« L’Europe fait peur parce que les gens ne la connaissent pas »
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« L’unité est le pouvoir ». C’est le message que porte sur l’Europe Yannis Mouhoun dans son court métrage intitulé Voices for Europe. Réalités, incertitudes, enjeux nouveaux. Le jeune réalisateur français nous raconte son Europe à lui.
cafébabel : Pouvez-vous expliquer quel message vous avez voulu faire passer dans votre court métrage ?
Yannis Mouhoun : Voices for Europe découle d’un constat : l’Europe est mal perçue dans l’opinion publique des différentes nations qui la composent. Ce qui justifie aujourd’hui l’existence de l’Union européenne, ce sont seulement des arguments d’ordre pragmatique, c’est à dire un choix de raison économique et une politique structurelle. Pour créer une réelle volonté d'adhésion populaire et incarner une légitimité solide, je crois qu'il manque encore quelque chose à l'Europe. J’estime qu’une nation est un construit social et culturel et je crois que l’Europe, au sens fédéral du terme, a oublié d’exister par elle-même dans le sens où elle n’a pas sa propre histoire. Elle est la somme d’intérêts, d’histoires et de traditions nationales. C’est un bloc démographique exceptionnel avec une forte puissance économique et une organisation politique des plus sophistiquées, mais je pense qu’elle n’a pas réussi à définir un ensemble de valeurs qui lui sont propres. Il lui manque un storytelling, qui justifie son existence.
cafébabel : Comment vous est venue l’idée de créer Voices for Europe ?
Yannis Mouhoun : Le contexte d’abord est important. Avec les élections en France et en Allemagne, je me suis dit qu’il serait intéressant d’avoir une approche émotionnelle. Je me suis beaucoup questionné sur la façon dont communiquait l’Europe et je trouve que la communication des institutions européennes est désastreuse, qu’elle renvoie une image ultra technocratique. L’idée de mon projet, c’était de mettre tous ces points techniques de côté et de réinstaurer une définition fondamentale. Pourquoi on a fait l’Europe ? Pour la paix, la prospérité et le progrès. Comme beaucoup de gens, j’ai grandi dans un pays avec des frontières. On nous expliquait qu’elles étaient importantes parce qu’il faut définir l’autre pour se définir soi. En voyageant, je me suis rendu compte que notre génération avait développé une culture et des pratiques relativement uniformes qui dépassent les antagonismes nationaux. Je crois que l'Europe fait peur à ceux qui ne la connaissent pas.
cafébabel : Comment avez-vous vécu l’ascension de Marine Le Pen et le choix de 11 millions de Français de voter Front National ?
Yannis Mouhoun : C’était prévisible. En France, on a tellement peur du Front National que l’on part du principe qu’il est impossible de débattre avec. Il est toujours difficile d’argumenter avec quelqu’un qui ne joue pas sur le terrain de la vérité. Cela a été le même problème aux États-Unis avec Trump qui disait pourtant n’importe quoi. On en vient à se demander s’il ne faut pas attendre que les populistes arrivent au pouvoir pour que les gens se rendent compte qu’ils sont incapables de gouverner.
cafébabel : Quel est votre avis sur l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République ?
Yannis Mouhoun : Pour une fois, les planètes sont alignées. Il n’y a quasiment que des pro-européens à la tête des nations. En Allemagne, les élections vont se jouer entre Merkel et Schulz, tous les deux sont pour l’Europe. Je pense que notre grande chance actuelle, c’est celle du Brexit. C’est le seul sujet qui va mettre d’accord les 27 pays. S’il se transforme en succès pour les Britanniques, l’Union européenne n’aura plus aucune raison de continuer à fonctionner telle qu’elle le fait aujourd’hui. Si le Brexit marche pour eux, le seul argument défendu par les Européens depuis les années 90 s’effondre. Je suis convaincu que dans un monde globalisé qui a tendance à s’organiser par bloc, le sens de l’histoire est celui de l’Europe Fédérale. Politiquement, cela aurait du sens et culturellement ce serait une évidence. L’élection de Macron me donne de l’espoir, parce que je suis profondément pro-européen. Mais je ne crois pas que son élection puisse mener l’Europe d’aujourd’hui au fédéralisme, l’héritage de l’État Nation y étant trop ancré depuis des siècles.
cafébabel : Comment se fait-il que des jeunes continuent à s’engager en faveur de l’Europe ?
Yannis Mouhoun : J’ai tendance à penser que se forme en Europe une des jeunesses les plus éduquées du monde. L’éducation va avec la conscience de soi et en celle du monde qui nous entoure. J’ai confiance en la génération qui arrive. Certes, elle a grandi dans le confort, mais je trouve qu’elle a été confrontée à plus de réalités. On a beaucoup plus voyagé que nos parents, on parle plus de langues qu’eux, et nous avons un rapport moins nerveux au reste du monde.
cafébabel : Comment voyez-vous l’Europe dans dix ans ?
Yannis Mouhoun : Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de bouleversement majeur en dix ans. Par contre deux scénarios sont possibles à long terme. Soit on tend vers une plus grande harmonisation des politiques européennes, soit l’Europe se défait et laisse la place au populisme. C’est quelque chose d’envisageable, même si je reste convaincu que si l’Europe vient à s’effondrer, elle pourra se reformer plus tard. Je n’oublie pas que le rêve européen existe depuis le 19ème siècle. Mais il n’est pas impossible que des leaders européens puissent mettre en place dans les prochaines années un gouvernement unique de la zone euro sans qu’il y ait de grands chambardements pour autant. À l’heure actuelle, la réussite de l’Europe va dépendre de l’aptitude des gouvernements à relancer leurs activités économiques. Quand une nation redistribue bien ses richesses, elle partage sa prospérité au lieu de se chercher des ennemis. On en est là en France.