L'Espagne, pays d'utilité république
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emmanuelle.mAprès l’abdication du roi d’Espagne, Juan Carlos, des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour réclamer un référendum sur le maintien de la monarchie ou la mise en place d’une troisième république dans le pays. Demain, l'Espagne sera-t-elle républicaine ?
À peine connue, la nouvelle de l’abdication du roi d’Espagne Juan Carlos, après 39 années de règne, de nombreuses organisations sociales et forces politiques de gauche ont lancé un appel à sortir dans les rues pour réclamer un référendum sur le futur régime du pays.
Le fait est que la grande majorité, soit près de 70% des Espagnols, n’a jamais voté pour exprimer son souhait d’avoir ou non un roi. Don Juan Carlos est devenu chef de l’État en 1975 avant que ne soit ratifiée la Constitution espagnole en 1978. Aucun citoyen n’a pourtant voté cette Constitution. La Couronne est un sujet régulièrement débattu en Espagne : de nombreuses personnes soutiennent Juan Carlos, mais pas le système monarchique ni la succession de son fils, le Prince Felipe. Les scandales qui ont ébranlé le monarque ces derniers temps (l’affaire des éléphants, ses crises de colère, ses maîtresses) ajoutés à ceux frappant les membres de sa famille (l’Affaire Nóos impliquant sa fille, l’Infante Cristina, et son gendre Iñaki Urdangarín, sur laquelle enquête la justice) n’ont rien fait d’autre qu’entacher sa crédibilité et abaisser sa côte de popularité, pourtant importante.
le royaume d'espagne doit-il devenir une république ?
La décision du roi a été prise le 5 janvier dernier, à l’occasion de son 76ème anniversaire. Bien qu’il ait informé le chef du gouvernement Mariano Rajoy et le leader de l’opposition, Alfredo Pérez Rubalcaba, également secrétaire du PSOE, le secret de son abdication fut maintenue jusqu’aux élections européennes, afin que son départ n’interfère pas avec la campagne électorale.
Le profond revers subi par les deux formations politiques qui entretiennent le bipartisme en Espagne, le Parti Populaire et le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol), lors des élections du 25 mai, semble sonner l’heure de la relève. Les deux partis se sont effondrés lors des Européennes (ils ont perdu à eux deux 5 millions de votes, ndlr) mais conservent plus de 80% des sièges du Parlement national. Ils demeurent les bastions de la monarchie espagnole (ses dirigeants ont été prompts à défendre la cause du Roi et du Prince) et veulent régler rapidement la question de la succession du Prince Felipe. Les deux formations craignent un échec lors des prochaines élections générales et avec lui, l’essor des partis de gauche, farouchement antimonarchiques. Selon eux, repousser la succession entraînerait l’Espagne vers une grave crise institutionnelle.
Trois partis politiques sont sortis grands vainqueurs des élections du 25 mai : la Gauche Unie (IU -coalition politique de gauche, ndlr), Podemos et Esquerra Republicana de Catalunya (ERC - Gauche républicaine de Catalogne, ndlr), très actifs depuis l’annonce de l’abdication du roi. Cayo Lara, coordinateur fédéral d’IU, estime que le moment est venu de mettre en place un référendum afin que « le peuple choisisse entre la monarchie ou la République », ajoutant également qu’il « est inconcevable que l’on parle encore de droit du sang au XXIème siècle ». Le leader de Podemos, Pablo Iglesias, réclame un référendum sur la monarchie : « si le gouvernement pense que Felipe de Bourbon a la confiance des citoyens, qu’il se soumette aux urnes ». ERC appelle tous les républicains de Catalogne à manifester pacifiquement dans les rues de leurs villes et villages. Les groupes nationalistes basques et catalans, le Parti nationaliste basque (PNV) et Convergència i Unió (CIU - pour Convergence et Union, ndlr), parlent également d’une nouvelle ère de changements.
C’est la revendication de nombreux jeunes, en Espagne et ailleurs : que les gens puissent choisir. Des manifestations en faveur de la République et du droit à choisir son modèle d’État ont émergé dans toute l’Espagne et dans de nombreuses capitales européennes. Aux cris « los borbones a los tiburones » (« les Bourbons aux requins »), « Juan Carlos Primero, de Franco es heredero » (« Juan Carlos Premier, l’héritier de Franco ») ou le classique « España, mañana, será republicana » (« l’Espagne, demain, sera républicaine »), ont répondu des milliers de personnes en se réunissant à la Puerto del Sol, à Madrid, ainsi que dans plus de 60 villes ibériques. Certains d’entre eux ont exprimé leurs aspirations à cafébabel.
Andrés, un architecte de 29 ans, souligne que « les Espagnols doivent pouvoir décider, par voie de référendum, s’ils veulent que le Prince Felipe soit leur roi ». Son opinion résume à elle seule le sentiment général de la manifestation qui s’est tenue à la Puerta del Sol à Madrid. Pour sa part, Matilde, une étudiante de 22 ans, affirme vouloir élire le Chef de l’État, tout en soutenant Juan Carlos : « je suis juancarlista par ma mère, et parce que le roi a beaucoup œuvré pour la démocratie en Espagne, mais dorénavant vient le tour de décider si nous voulons continuer de la sorte ». Jaime, un autre manifestant, apporte un autre point de vue : « on peut tolérer qu’au XXIème siècle, un pays qui se dit démocratique se transmette de père en fils, mais nous voulons quand même la République ». Antonio, un ingénieur de 31 ans, explique ainsi que « je voterai, pour que Felipe, qui a été préparé toute sa vie à gouverner, soit le Président de la IIIème République espagnole, mais je tiens à pouvoir choisir ».
C’est l’une des grandes contradictions de la société espagnole : les uns veulent une République, les autres une monarchie. Plus déroutant encore, les jeunes désirent la tenue d’un référendum, tout en souhaitant que Felipe VI soit le prochain Président de la IIIème République. Mais ce que la plupart des gens souhaitent avant tout, c’est avoir le droit de choisir.
Translated from Entre Felipe VI y la III República