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Les « zones de protection régionales », une politique d’asile ping-pong ?

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La politique - très controversée- de Blair sur les « centres de transit et de traitement» et les « zones de protection régionales » n’empêchera ni les « flots » de réfugiés ni la vague de xénophobie qui grossit en Europe.

Quand le poète dissident iranien Abas Amini s’est cousu les yeux, les oreilles et les lèvres en signe de protestation contre l’éventualité de sa déportation par les autorités britanniques (1), le message était tragiquement clair : aussi peu accueillant ou hostile le lieu de refuge soit-il, la perspective de l'expulsion représente aux yeux de certains une alternative pire que la mort. Pourtant, le plan présenté par le gouvernement Blair va permettre qu’Amini et des milliers d’autres comme lui soient systématiquement détenus puis renvoyés dans des centres de transit de pays tiers afin d’y être « traités ». Le gouvernement britannique soutient que ceci constitue une réponse valable et gérable aux flots migratoires incontrôlés d’aujourd’hui. Mais en quoi consiste ce plan et quelles sont les chances qu’il devienne réalité après Thessalonique ?

Une île paradisiaque? Mythe de l’utopie libérale contre réalité d’une répression croissante

La Grande-Bretagne est une nation qui possède un héritage colonial et qui a accueilli sur ses côtes, dans les décennies qui ont suivi l’indépendance, les citoyens du Commonwealth ; mais aujourd’hui, l’hystérie dont elle fait preuve devant le nombre de demandeurs d’asile vient contredire cette image libérale. En fait, tout ceci fait partie d’une tendance plus générale : tout comme son antipathie largement répandue à l’égard des machinations de Bruxelles, les réactions à la fois offensives et défensives de la Grande-Bretagne sont caractéristiques d’une mentalité insulaire belliqueuse. Les décideurs politiques et le peuple sont déterminés à repousser des envahisseurs qui, sous des apparences multiples, menacent des côtes déjà surpeuplées et une identité nationale de plus en plus fragile. De ce fait, la réponse politique au problème de l’asile est devenue, ces dernières années, de plus en plus oppressive et autoritaire.

Ce nouveau projet s’inscrit dans la lignée de politiques très critiquées et désastreuses : depuis la dispersion des demandeurs d’asile dans un Sud Est anglais surpeuplé jusqu’à la publication de listes de « pays sûrs », en passant par des plans qui prévoyaient l’attribution de tickets restaurant plutôt que d’argent aux demandeurs d’asile, les décideurs politiques ont amplifié les contradictions d’un système d’asile défaillant, qui hésite entre un libéralisme de type « laissez-faire » et un conservatisme répressif. En bref, ce projet britannique représente le dernier chapitre en date d’un déplorable récit du désespoir : celui de demandeurs d’asile prêts à tout pour entrer sur le territoire et d’un gouvernement lui aussi prêt à tout pour les en empêcher.

Accueil plutôt frais à Thessalonique, probablement durable

Le projet sur lequel les gouvernements des Etats-membres ont débattu à Thessalonique est une version édulcorée d’une proposition antérieure : celle concernant les centres de transit et de traitement dans les Balkans et en Ukraine. Elle avait été rejetée sans autre forme de procès par plusieurs Etats-membres sensibles au concept de camps d’internement et aux connotations historiques qu’il implique. Le débat de la semaine dernière, lui, était plutôt centré autour de la notion expurgée de « zones de protection régionales », mises en place par les pays de l’Union afin de donner aux réfugiés un lieu d’asile plus proche de leur pays. Sous condition d’une coordination au niveau européen, on attendait de ce projet qu’il mène à une gestion plus juste et plus complète des flots migratoires, tout en offrant une plus grande légitimité au statut de réfugié, ceux-ci étant reconnus comme « authentiques » dans les pays d’accueil. En même temps qu’il énonçait les avantages pratiques qu’offrait une réponse préventive aux crises humanitaires de la région, le gouvernement britannique défendait également son projet par des arguments humanitaires, le présentant comme une alternative à l’exploitation du trafic humain sous toutes ses formes grâce à un traitement immédiat des demandes, et donc la possibilité d’un retour rapide au pays une fois la crise terminée.

En guise de résultat, les propositions britanniques ont chuté au premier obstacle, rejetées dès le premier groupe de travail d’un sommet programmé sur trois jours, après s’être heurtées à l’opposition de l’Allemagne et de la Suède. Le premier pays a cité sa constitution, laquelle établit le droit d’asile comme une valeur centrale ; quant au second, de tradition libérale en matière d’asile et d’immigration (il est historiquement actif au sein du système régional de quotas pour réfugiés), il a également rejeté le projet britannique. Malgré cet accueil plutôt froid à Thessalonique, il semble peu probable que l’idée de « zones de protection » régionales soit complètement abandonnée. Le projet jouit d’un soutien considérable parmi les autres Etats-membres, dont les Pays-Bas et le Danemark, ainsi que de l’approbation silencieuse du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), frappé de pauvreté et vivant sur les donations. Les délégués britanniques ont déjà fait savoir leur intention de procéder de façon bilatérale, avec une première zone dans la péninsule des Somalis, prévue pour la fin de l’année, afin de traiter les troubles en Somalie.

Le traitement immédiat: solution de court terme ?

En encourageant les zones de protection régionales, le gouvernement britannique suggère en fait que la migration est un problème régional qui demande une réponse régionale (c’est-à-dire au niveau de l’Union). Le problème majeur de cet argument (que beaucoup utilisent pour soutenir une politique commune d’asile et d’immigration), c’est qu’il ne tient pas compte de l’histoire coloniale et des réseaux sociaux transnationaux qui en ont résulté, et qui attirent les gens vers un pays plutôt qu’un autre. Envisagé sous cet angle, le projet britannique peut apparaître comme une tentative cynique de réexpédier les réfugiés loin des côtes anglaise afin que le « traitement » et la « redistribution » se fassent à distance.

Il existe aussi de nombreux problèmes légaux et pratiques en relation avec cette notion d’ingénierie sociale dans les pays tiers, notamment à cause de l’incertitude quant aux modes d’exécution des projets. Au niveau légal, le projet enfreint la loi internationale représentée par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, laquelle autorise l’asile transfrontalier. On évite donc la question de savoir quelle loi sera appliquée dans les camps, puisqu’ils seront situés dans des pays souverains. Et puis, comment garantir un niveau de protection adéquat quand les camps en dehors de l’Union ne sont pas soumis à la Convention Européenne des Droits de l’Homme mais à des conditions à hauts risques, où des hommes, des femmes et des enfants vivent sous la menace d’être attaqués, violés ou forcés à la conscription ? Si les camps/zones de protection venaient à s’agrandir et à perdurer, comment être sûrs que les trafiquants n’en feront pas leurs proies pour de gros bénéfices à venir ?

Une incertitude demeure également quant à la nature des procédures légales de réclamations et de conseils susceptibles d’être mises en place, alors même que la question fondamentale de la libre circulation reste sans réponse. Les réfugiés seraient-ils libres d’aller et venir ou bien cela impliquerait-il de facto la détention d’innocents ? Les individus arrivant en Occident seraient-ils renvoyés ou bien les centres de traitement donnerait-ils la priorité aux individus revendiquant l’asile dans leur région d’origine ?

Etant donné le climat de xénophobie croissante en Europe, le point faible essentiel du projet sur les centres de traitement régionaux ne repose pas sur des questions de légalité mais plutôt sur son intention de réduire les complications et les dépenses liées au système actuel, ainsi que d’exercer un effet dissuasif contre des applications supplémentaires. Dans les faits, les modes d’acheminement par bateau de quantités importantes d’individus (souvent là contre leur gré) vont représenter des dépenses conséquentes pour les Etats-membres participant, et les camps eux-mêmes vont impliquer un engagement financier à long terme. En attendant, des groupes de réfugiés se font l’avocat du diable en faisant circuler le bruit d’un « effet d’appel », tandis que des individus qui n’ont pas les moyens de payer des trafiquants ou d’entreprendre de longs voyages arrivent dans ces zones/camps de protection avec l’espoir d’obtenir, pensent-ils, un passeport pour une vie meilleure. Pour ceux qui préféreraient « souffrir mille morts plutôt que retourner dans (leur) patrie » (2), le message est clair : l’exode continue.

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(1) Entre l’âge de 13 et 33 ans, M. Amini a passé 6 ans dans une prison iranienne en raison de ses convictions politiques et de ses protestations, notamment à travers une poésie critique à l’égard du gouvernement. Au cours de ces années, il a connu de longues périodes en cellule d’isolement et a été battu de diverses manières. (Source : Nottinghamshire refugee forum).

(2) Citation attribuée à Amini (Independent Newspaper).

Translated from When the coloniser feels colonised: Blair's regional protection zones as part of a ping-pong strategy for asylum?