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L'Europe de la défense, première victime de la crise irakienne?

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Après des progrès spectaculaires, la PESD semble marquer un temps d’arrêt. Face à la désunion européenne posée par la crise irakienne, seule l’émergence d’une culture européenne de défense permettra de sortir l’Europe de la défense de l’enlisement.

La reconnaissance par les Etats membres de la légitimité de l’Union européenne (UE) pour la coopération dans le domaine de la défense constitue déjà une révolution des mentalités, notamment pour des pays neutres, comme l’Irlande, ou des pays très attachés à l’Alliance atlantique, comme les Pays-Bas.

Cependant, la PESD s’est développée dès l’origine sur une ambiguïté fondamentale qui éclate au grand jour à l’occasion de la crise irakienne : celle des rapports qu’entretient l’UE avec l’OTAN. La France et le Royaume-Uni, à l’origine du renouveau de la question de la PESD à l’occasion de la déclaration de Saint-Malo ont des positions radicalement différentes sur ce point : pour Londres, la défense européenne ne peut se concevoir hors du cadre de l’OTAN, tandis que Paris ne cache pas sa préférence pour une défense européenne autonome de la structure atlantique. Même si les divergences ont été jusqu’alors mises de côté, cet exemple démontre qu’il n’existe pas de communauté de vues sur les finalités de la PESD à moyen ou long terme

La question de l’existence d’une culture de sécurité et de son rôle dans le succès de la PESD se trouve posée. Une culture commune de sécurité implique non seulement la disparition progressive des divergences les plus criantes entre les Etats membres, mais aussi une socialisation croissante des personnels militaires et diplomatiques ainsi que l’adoption d’un véritable concept stratégique et un accord sur le format de l’outil militaire dont veut se doter l’Union. Sans un tel socle, la PESD est vouée à l’échec.

Une culture d’intervention européenne

Jolyon Howorth, chercheur à l’Institut européen de sécurité, a récemment tenté de définir les grandes lignes d’une approche européenne de politique de sécurité pouvant servir de fondement à une « culture d’intervention » européenne. Cette approche repose sur plusieurs grands principes comme le respect des règles de droit international, le respect des institutions internationales, la défense du multilatéralisme et sur une combinaison des instruments civils et militaires, privilégiant autant que possible les premiers sur les seconds (1). Pour Robert Kagan, chercheur américain néo-conservateur, ces choix sont la conséquence d’une stratégie du faible au fort, fruit de l’inégale répartition de la puissance militaire entre les deux rives de l’Atlantique entraînant une vision différente de l’intérêt national (2).

Autant de valeurs qui correspondent à un rejet des principes réalistes plaçant la puissance comme instrument privilégié de la politique étrangère. Si cette voie européenne tend à privilégier la soft power chère à Joseph Nye, elle implique aussi, et c’est la nouveauté, l’utilisation d’éléments de hard power comme la force de réaction rapide. Elle fait néanmoins la part belle aux instruments de gestion civile des crises comme l’aide au développement, les incitations commerciales ou l’aide à la reconstruction, et favorise la prévention des conflits. Cette vision européenne des relations internationales constitue la base d’une culture de sécurité.

L’émergence d’une culture de sécurité profite également des effets de la mise en place d’une structure institutionnelle propre à la PESD. La première tâche que se sont assignée les gouvernements des Etats membres a été de mettre sur pied un mécanisme institutionnel propre à la PESD, tel que prévu lors du sommet européen de Nice. Ces nouvelles structures européennes, jusqu’alors inédites dans le domaine de la défense, sont l’occasion pour les Etats membres d’apprendre à travailler ensemble sur les questions relatives à la politique extérieure de l’Union et contribuent à la création d’un sentiment de communauté d’intérêt. Les fonctionnaires en poste à Bruxelles développent des visions de la PESD allant dans le sens d’un renforcement encore plus prononcé de la coopération européenne en matière de défense. Ces préférences propres résultent d’une socialisation à l’œuvre au sein de ces structures qui présentent toutes un degré croissant d’institutionnalisation. Cette institutionnalisation se mesure notamment par la mise à disposition d’un personnel adéquat et de locaux distincts, ainsi que par la capacité de ces structures à organiser leurs travaux et leur organisation interne selon leurs besoins.

L’Irak, un coup fatal à la PESD ?

Il existe aujourd’hui des conditions favorables à l’émergence d’une culture de sécurité européenne. Mais celle-ci se heurte aux effets de la crise irakienne. En choisissant de s’aligner sur la position américaine passant outre le mandat des Nations unies pour une intervention en Irak, plusieurs Etats membres et pays candidats ont clairement mis en cause le socle sur lequel pouvait reposer une culture européenne de sécurité. Or, le respect du droit, des institutions internationales et du multilatéralisme sont justement parmi les principales composantes de l’approche européenne de sécurité. La situation se révèle d’autant plus délicate que les Etats concernés sont parmi les plus impliqués dans la relance de l’idée d’une défense européenne. En effet, le Royaume-Uni était à l’origine du processus par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et l’Espagne fait partie de plusieurs coopérations importantes en matière d’armement.

La crise irakienne met également en lumière le problème crucial des relations transatlantiques. La France souhaite une PESD afin de doter l’Union d’une autonomie stratégique par rapport aux Etats-Unis alors que le Royaume-Uni envisage clairement la PESD comme un moyen de renforcer la composante européenne de l’Alliance atlantique. Cette ambiguïté originelle ne résiste pas à la crise irakienne. Le Royaume-Uni a démontré son attachement premier à la solidarité avec les Etats-Unis tandis que la France agit conformément à sa tradition « d’allié autonome ». Comment la PESD pourra-t-elle se développer à l’avenir dans un climat de coopération sereine avec l’OTAN ? La France est un des pays leader dans le dossier Europe de la défense et elle se révèle aujourd’hui en porte-à-faux avec son principal partenaire dans ce domaine, le Royaume-Uni. L’Europe de la défense n’a clairement rien à gagner d’une confrontation entre les deux principales puissances militaires de l’Union.

En mettant à nu les contradictions au cœur du projet de la PESD, la crise irakienne peut néanmoins servir de détonateur, à l’instar de la guerre du Kosovo qui avait permis une prise de conscience de la nécessité d’un rééquilibrage entre les Etats-Unis et l’UE dans le domaine de la défense. Cette crise doit également conduire les Etats membres à réaliser l’urgence de l’élaboration d’un concept stratégique. Une réflexion approfondie doit intervenir à propos des priorités de la PESD au lieu d’enfermer les débats dans la mécanique institutionnelle.

Les Etats membres sont désormais face à leurs responsabilités concernant la PESD. La crise irakienne présente l’avantage de mettre à jour le cruel manque de vision de long terme de l’Europe de la défense. Si les Etats membres souhaitent mettre à profit les progrès réalisés depuis 1998, un saut qualitatif est nécessaire, et celui-ci passe par une réflexion sur les objectifs de long terme de la PESD. De cette capacité à bâtir une culture de sécurité, dont les fondations existent mais sont aujourd’hui mises à mal, dépend l’avenir de l’UE comme acteur des relations internationales.

(1) Jolyon HOWORTH, « The CESDP and the forging of a European security culture ?», Politique européenne, n° 8, automne 2002, p. 104.

(2) Robert KAGAN, « Puissance et faiblesse », Commentaire, n°99, automne 2002.