« L'Europe peut apporter plus de concret à ce G8 »
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Invité ou acteur : quel rôle le G8 laisse t-il à l’Union européenne ? Le point sur cette présence ambiguë mais porteuse d’espoir avec Patrick Girard, professeur de géopolitique à Lyon et Susanne Nies, directrice de recherche sur les questions européennes à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Depuis 1977, l'UE siège aux sommets du G7 d'abord, puis du G8. Mais contrairement à la Russie qui a intégré le cercle très fermé des chefs des Etat les plus riches du monde en 1998, l'UE reste reléguée au rang d'observateur. Encore pour longtemps ?
José Manuel Barroso est présent sur toutes les photos officielles du G8 or personne ne parle de G9. Pourquoi l'UE n'est-elle pas membre à part entière ?
Susanne Nies : Le G8 est un forum informel, qui n'a pas de statut propre, comme l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou l'ONU. La représentation de l'Europe au niveau international a commencé au sein du GATT, de l'OMC et enfin du G7 en tant qu'observateur. Le problème ? Ses compétences n’étant pas clairement définies, sa présence reste symbolique. Or son intégration serait un grand pas politique.
Patrick Girard: Le G8 fonctionne sur un modèle à « géométrie variable». L'Europe suit d'ailleurs le parcours de la Russie, observatrice pendant les G7, puis nation invitée avant de finalement s'intégrer complètement au cercle. Toutefois, il reste encore des freins à l'intégration de l'UE au G8. L'Europe n'est ni un Etat, ni une fédération d'Etats. De plus, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Italie sont déjà membres du G8. Le fait d'avoir, autour de la même table, une représentation de type fédérale ET des représentations d'Etats fédérés est assez gênant. A l'OMC, les Etats nationaux n'ont pas hésité à se retirer au profit d'un seul représentant européen. Pour que l'UE participe au G8, il faudrait que les Etats membres parvienne à un accord. Ensuite, tout dépend de ce que l'on veut faire de ce G8. C'est quand même un club de nations assez fermé, à l’aura mondialiste. Si le G8 essaie petit à petit de s'ouvrir sur de nouveaux enjeux, je pense qu'il n'engendrera jamais autant de débats que ceux ayant lieu à l'OMC ou à l'ONU.
L'Union européenne parle-t-elle d'une seule voix au G8 ? Comment s'organise-t-elle ? Quel est le poids d'un pays comme la Lettonie ?
SN : Tout dépend des sujets traités. Souvent ce qui est évoqué au G8 a déjà été débattu par la communauté internationale, comme le dossier du nucléaire iranien. Dans ce cas, il est clair que les Vingt-Cinq parleront d'une seule voix. Cette année, le grand thème est celui de l'énergie. L'Europe ne pourra pas représenter les souhaits de chacun des ses membres. Le problème est d’ailleurs à l’intérieur même de l'UE, qui n'arrive toujours pas à dépasser les perspectives et intérêts nationaux dans ce domaine.
PG : Les plus petits pays bénéficieront davantage du sommet du G8. L'Union européenne fonctionne toujours sur une forme de « marchandage ». Les Chypriotes ou les Lettons, sur un pied d'égalité avec les grandes puissances européennes, peuvent débattre d'autres enjeux, afin d’éviter un blocage sur les dossiers du G8. Au final, pour obtenir un consensus au sujet du G8, chacun va négocier au point de se retrouver avec une proposition sans réelle saveur.
Est-ce vraiment utile d'avoir une représentation européenne au G8 ?
SN : Il est nécessaire de favoriser la représentation de l'Union européenne à l'échelle internationale. C'est pourquoi il faut défendre l'Europe des projets ou la « méthode européenne » fondée sur le multilatéralisme. Les Etats-Unis ou la Russie ont du mal à comprendre cette optique mais le dossier du nucléaire iranien reste un grand succès pour les Européens : la table des négociations a réuni non seulement l'Iran, l'Europe et les Etats-Unis mais aussi la Chine et la Russie.
PG : Le but de Bruxelles est de se positionner comme un véritable acteur de la scène internationale, à l'égal des pays comme les Etats-Unis, la Russie et bientôt la Chine. La présence de l’UE au G8 est un symbole de visibilité tout en démontrant qu'il existe peut-être un autre modèle économique à suivre que les modèles ultra-libéraux vus au G7. La présence européenne peut représenter un avantage dans la mesure où les Vingt-Cinq ont l'expérience de la négociation depuis de nombreuses années, une qualité nécessaire à la prise de décisions, de textes, de traités communs. Si l'Europe s'impliquait en tant que membre à part entière, le G8 serait transformé et oeuvrerait pour des dossiers pragmatiques, comme le lancement de chantiers pour l'environnement ou l'aménagement du libéralisme. Je crois que l'Europe peut amener plus de concret au sein de ce G8.
Est-ce qu'il y a des succès attribuables à l'UE après un sommet du G8 ?
SN : Non. Le G8 reste un forum d'échange informel, ce n'est pas l'ONU. Il s'agit d'un dialogue plutôt détendu dont il ne sort jamais de vrais résultats.
PG : L'idée du G8 est de se rencontrer, entre chefs d'Etats en dépassant toutes les barrières, tous les intermédiaires, pour traiter des affaires de manière rapide, spontanée et en bonne camaraderie. Mais depuis une dizaine d'années, le G7 puis le G8, sont devenus des évènements plus folkloriques et symboliques qu'autre chose.