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Les vouchers, chèques en bois du marché du travail italien

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Translation by:

Cécile Vergnat

Société

Pensé comme une réponse au travail illégal, les « vouchers » - sorte de chèque emploi service - sont rapidement devenus la nécrose du marché de l'emploi en Italie. De plus en plus touchés par ses évolutions, les jeunes indépendants italiens peinent à entrevoir une solution à leurs problèmes. De quoi s'intéresser à ce qu'il se fait ailleurs en Europe ?

Les vouchers devaient être une solution pour l'emploi, ils sont devenus un des symptômes du piège de la super-précarité. Le principe ? Être payé avec des bons à échanger en euros. Ce genre de salaires en ticket va être supprimé le 31 décembre prochain, mais quelle situation a-t-il laissé en Italie ?

Un ticket contre l'illégalité

Quand on parle de « vouchers », il s’agit d’une feuille aux allures de ticket qui comporte des chiffres pouvant aller de 7,50 à 37,50 euros. Le citoyen italien dispose d'un an pour échanger son voucher une fois qu'il lui a été remis. Ces « bons du travail » ont été pensés comme le moyen de paiement idéal pour réglementer des prestations ponctuelles, qui ne pouvaient pas l'être dans le cadre d'un contrat de travail classique. « Le but, précise Anna Zilli, professeure de droit du travail, était expressément de créer un instrument de lutte contre le travail illégal et le travail clandestin. » Grâce aux vouchers, même pour une seule journée de travail, l’employeur peut s'affranchir du travail au noir et l'employé peut cotiser aux différentes caisses sociales comme la retraite, les assurances etc. 

Pour mieux comprendre l’impact des « bons travail » sur le marché de l'emploi en Italie, deux organisations statistiques - l'Inps et l'Istat - ont fourni des chiffres sur le travail illégal. De 2002 à 2003, le nombre de travailleurs indépendants en situation illégale a considérablement augmenté, passant de 53% à 61%. Certains secteurs sont plus touchés que d'autres : l'agriculture comptait quasiment 90% de travailleurs dans l'illégalité.

En 2004, 75 % de l'ensemble des travailleurs indépendants se retrouvaient dans un cadre non-réglementé par le droit du travail italien. Néanmoins, en 2009, les études notent un début d'inversion de la tendance. Alors que l'on constate de moins en moins de travailleurs indépendants en situation d'illégalité, ils sont de plus en plus nombreux à opter pour le système de vouchers. De 2008 à 2009, le nombre de retributions sous forme de bons travail a doublé, s'établissant à 59 206. « Sur la période de 2014 à 2015 l’utilisation des vouchers a même explosé, continue la professeure Anna Zilli. Depuis 2014, plus d’un million de personnes ont eu recours aux vouchers. Ces derniers ont donc aidé à combattre l’illégalité, mais ils ont également créé plus d’irrégularité. »

« Une alternative au marché régulier de l'emploi »

Les problèmes surviennent dès lors que des employeurs préfèrent embaucher leur personnel avec des bons travail plutôt que sous l'égide d'un contrat classique. C'est alors qu'une procédure pensée comme un rempart contre le travail illégal devient peu à peu un moyen d'échapper aux embauche régulières. En effet, les vouchers sont devenus aux yeux de certains employeurs, non seulement une assurance contre les inspections inopinées de l'inspection du travail mais aussi une opportunité de s'affranchir de ce qu'on appelle les coûts du travail (cotisations patronales, formation profesionnelles etc.). Un véritable abus, pour beaucoup. Anna Zili résume : « Ce qui devait être un instrument très utile et indubitablement alternatif au travail illégal pour les familles, les petites associations et les auto-entrepreneurs est devenu une alternative au marché régulier de l'emploi ».

Dans une déclaration récente, le premier ministre italien Paolo Gentiloni, a souligné : « Le travail intermittent et occasionnel nécessitent une réglementation sérieuse. Tout en sachant que cet instrument (les vouchers, ndlr) s’est détérioré au fil du temps, en modifiant les intentions pour lesquelles il avait été introduit ». Voilà comment en quelques années, les vouchers sont devenus la réponse inadéquate à l'évolution du marché de l'emploi italien, dont le travail indépendant représente à présent une part toujours plus importante. « On observe aujourd'hui énormément de petits travails, fragmentés, quand on ne parvient même plus à compter combien de personnes arrivent à décrocher un contrat à temps partiel tellement il y en a peu », analyse Anna Zili.  

La solution est-elle ailleurs, en Europe ?

À l'étranger, deux systèmes se rapprochent toutes proportions gardées des vouchers italiens. Il s'agit des « mini-jobs » en Allemagne et des chèques emploi service en France.  

Les chèques emploi service peuvent encadrer un travail domestique en France. Ils peuvent uniquement être utilisés par les familles pour payer directement ou indirectement les différents collaborateurs domestiques tels que les nourrices, les employées de maison, les baby-sitters et les jardiniers, et leur permettent de cotiser pour leur retraite. En revanche, à la différence des bons travail italiens, l'administration de ces chèques français est placée sous le contrôle du centre national CESU (chèque emploi service universel) qui, pour limiter les abus, enregistre et trace chaque transaction pour ensuite générer des fiches de paye ainsi que le calcul des cotisations. 

Du côté allemand, le modèle des « mini-jobs » prévoit un salaire maximum de 450 euros par mois pour 15h de travail hebdomadaire. Les taxes et autres cotisations sociales sont laissées à la charge de l'employeur qui couvre l'ensemble des droits des travailleurs. Mais tout n'est pas rose, loin de là. Ce système est en train d'engendrer en Allemagne une série d'abus et toute une génération qu'on appelle « la génération des petites retraites ». Plus de 7 millions de personnes travaillent acutellement en contrat « mini-jobs ». Ne pouvant pas suffisamment cotisé pour leurs retraites, leurs situations risquent de peser sur le système de protection social national. Ce n’est pas un hasard si le candidat social-démocrate à la chancellerie, Martin Schultz a déclaré vouloir modifier cet instrument et en limiter les abus. Selon lui, les mini-jobs sont « une réponse inadéquate à une exigence juste ».

D'autres pays fonctionnent avec un système de vouchers mais diffèrent totalement du système italien quant à leur utilisation. En Belgique, par exemple, les vouchers ou « titres-services » permettent d'encadrer uniquement certains services tels que l’assistance à des personnes à mobilité réduite ou les travaux domestiques. Par ailleurs, les employeurs ne peuvent pas bénéficier de ces bons pour payer des emplois dans leur propre profession.

 Au Royaume-Uni, les childcare vouchers ont été introduits en 2005. Déductibles d'impôts, il s’agit d'une véritable aide pour les parents avec des enfants en bas âge. Ainsi, il est possible de convertir jusqu’à 243 livres de son salaire en vouchers pour des services tels que des soins infirmiers, du baby-sitting après l’école etc. Ils peuvent aussi être utilisés par les entreprises sous forme d’assistance pour les enfants de leurs employés pendant les heures de bureau.

En Autriche, on trouve les « Dienstleistungsscheck » qui sont uniquement utilisés pour payer les services d’assistance familiale et les activités domestiques comme le baby-sitting, le jardinage et l’assistance aux personnes âgées ou invalides. Ils sont rares et ne peuvent durer qu’un mois (renouvelable), avec un paiement qui ne doit pas excéder 569 euros par mois.

Translated from Il grande pasticcio dei voucher in Italia