", a été reprise par l'ensemble ou presque des analystes politiques. Un an plus tard, l'Occident dans son ensemble devrait se demander pourquoi autant de pays nourrissent une telle rancœur envers nos sociétés.

Beaucoup de dirigeants européens ont peur du courroux que les Etats-Unis ne manquent pas de montrer s'ils s'écartent de la politique de Washington. Une partie des médias américains feraient aussitôt pleuvoir sur nous des accusations d'antisémitisme et nous accuseraient de manquer de gratitude pour tout ce que l'Oncle Sam a fait pour nous pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce que l'Europe devrait essayer de comprendre, c'est que le monde a énormément changé depuis cette époque. Les intérêts communs qui liaient l'Europe aux Etats-Unis au siècle dernier n'existent plus aujourd'hui. Les pays européens sont les dépositaires de l'Etat-providence ; les Etats-Unis, au contraire, défendent un forme de capitalisme dont la devise est : "que le meilleur gagne". L'Europe envisage l'armée comme un instrument de maintien de la paix. Pour les Etats-Unis, elle est l'émanation d'un pouvoir militaire capable d'écraser les ennemis potentiels.

A Bali, les terroristes ont probablement tués ceux qui sont les plus à même de comprendre leurs frustrations

Si les politiques européennes et américaines divergent à ce point, pourquoi l'Europe continuerait-elle à ignorer les voix de ses citoyens, qui, par leurs protestations non violentes, appellent à l'action ? Si l'Europe proposait une vision claire et différente de la situation internationale, peut-être que les extrémistes qui, actuellement, considèrent que la seule façon de faire entendre leur cause à l'échelle internationale est de tuer d'innocentes victimes, auraient l'impression de trouver en l'Europe un allié. Un allié capable de faire front aux Etats-Unis et de les obliger à accepter que le monde n'est pas à eux seuls, mais à nous tous, et qu'ils ne peuvent pas le manipuler à leur guise ; qu'au contraire, nous devons ensemble œuvrer à le développer.

Une des plus tristes conséquences des attentats de Bali est que nombre de ceux qui ont perdu la vie étaient des jeunes, voyageurs pour la plupart, qui étaient partis en Asie pour découvrir d'autres aspects de la vie. Il s'agissait très probablement du genre de personnes qui justement remettaient en cause les valeurs occidentales (entendre : américaines) et qui cherchaient autre chose. Ces immondes terroristes ont précisément tué les personnes qui étaient les plus susceptibles de comprendre leurs frustrations. Il a fallu au gouvernement britannique 30 ans de tueries avant d'accepter l'idée qu'il fallait s'asseoir autour d'une table et écouter les problèmes qui sous-tendaient les actes terroristes en Irlande du Nord. Le même schéma semble apparaître au Moyen-Orient, où, parce que personne ne les écoute, les jeunes Palestiniens semblent penser que la seule manière d'influencer le cours des choses est de se faire exploser pour entraîner dans la mort d'innocentes victimes.

Comme nous sommes des citoyens européens et non des marionnettes américaines, il nous faut espérer qu'il ne faudra pas aussi longtemps à l'Europe pour se défaire du poids de son passé, qui l'a réduite au silence pendant si longtemps, et de s'imposer sur la scène mondiale. Les Etats-Unis n'ont pas besoin d'un courtisan de plus quand tant de pays dans le monde sont prêts à s'effacer dans leur ombre. Les Etats-Unis et le reste du monde ont grand besoin de quelqu'un qui puisse mettre en avant un autre point de vue et qui possède l'influence nécessaire pour faire prévaloir ce point de vue dans les cercles diplomatiques et politiques. C'est ce que le terrorisme ne parviendra jamais à réaliser. En revanche, une voix européenne unie et forte pourrait bien être la solution dont le monde a désespérément besoin.

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Translated from Will Europe ever shake off the American puppeteers who pull its foreign policy strings?