Les transsexuels : un contre-courant invisible en Europe
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Roch HannecartEn Europe, notre identité sexuelle continue de se décliner en noir et blanc. Pourquoi les catégories « homme » et « femme » restent-elles si figées ? De nombreuses associations se battent pour plus de flexibilité et de liberté... dans les genres aussi.
Où tracer la limite entre homme et femme ? Il suffit de se poser la question pour se rendre à l’évidence qu’il n’est pas aisé d’y répondre. Qu’est-ce qui détermine notre identité sexuelle ? Les comportements ? Notre partenaire sexuel ? Ou, lors de notre accouchement, la sage-femme à l’hôpital ? Si biologiquement parlant, il ne se trouve que deux sexes, que faut-il penser des intersexuels, ces personnes qui présentent autant de caractéristiques sexuelles masculines que féminines ?
« La France est l’Etat le plus transphobe dans l’Union européenne »
L’hétérosexualité et la conception tranchée des genres demeurent profondément ancrées dans les sociétés européennes. Les gens qui ne cautionnent pas cette conception conventionnelle ou qui ne peuvent ou ne veulent pas maintenir leur identité sexuelle dans ce corset binaire, doivent encore aujourd’hui en Europe se battre contre les jugements et contre la discrimination. Du dédain discret dans le cadre de la vie quotidienne aux agressions violentes et aux injures grossières proférées en public : « Lorsque je marche avec mon amie sur le campus universitaire, nous devons toujours faire face à des regards irrités. Je ne comprends pas comment des étudiants de notre génération peuvent encore toujours avoir des problèmes avec ça, s’insurge par exemple Alina, 21 ans, de Munich. Ça m’énerve, mais je ne vois pas pourquoi je devrais pour autant cacher notre amour. »
« La discrimination découle de l’ignorance »
Ces comportements intolérants sont surtout le fait de la méconnaissance et d’un manque de sensibilisation. Toutes ces personnes qui organisent leur espace de vie à contre-courant de la « norme » hétérosexuelle restent encore toujours invisibles dans l’espace public européen. Le paysage cinématographique et télévisuel européen, par exemple, ne leur concède aucune place et, si oui, seulement pour l’exotisme. Les spots publicitaires en Pologne, en France ou en Italie sont dominés par les rapports homme-femme. Et pour cause : la clarté se vend mieux. Une « simple logique commerciale », ainsi que la qualifie Cornelia. Née en Allemagne avec un sexe masculin, elle s’engage maintenant à Strasbourg dans TaPaGeS, une organisation qui se bat pour les droits des homosexuels, des bis et des transsexuels ainsi que dans Support Transgenre Strasbourg (STS), fondée à l’origine pour soutenir les transsexuels mais qui aujourd’hui agit de plus en plus sur le plan politique.
Selon elle, il serait « bon de soigner les blessures faites par la société « transphobe »mais c’est aux causes qu’il faut s’attaquer, non aux symptômes. » Les discriminations sont nourries par l’ignorance et les gens sont absolument prêts à apprendre : c’est ce que Cornelia a appris dans le cadre de son travail, qu’elle qualifie elle-même de « travail de rue ». Grâce à des contacts directs, les préjugés se laissent plus facilement démonter.
Autres nations, autres réalités
Le travail d’ONG, telles que Trans Gender Europe, qui se prononce pour un renforcement des droits des transsexuels en particulier sur le plan européen, est extrêmement important. Cette organisation coopère avec des groupes répartis dans l’ensemble de l’Europe et milite entre autres pour le libre choix de son prénom et son officialisation dans tous les papiers et documents, même s’il se différencie du sexe biologique. Un autre objectif explicite est celui d’obtenir le soutien des institutions européennes pour informer et sensibiliser l’opinion publique.
Le réseau d’ONG locales et d’associations sur le plan européen n’est cependant pas simple. Même si elles s’accordent autour d’objectifs principaux, les revendications pratiques sont généralement liées à la structure nationale. Cette « reconnaissance mutuelle des situations spécifiques » rend impossible une mobilisation commune contre une législation oppressive. D’après Cornelia, la France est « l’Etat le plus transphobe dans l’Union européenne ». Et pour cette raison, les revendications exprimées par les mouvements « queer » en Allemagne ou en Grande-Bretagne, ne peuvent pas être soutenues en France, de peur de mesures discriminatoires de la part du gouvernement français. L’Union européenne a reconnu le problème et a émis des directives importantes pour le combat mené au nom de l’égalité des droits et de la reconnaissance. Ainsi, par exemple, la mise en place d’une législation transsexuelle destinée à mettre fin à l’arbitraire bureaucratique. Seulement, cette législation n’est pas ou seulement partiellement traduite au sein des Etats-nations. « Que font donc les autorités ? », s’interroge Cornelia, sincèrement indignée.
Un réseau solidaire et transnational
La communication entre les différents groupes européens se met cependant à bien fonctionner aussitôt que, quelque part en Europe, le droit à l’existence d’organisations ou de mouvements « queer » se voit menacé. Lorsque l’année dernière, le gouvernement turc décida d’interdire l’associaton de défense des homosexuels, transgenres et transsexuels Lambda Istanbul prétextant l’ « immoralité » de ses activités, il a reçu des marques de soutien et de solidarité venues de toute l’Europe. Dans les 24 heures qui ont suivi, la nouvelle s’est répandue dans des médias indépendants. Partout en Europe, des signatures ont été rassemblées contre l’interdiction de l’association. A Berlin, des gens sont descendus spontanément dans la rue. Même devant le Parlement européen et le Conseil, des messages ciblés sont encore et toujours placés par des activistes, afin de rappeler à tous les valeurs européennes de liberté et d’égalité.
Que nous soyons hétéro, homo, bi, transsexuel ou « queer », nous ne pourrons réaliser une Europe moderne, unie dans la diversité, que si nous intégrons et respectons tout le monde et assurons à chacun l’égalité en droit.
Translated from Queer durch Europa