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L'Estonie adopte l'euro : la confiance l'emporte sur la crise

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n- ost

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Default profile picture hélène Rivoal

Politique

En pleine crise de l’euro, l’Estonie renonce à sa couronne et, à dater du 1er janvier 2011, adopte la monnaie européenne. Compte tenu des problèmes rencontrés par l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne, c’est l’une des rares bonnes nouvelles que connaîtra l’Union monétaire cette année.

Bruxelles récompense les Estoniens avant tout pour leur faible déficit public et leur sortie de crise dans un meilleur état que celui de leurs voisins baltes. Mais l'ambiance n'est pas aux réjouissances pour ce pays modèle de la Baltique, car les vaches grasses font déjà partie du passé.

L’euro a déjà fait la fortune de Marina Wolkowa. Assise sur un petit tabouret derrière son étal devant la gare de Tallin, la marchande attend le client. L’offre est abondante : concombres, tomates, oignons, fruits, bananes et poires. Un kilo de concombres estoniens rapporte par exemple 25 couronnes aujourd'hui à Marina, mais elle a aussi ajouté sur l’étiquette le prix dans la future monnaie : 1,60 €. En Estonie, tous les prix sont affichés en euro depuis le 1er juin. Pas de quoi sauter de joie pour Marina, qui craint surtout les inconvénients de la monnaie unique : « L’euro ne nous apporte rien ; il ne fait que tirer les prix vers le haut. »

Skype, fleuron du boom estonien

©Christoph KerstingDès le 1er janvier 2011, les Estoniens, 1,3 million d’habitants, vont abandonner la couronne. Cela faisait 20 ans que les pièces de monnaie et les billets affichant les penseurs et poètes estoniens constituaient le symbole d’une modernisation rapide et de l’indépendance enfin recouvrée vis-à-vis de l’Union soviétique. En effet, depuis les années 1990, la petite république balte a connu un boom économique sans pareil. En 2006 encore, sa croissance économique atteignait toujours un solide 10,5 %. Les Estoniens faisaient construire et achetaient des appartements et des maisons individuelles à faible taux de crédit et, ce faisant, dopaient l’industrie du bâtiment de leur petit pays.

A quoi il faut ajouter que cela fait longtemps déjà que l’E-stonie a développé le tout électronique dans ses transferts monétaires et est passée à l’e-administration. Skype est actuellement le symbole incontesté de ce succès. Cette entreprise de TIC, fondée à Tallinn et rachetée depuis par eBay, a aidé à la percée mondiale de la vidéophonie par l’internet (voIP). L’Estonie a aussi introduit la « flat tax », impôt sur les revenus à taux unique de 22 % pour tous. Durant des années, des taux de croissance à deux chiffres ont conforté l’orientation néolibérale de son gouvernement. La crise mondiale a fini par paralyser aussi le « tigre balte » : 2009 a vu l’économie se ratatiner d’un menaçant 13 %. Que l’Estonie puisse malgré tout accéder à l’euro s’explique avant tout par le fait que son déficit public est très faible. Ces deux dernières années, il est demeuré constamment en dessous de la limite de 3 % fixée par le traité de Maastricht, un rêve pour beaucoup des pays de l’UE, et avant tout pour l’Irlande qui, avec un déficit actuel de 30 %, précipite la dégringolade de l’euro.

Sereins face à la crise

La couronne estonienne est depuis 2004 liée par un cours pivot fixe à celui de l’euro. La conversion monétaire aura du coup un effet prioritairement psychologique, estime Toomas Hendrik Ilves, le président estonien. Reste que pour l’Estonie, malgré les difficultés, l’introduction de la monnaie unique aura aussi un sens. Beaucoup des problèmes rencontrés par le pays entré dans l'UE le 1er mai 2004 viennent du fait qu'il n'avait pas encore adopté la monnaie unique : « Notre couronne a essuyé la tempête pendant la crise financière de 2008, mais cela n’avait que peu à voir avec la situation estonienne », explique le président. Ce serait davantage les problèmes du voisin letton qui, du fait de la crise et des risques de banqueroute de l’État, auraient déteint sur la monnaie nationale. « Lorsque le Premier ministre letton dit "Nous avons de gros problèmes"’, le Financial Times écrit le lendemain : "Crise balte’". Et cela rend les investisseurs nerveux », ajoute-t-il. Et la perspective que l’Estonie puisse bientôt avoir à payer pour le sauvetage de l’Irlande, de la Grèce ou d’autres États de la zone euro ayant des problèmes de financement n'effraie pas le président estonien. Il s’agit de prêts qui devraient être remboursés.

Le 17ème pays à adopter la monnaie unique

Inquiets face aux dettes privée et à la concurrence

L’Estonie n’a pas à faire face aux mêmes problèmes que son voisin letton. Au contraire, c’est le pays qui, parmi les États baltes, a le mieux surmonté la crise. Les experts économiques considèrent tout de même la situation comme critique. Selon Rainer Kattel de l’Université technique de Tallinn, les Estoniens ont ces dernières années vécu au-dessus de leurs moyens. Le pays aurait de ce fait de toutes manières connu des problèmes, même en l’absence de crise mondiale. Pendant la période faste du boom, les banques accordaient des crédits en une heure et par SMS, sans vérifier sérieusement la solvabilité de leurs clients : « Ne prendre en compte que la Grèce, l’Irlande ou l’Espagne lorsqu’on se penche sur les problèmes de l’espace européen est, à mon avis, à courte vue. La situation ne se présente en effet guère autrement dans les pays baltes. Nous n’avons effectivement pas un fort endettement mais le chômage atteint actuellement 18 % en Estonie », considère l'économiste, avant d'ajouter qu'« au lieu d’adopter l’euro, nous aurions pu dans l’absolu découpler la couronne de l’euro pour permettre sa dévaluation, mais cela n’aurait pas été possible politiquement parlant ». Au lieu de quoi, analyse Rainer Kattel, les Estoniens doivent maintenant lutter contre une dépréciation interne, à savoir avant tout la faiblesse des salaires. « Avec moins d’argent dans les poches, les Estoniens ne peuvent plus honorer leurs crédits », conclut-il.

L’expert économique voit également d’un œil sceptique le développement futur de l’Estonie. La crise n’est à son avis pas révolue ; beaucoup de gens auront encore pendant de nombreuses années à supporter la charge d’une dette privée immense. « On pourrait comparer la situation avec celle de l’Allemagne de l’Est. Nous aussi aurons des difficultés à connaître un véritable développement vers le haut. »

Toomas Hendrik Ilves ne veut pas avoir une vision aussi négative de l’avenir du pays. Le président estonien concède toutefois lui aussi que cela ne sera pas facile pour la petite Estonie d’exister sur le marché mondial, avec  ou sans l'euro. « Si nous ne sommes pas capables de renouveler à l’avenir des innovations comme celle de Skype, l’Asie finira par nous rattraper, nous comme toute l’Europe. »

L'auteur de cet article fait partie du réseau de journalistes n-ost, spécialiste sur l'information en Europe de l'Est

Photos: Une (cc)konstriktion/flickr; prix en euro : ©Christoph Kersting; Monnaie : (cc)European Parliament/flickr

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Translated from Estland: Heiß-kalt in die Eurozone