Lettre ouverte à Roberto Saviano : l'expatriation n'est pas une fuite, bien au contraire !
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Adriano FaranoL'écrivain napolitain a annoncé qu'il quitterait l'Italie suite à la découverte d'un plan de la Camorra à le tuer avant Noël. Cher Roberto, J'ai appris avec tristesse ta volonté de t'expatrier. Mais saches que je l'approuve et que je la comprends.
Cela m'attriste de constater à quel point la Camorra a transformé, modifié génétiquement et altéré ta sphère privée.
En même temps, j'ai envie de te dire que je comprends et que j'approuve ton choix parce que toi aussi, à 28 ans (nous avons le même âge), tu as le droit de vivre ta vie.
Mais attention : émigrer d'un pays comme l'Italie, en venant d'une terre telle que la Campanie ne signifie pas jeter l'éponge. Charles De Gaulle a t-il peut-être, lui, jeté l'éponge lorsqu'il a quitté la France de Vichy et décidé d'organiser la résistance depuis l'Angleterre avec Radio Londres ?
A un niveau bien au dessous de ta lutte éthique et de la bataille historique du Général, les deux millions de jeunes italiens qui sont partis vivre à l'étranger ont-ils peut-être jeté eux aussi l'éponge ?
Bien sûr que non. Les émigrés ne sont pas des fuyards. Ils ont – nous avons – opéré un geste inconscient, de protestation contre les conditions déplorables de notre pays. En émigrant, nous avons quitté le pays des recommandations, de la gérontocratie, de la politisation de la santé et de l'université, le pays de cette criminalité organisée si bien enracinée – comme tu nous l'enseignes – dans le tissu social et économique avant même de devenir émergence judiciaire.
Mais que les artisans de cette Italie ne s'inquiètent pas. Avec Internet et les nouvelles technologies, nous ne sommes pas complètement partis. Et c'est même cela notre force explosive, la force de nous, les nouveaux migrants qui ne sommes pas migrants, fils de l'eurogeneration.
Nous observons l'Italie avec détachement. De l'extérieur – tu sais, Roberto – elle est encore plus belle et plus injuste, forte de potentiel mais frustrée.
Mais l'expatriation, aujourd'hui, n'équivaut pas à un adieu. Finis les navires transatlantiques et les mouchoirs blancs agités par nos aïeux, eux, jamais rentrés. Aujourd'hui, nous partons pour être plus présents.
Voilà, mon désir est le suivant : que, loin de la torture et de la peur quotidiennes, tu puisses utiliser la force d'Internet pour consolider une conversation avec tes lecteurs, avec ta terre, avec ton pays.
Que tu puisses trouver sur le Web – et tu sais que cafebabel.com avec ses babelblogs est à ta disposition, humblement ! – ce réel espace d'expression. Pour faire entendre ta voix. Encore plus. Parce que tu seras finalement libre.
Avec affection, prends soin de toi.
Adriano Farano
P.S. Je veux signaler l'événement de soutien à Saviano organisé par les étudiants de Sciences-Po le 6 décembre à 15h place d'Italie !
P.S 2: les photos, de Francesco Piccinini, datent de l'interview exclusive que je réalisai avec Roberto Saviano. Vous pouvez lire et regarder la vidéo-interview (premier et second épisode) sur le magazine de cafebabel.com.
Translated from Carta abierta a Roberto Saviano: expatriarse es lo contrario de fugarse