L'étrange cas des Oriundi italiens, entre foot et identité
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Cécile VergnatLa question des footballeurs étrangers d’origine italienne qui jouent pour l’équipe nationale se pose depuis près d’un siècle. Si une issue semble s'ouvrir pour les stars de la Nazionale, des milliers d'enfants d'immigrés italiens dribblent toujours dans une surface bureaucratique plus que vaseuse.
On se rappellera du Mondial brésilien comme le tournoi de la double nationalité. Dans une compétition où près de 274 footballeurs possèdent deux passeports, un grand débat de société s'est immiscé dans le passage d’une équipe à l’autre où la frontière entre droit du sol et droit du sang n’est plus sacrée.
Glissement de terrain
L’Europe connaît bien le cas des footballeurs, fils d’immigrés de seconde ou de troisième génération. C’est notamment le cas de la Suisse, de la France « black-blanc-beur », de l’Allemagne, de la Hollande ou de la Belgique. Seulement en Italie, comme souvent, la situation est différente. Communauté à part, les « Oriundi » (les étrangers d’origine italienne, ndt) focalisent toute l'attention lorsque l'on s'intéresse au sujet de la double-nationalité dans le foot. Le terme a trouvé ses origines dans le sport et s’est ensuite répandu dans la société. Il dérive du latin oriri, « être né » et désigne ceux qui sont nés dans des pays étrangers mais qui descendent d'ancêtres italiens, puis « obtiennent » la nationalité italienne. Récémment, Cesare Prandelli, l'ex-entraîneur de la sélection italienne (il a démissionné suite à l'élimination de la Nazionale à la Coupe du Monde 2014, ndlr) a déclaré que les Oriundi étaient « les nouveaux italiens » et en a d’ailleurs convoqué deux, Gabriel Paletta (né en Argentine) et Thiago Motta (né au Brésil). Cependant, dans son histoire, la Nazionale en compte 42, dont la moitié est argentine : du quatuor des années 1930 - Attilio Demaria, Enrique Guaita, Luis Monti et Raimundo Orsi - jusqu’à celui qui reste le plus capé des Oriundi - Mauro German Camoranesi - en passant par Juan Alberto Schiaffino, Omar Sivori et José Altafini, pour ne citer que les noms les plus célèbres.
Comme chantait Paolo Conte dans « Sudamerica » : « L’homme qui est venu de loin a le génie d’un affront/ Mais il gagne religieusement son pain et regarde les étoiles de l'Uruguay/ Ah Amérique du sud… » Et si l’homme en question n’est pas un footballeur prodigieux ? La question surgit systématiquement lorsqu'un immigré n'obtient pas de bonnes prestations sur le terrain. Un slogan nationaliste affirme par exemple que la nationalité, ne s'offre pas, elle se mérite. Est-ce une condition de mérite que de bien jouer au foot ? Pourquoi d’autres potentiels Oriundi n'auraient pas les mêmes chances que les stars du ballon rond ? Une chose est sûre : il est aujourd'hui plus facile d’obtenir la nationalité italienne pour un joueur descendant d'un arrière-grand-père italien que pour les fils de milliers d’autres qui ont émigré à partir des années 50.
une fenêtre de 5 ans pour récupérer sa nationalité
Depuis 1945, lorsque les lois sur l’immigration sont devenues plus sévères, beaucoup d’immigrés italiens ont été contraints de se faire naturaliser dans leur pays adoptif. Mais tout a changé en 1992. En effet, avant cette date, la double nationalité n’était pas reconnue donc ceux qui choisissaient de se faire naturaliser perdaient automatiquement leur nationalité d’origine. Depuis l'introduction du nouveau texte, il est désormais possible de récupérer sa nationalité italienne dans une période de 5 ans.
Cependant, le gouvernement n’a rien fait pour informer ses « brebis égarées ». Aucune notification, aucune lettre, aucun télégramme n’ont été transmis. Des milliers de personnes ont donc continué à se priver de leur nationalité italienne sans savoir qu'il était possible de la récupérer. N'aurait-il pas été plus logique d'établir un décret rétroactif permanent qui aurait permis à ceux qui l’auraient désiré de récupérer leurs droits et de commencer les procédures auprès de l’ambassade ?
Inutile de souligner qu’une telle politique a clairement laissé de nombreux fils d'Italiens sans aucune reconnaissance. C’est le cas de Laura D’Amelio. Cette italo-canadienne a publiquement partagé sa dramatique expérience alors que ses racines familiales, culturelles, et linguistiques sont profondément liées à l’Italie.
Dribbles dans la bureaucratie
« Pendant une grande partie de ma vie je me suis sentie italienne. Aussi bien mes grands-parents paternels que maternels sont nés ici, tout comme mes parents et la majorité de ma famille, sauf moi », écrit-elle sur son blog. « Lorsque quelques années auparavant j’ai demandé ma nationalité italienne, on me l'a refusée. À ce qu’il paraît, il y avait une période de 5 ans, durant laquelle les italo-canadiens pouvaient demander la double nationalité que j’ai perdue étant jeune. J’ai été et reste toujours blessée. » Pour Laura, la seule possibilité d’obtenir la nationalité italienne serait de résider 10 ans en Italie. Ce qui signifierait de fait naviguer dans un cauchemar administratif, épouser un italien, ou travailler pour le gouvernement de Rome pendant 5 ans, dans les forces armées par exemple.
« Lorsqu’ils te disent que tu n’es pas Italienne alors que tu as toujours pensé l’être, tu ressens un grand sentiment de confusion. On en vient à se demander qui a le droit de décider de ton identité culturelle et de ta vie. Il y a des personnes qui ont un passeport et d’autres qui vivent simplement leur identité. » Laura continue amèrement : « peut-être que je ne pourrai pas vivre librement en Italie, mais je me sens italienne et je suis ici pour connaître mon identité italienne, la façon dont je pourrais la vivre et surtout qui je suis ».
Les doutes et les inquiétudes des personnes comme Laura D’Amelio perdurent. Demain, si vous voulez éviter un drame de ce genre à votre enfant, nous vous conseillons de l’inscrire dans une bonne école de foot et d'espérer qu’il devienne un champion. Peut-être que là, on pourra lire « République italienne » sur son passeport.
Translated from Lo strano caso degli oriundi, tra calcio e cittadinanza