L'Euro un pont entre les nations, une fenêtre sur l'avenir
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Entre relecture de l'histoire et mise en équation de l'avenir, les politiques et économistes ont bien du mal à s'accorder sur la question de l'Euro.
L'Euro, notre monnaie depuis 30 ans
Entre relecture de l'histoire et mise en équation de l'avenir, les politiques et économistes ont bien du mal à s'accorder sur la question de l'Euro. La date du 1er janvier focalise cependant l'attention et élude bien souvent le passé de cette monnaie. L'Euro a remplacé nos devises nationales depuis 3 ans, et l'on s'oriente vers cet objectif depuis trente ans. Seul le support symbolique, la représentation concrète des monnaies qui ne sont plus, disparait le 1er janvier.
En outre, les conséquences de l'Euro n'auront pas toutes attendu la date symbole du 1er janvier 2002 pour se manifester : on a déjà pu se rendre compte au cours des trois dernières années des effets de l'Euro au niveau financier.
On est surtout amené à s'interroger sur l'incohérence de certains discours, qui se targuent d'objectivité économique tout en restant fidèles à des positions idéologiquement orientées. Il apparaît aussi que la prise en considération de variables sociales est le plus généralement écartée, effaçant la nécessité pressante d'associer au nouvel espace monétaire un espace de responsabilité politique, économique et sociale partagée.
La politique monétaire c'est autre chose qu'un changement d'apparence
Si l'arrivée des premiers billets et pièces en Euro constitue un événement marquant pour trois-cent millions d'Européens, la politique de la monnaie, moins visible pour le consommateur, a plus d'impact sur nos économies que le changement d'apparence de nos billets. C'est une politique que nos pays ont mis en commun, une politique monétaire qui est elle même le fruit d'une volonté d'intégration plus forte entre nos nations. Une volonté qui ne se limite déjà plus à l'économique. Cette politique monétaire existe maintenant depuis 30 ans : En 1972 déjà, nous abandonnions, contraints par les événements, une part de notre marge de manoeuvre en matière de politique monétaire. Le serpent monétaire européen était un système qui limitait les fluctuations des devises européennes par rapport au Dollar.
C'est pourquoi la concentration du débat sur l'arrivée de la nouvelle monnaie fiduciaire n'est guère pertinente, alors que l'usage de l'Euro est déjà une réalité depuis trois ans.
Plus on est nombreux, plus on est stable
En 1979, le système monétaire européen permet la création d'une zone de stabilité monétaire. En juillet 1990 entre en vigueur la première phase de l'Union Economique et Monétaire qui permettra la mise en place de principes de convergences des économies, de principes de surveillance mutuelle et finalement la création d'une banque centrale commune en 1998 et la naissance de l'Euro, le 1er janvier 1999. Toujours l'idée sous-jacente était que les fluctuations de nos "petites" devises nationales ne pouvaient avoir comme effet que de générer des distorsions préjudiciables à la croissance de nos économies. L'introduction de la monnaie unique n'est que l'aboutissement de ce processus de stabilisation. Toutes ces années on été consacrées au rapprochement de nos économies pour pouvoir finalement adopter une monnaie unique et donc une politique monétaire commune. C'est chose faite depuis quelque temps. La Banque Centrale Européenne, banque centrale la plus indépendante au monde, décide déjà de nos besoins en monnaie, et ceci à l'abri de toute pression politique.
L'Euro, victime de l'instrumentalisation idéologique ?
Avec l'apparition palpable de la devise, les débats théoriques s'amplifient. Pour certains l'Europe n'est pas un espace suffisament homogène pour se doter d'une devise unique, pour d'autres l'introduction de l'Euro force la marche vers l'unification. Pour les partisans d'une monnaie forte, l'Euro a déjà démontré sa faiblesse, pour les partisans d'une monnaie faible, l'Euro serait trop fort. Pour les plus enthousiastes, l'Euro donne naissance à un premier symbole concret et fort de l'identité européenne. Pour les plus pessimistes, on a eu tort de confier la gestion de notre monnaie à un bureaucrate dont la carrière ne dépend d'aucune élection, nous allons perdre en bien être.
Les intérets politiques s'expriment autour de la gestion de cette monnaie, on y voit un symbole, un instrument de puissance et de domination ou, au contraire, une perte de liberté nationale et l'aveu d'une faiblesse structurelle.
On est finalement bien loin de l'idée des premiers économistes classiques selon laquelle la monnaie ne serait qu'un voile, un instrument neutre facilitant les échanges. Bien d'autres considérations entrent en compte, un débat d'idées est né à l'échelle de l'Europe.
L'Euro identitaire ?
On voudrait faire de l'Euro le symbole de l'identité et de la volonté des Européens de vivre ensemble. Toutefois, la monnaie, si elle est un des éléments définissant une identité nationale, ne peut aucunement résumer cette dernière. Celle-ci s'appuie également sur une histoire, des traditions politiques, des valeurs communes. Plus d'ailleurs que l'identité d'un groupe, la monnaie forme un signe de la mainmise d'un pouvoir centralisé sur un territoire. Or l'Euro présente cette particularité d'être une monnaie commune qui ne soit non plus signe d'un pouvoir politique centralisé, mais qui est censé en accélérer la formation. La monnaie unique impliquera à terme l'union politique, la convergence toujours plus grande des politiques, d'abord économique mais aussi sociale. Face aux hésitations sur la définition et la forme de l'Europe politique qui sont apparus aux traités d'Amsterdam et de Nice, c'est encore une fois affirmer la veine fonctionaliste qui avait prévalu lors de la création de la CEE en 1957 et qui avait en effet aidé la construction communautaire à sortir de l'impasse où l'avait jeté l'échec de la CED en 1954.
L'Europe politique dépassera t'elle l'Europe économique ?
On peut douter de la capacité de l'Euro à créer à lui seul cette identité européenne sans laquelle l'Europe politique est vouée à l'échec. Focaliser l'attention du grand public sur le bel effort de convergence qui a permis la mise en place de l'Euro pour laisser dans l'ombre le flou et les dissensions sur l'Europe politique peut aussi s'avérer dangereux. A faire dépendre la formation de l'Europe politique de l'Euro, on prend le risque de jeter une certaine désaffection sur l'union politique si pour des raisons psychologiques ou conjoncturelles l'Euro ne répondait pas aux attentes.
Politique et économique : l'équation juste
L'incohérence des débats actuels sur l'Euro tient en partie à la trop faible place accordée aux prévisions économiques. Là encore, la focalisation du discours sur le premier janvier 2002 n'a probablement pas joué positivement. Si la nouvelle monnaie rentre désormais dans nos portefeuilles, l'Euro est déjà une réalité quotidienne depuis 1999, les devises nationales n'ayant plus d'existence autonome depuis trois ans. Et tandis qu'économistes et prévisionistes ont pu observer pendant toute cette période la mâturation difficile de la devise communautaire, les opinions publiques n'ont guère bénéficié d'informations claires et complètes sur les débuts chaotiques de l'Euro, qui nous ont plus ou moins pris par surprise. Cette grave carence d'information et de débat forme un handicap de plus dans le nouveau système économique qui ne trouvera sa cohérence que lorsque l'espace monétaire sera complété par un véritable espace de responsabilité et d'initiative.
Causes et les conséquences des secousses subies par le SME depuis l'adoption de l'Euro comme devise commune
Dès la première moitié de l'année 1999, l'Euro a connu une forte dépréciation qui fut l'objet d'un débat plus chargé de tentatives de se voiler la face que d'apport de prévisions réalistes.
Fin 1998, les économistes misaient sur un excédent de la balance européenne des paiements courants et sur un déficit de la balance américaine. La conséquence prévue était l'augmentation de la demande en direction de la devise européenne qui aurait alors eu tendance à se survaloriser. On pensait aussi que les banques centrales formeraient de grandes réserves en Euro. Ces données avaient incité, avant le lancement de l'Euro, à la plus grande prudence. On allait jusqu'à envisager la possibilité d'une surévaluation durable.
Pourtant, en dépit de ces prévisions optimistes, l'Euro n'a cessé de se dévaluer dans le courant 1999. Pour expliquer cette dévaluation, les économistes ont fourni de nombreuses hypothèses, comme le différentiel de croissance prévisionnelle entre l'Europe et les Etats-Unis. Les taux de croissances prévus pour les Etats-Unis étaient nettement plus forts que ceux prévus pour l'Europe, ce qui aurait sérieusement freiné les investissements en direction de la zone Euro, et aurait contredit les espoirs de croissance durable de la demande pour la jeune devise. Quant aux quelques bénéfices apportés par la dépréciation à la balance commerciale européenne, ils sont renversés par le lourd déficit qu'elle a occasioné au niveau de la balance des capitaux.
Une carence politique flagrante
L'une des premières hypothèses reste clairement la carence politique du nouvel espace économique. Les faiblesses du nouveau système sont apparues tout d'abord dans l'incapacité de l'Europe des Quinze à répondre de façon cohérente à la crise de la dévaluation, notamment en raison de déséquilibres institutionnels. Le symptome le plus évident de celle-ci est la quasi absence de mécanisme de co-décision qui associerait la Banque Centrale Européenne aux responsables politiques nationaux et communautaires. Le discrédit jeté sur le directeur de la BCE, Wim Duisenberg, le démontre.
Cette faiblesse tient pour une grande part au fait que, inspirée par la veine fonctionaliste, l'instauration du système monétaire européen est censée créer un effet d'appel qui accélèrerait la marche vers plus de co-décision. Mais il ne faudrait pas que ce fonctionalisme qui caractèrise l'édifice institutionnel de l'Europe communautaire porte préjudice à l'économie, surtout dans un contexte de crise et de ralentissement de la croissance. Surtout, une telle faiblesse risque de limiter trop fortement notre indépendance économique. Par manque d'initiative politique, nous risquons au pire de nous contenter d'une perpétuelle adaptation au contexte économique mondial, au mieux d'y jouer un role guère influent. Quelque soit la priorité accordée à la dimension poltique ou à la dimension économique, les deux sont indissociables si l'on veut réaliser un ensemble économique et monétaire cohérent. Il ne s'agit pas d'une attente idéologique, mais d'une nécessité de bon sens.