L'Europe a besoin d'une autre histoire
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À l'occasion de la Journée de l'Europe, le 9 mai 2018, nous publions une tribune qui appelle à changer le récit sur l'Europe actuelle. Parce que nous pensons qu'il appartient tout simplement aux jeunes d'écrire la suite de l'histoire du Vieux Continent.
C’est de nouveau le 9 mai. La Journée de l’Europe qui célèbre la déclaration Schuman de 1950. Le jour où les Européens, après des siècles de conflits, ont décidé d’arrêter les frais. Les livres d’Histoire s’en rappelleront comme la date de création de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier, conçue pour faire en sorte que la France et l’Allemagne ne puissent plus se faire la guerre et à la place, travaillent ensemble... Vous connaissez la suite.
Le 9 mai 1950, l’Europe avait une bonne histoire à raconter. Elle s’appuie alors sur des rêves de gloires, des récits mirifiques et d’illustres personnages. Elle sort d’une guerre atroce mais se relève plus forte, bardée d’idéaux et de grandes intentions. L’Histoire la regarde et à travers elle, aperçoit toute la splendeur du Vieux Continent. Il n’est pas encore question d’institutions. L’Europe est un roman. Dans son livre publié en 1961, History of the Idea of Europe, l’homme politique italien Federico Chabod se penche sur la notion de « conscience d’être Européen » qu’il pense comme un mélange d’antiquité gréco-romaine et d’idées françaises, italiennes, allemandes, britanniques qui ont dominé les siècles précédents. Les lumières s’appellent Burke, Guizot, Machiavel, Montesquieu, Rousseau, Voltaire... Vous connaissez la suite.
Disons le tout de suite : aujourd’hui d’histoire, l’Europe n’en a plus. Un demi-siècle après les fondations posées par Schuman, Monnet ou Chabod, l’Europe n’est plus qu’un concept intangible, devenu extrêmement difficile à défendre. À l’occasion des « grandes » manifestations européennes, il suffit d’allumer la télé, son ordinateur ou son téléphone pour s’apercevoir qu’il est désormais convenu de la détester.
Et nous, nous sommes arrivés à la fin d’un livre que l’on referme trop vite. Trop tard. Quelque part dans les années 2000, l’Europe a arrêté de s’écrire. Nous venions à peine de commencer nos études que l’histoire qui nous est contée est alors celle d’une désillusion. Jetés dans un monde qui s’écroule comme deux tours jumelles, nous grandissons dans un mélange de mots anxiogènes (la crise, l’austérité) et d’acronymes (MESF, BCE, FMI). En guise de nouveau chapitre, nous héritons de celui sur la dette, celle que nous devrons payer. Nous avons 20 ans, et nous sommes déjà foutus. D’ailleurs, l’époque nous le rappelle tous les jours. En multipliant les surnoms sur notre génération tour à tour « perdue », « sacrifiée », « gâtée », « pourrie », « condamnée ». En l’associant aux dernières lettres de l’alphabet : « XYZ ». Difficile de connaître la suite quand on est à la fin.
Mais alors, que s’est-il passé ? Rien et tout. Rien, d’abord parce que l’Europe s’écrit dans des espaces désincarnés où il ne s’agit plus de la raconter mais de l’expliquer et de la défendre avec des armes qui ressemblent à des carabines à bouchon. Tout, parce que dans le vide narratif, ont poussé d’autres formes de récits : passionnés, bruts, extrêmes. D’un livre ouvert qu’il convient à tout un chacun de remplir, l’Europe est simplement devenue l’UE, cette tour d’ivoire qui charrie les fantasmes et les sermons. Est-ce un beau discours devant le Parlement européen qui pourra tout changer ? Soyons sérieux... Autrement nous serions toujours coincés dans une conception binaire, manichéenne, dichotomique. Une histoire sans fin où il s’agit d’être « pro-UE » ou « anti-UE ».
Vous l’aurez compris, nous voulons changer l’histoire que l’on raconte sur l’Europe. Nous voulons qu’elle quitte les couloirs ombragés de Bruxelles, qu’elle abandonne son jargon bizarre et ses acronymes compliqués. Nous voulons qu’elle parle à tout le monde, qu’on la voit partout, qu’elle cesse d’être un concept abstrait pour devenir une réalité concrète. Comment ? En changeant la manière dont en parle. Nous sommes en 2018 et malgré tout, il reste de bonnes histoires à raconter. De ces digitals nomads qui tiennent le monde au bout de leur clavier à Lisbonne à ce jeune combattant kurde venu trouver refuge en Scandinavie. Ou de cette jeune lanceuse d’alerte slovaque à deux doigts de faire tomber son gouvernement à cette trentenaire italienne qui a contribué à porter Emmanuel Macron à la présidence de la République.
Une histoire a également besoin de voix. Nos futurs intellectuels européens – nos prochains Montesquieu, Mazzini ou Burke – devraient pouvoir parler et lire dans différentes langues. C’est pourquoi nous devons redoubler d’efforts pour proposer un nouvel environnement européen dans lequel la jeune génération devrait être capable de prendre sa place. Une nouvelle expérience, créative et positive qui impactera à la fois la sphère politique et médiatique. Un mouvement qui prendra le meilleur de l’esprit de notre génération et qui mettra au défi l’ensemble des jeunes européens de raconter leurs quotidiens ou celui des autres pour enfin décrire le continent, des steppes russes aux falaises ocres de Faro. L’histoire de l’Europe n’est pas terminée, il nous appartient juste d’écrire la suite.
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