Les sociétés de l’armement et Israël : lobby-tour à Bruxelles
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CaféBabel a suivi l’association « Agir Pour la Paix » à l’occasion d’un tour non-conventionnel du quartier européen. L’occasion de s’informer sur les relations entre certaines multinationales européennes de l’armement et Israël.
Ils étaient un peu moins que d’habitude à s’être déplacés, sans doute en raison des températures caniculaires. Quelques personnes sont venues écouter Stéphanie, de l’association « Agir Pour la Paix », leur parler du lobbying européen de l’armement, et plus spécifiquement de ses liens avec Israël. Comme tous les mois, elle organise un lobby-tour sur la problématique des armes dans le quartier européen, soit sur le thème « Armement et politique migratoire », soit sur celui « Armement et Israël ». L’association travaille en coopération avec l’ONG « Corporate Europe Observatory », qui organise elle aussi des lobby-tours sur d’autres problématiques.
Après un rapide cours sur le fonctionnement des institutions de l’Union européenne, notre guide présente le lobbying à Bruxelles. Première question de Stéphanie à son public : « Pour vous, c’est quoi le lobbying ? ». Pour François, stagiaire dans l’hôtellerie, c’est « se regrouper pour faire pression, pour défendre ses intérêts auprès des institutions publiques », ce qui s’avère être une définition correcte. On apprend par la suite qu’on ne connaît pas exactement le nombre de lobbyistes à Bruxelles (15 000 à 30 000 personnes estimées), que deux-tiers représentent des intérêts privés et que la capitale belge est le deuxième centre de lobbying au Monde, après Washington.
Des drones « combat-proven » fournis par Thales et Elbit
La visite commence naturellement en plein cœur du quartier européen, au rond-point Schuman, face au Berlaymont, un des bâtiments de la Commission européenne. Première étape : le bureau de représentation de la société MBDA (voir localisation ici), le premier fabricant européen de missiles et le deuxième sur le marché mondial. Nous nous rendons ensuite quelques dizaines de mètres plus loin, devant le bureau de l’entreprise Thales (localisation ici), avant d’évoquer la situation de BAE systems (localisation ici), elle aussi en pointe sur le marché mondial de l’armement.
Cette visite nous permet d’apprendre le nombre de lobbyistes et le budget dédiés au lobbying de ces entreprises, leur chiffre d’affaires, les liens qu’elles ont avec certaines sociétés israéliennes et la finalité des contrats d’armements. Ainsi, Stéphanie nous apprend que Thales a conclu il y a quelques années un partenariat portant sur plusieurs centaines de millions d’euros avec Elbit, société israélienne, pour la livraison de 54 drones « watchkeeper » à l’armée britannique, drones décrits sur le site de l’entreprise française comme « combat-proven » (« approuvés au combat »). Les relations entre le groupe et Israël avaient d’ailleurs été dénoncées dans une lettre ouverte au PDG par le syndicat CGT-Thales, en 2014.
Une fois la « visite » des devantures de bureaux de lobbying terminée, la guide nous conduit devant un bâtiment de la DG (Direction Générale) « Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME » de la Commission européenne. L’occasion pour elle de nous présenter les différents programmes de recherche de l’Union européenne qui financent, directement ou indirectement, l’industrie israélienne de l’armement, notamment Elbit..
Puis vient le tour du centre de conférence Borschette, où se retrouvent de nombreux groupes d’experts pour discuter de telle ou telle mesure ou accord, notamment concernant le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), qui fait beaucoup parler de lui ces derniers mois. Stéphanie nous explique alors que la frontière entre les intérêts publics et privés est parfois poreuse, les lobbyistes ayant un poids certain lors de consultations en vue de proposer une nouvelle règlementation.
« J’étais déjà eurosceptique, ce tour me renforce dans cette idée »
Ces trois heures de visite sont interactives, chacun venant d’un environnement différent (étudiants, stagiaires, activistes d’ONG) et ayant envie de poser des questions et de partager ses connaissances. C’est dans cette optique que Stéphanie envisage le principe du lobby-tour : « C’est toujours interactif. J’essaie de faire en sorte que les gens soient le plus à l’aise possible. Ils posent des questions sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas, donc l’échange ne peut être réel que lorsque le groupe est en confiance ».
Si le public est réceptif, il n’est pas nécessairement militant. Ainsi, Juan et Pol, stagiaires tous les deux, sont simplement venus pour s’informer. Alors que Fotini, militante pro-palestinienne depuis les années 1980, est également ici par conviction. C’est ce que nous confirme Stéphanie : « Une partie est constituée de convaincus, tandis qu’une autre assiste à ce tour car elle ne connaît pas le fonctionnement du lobbying et souhaite voir l’envers du décor ».
En tout cas, tous sont d’accord sur l’utilité de ce lobby-tour, qui leur aura donné des clefs pour comprendre le fonctionnement du lobbying et de l’actualité. En revanche, le constat n’est pas forcément à l’optimisme, à l’image des conclusions de François. « J’avais déjà la notion des liens entre les institutions de l’Union européenne et le business. La politique et le milieu des affaires ne font qu’un […]. J’étais déjà eurosceptique à la base, et ce tour me renforce dans cette idée », nous affirme-t-il.
Chacun se forgera son opinion sur la question. Le prochain lobby-tour de l’association « Agir Pour la Paix » aura, quoiqu’il en soit, lieu dans quelques semaines et sera de nouveau ouvert à tous.