« Les sans-papiers exercent cette citoyenneté qu’on leur refuse »
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CaféBabel était à Liège ce vendredi 23 septembre à la rencontre de « La caravane des migrants », une initiative soutenue par une plateforme composée de plusieurs collectifs sans-papiers, syndicats et associations diverses. Ils ont proposé un programme varié : rencontre avec les autorités, slam, saynète et échanges avec les citoyens.
Fin de matinée, les migrants ont été accueillis à Liège, devant l'Hôtel de Ville où le Bourgmestre (Willy Demeyer) a reçu la délégation au complet. L'objectif était de présenter, aux autorités locales, quelques revendications des sans-papiers, notamment celle liée à leur image trop souvent malmenée par certains médias.
Ensuite, la délégation s'est rendue à la Casa Nicaragua (la Casa), association perchée dans le quartier Pierreuse et portée sur les relations nord/sud. Nous nous y sommes rendus, curieux de rencontrer ces acteurs du monde associatif occupés à défendre le sort des sans-papiers.
La "Casa" occupe une vieille maison rénovée, avec un certain charme propre au quartier situé sur les flancs du centre historique, derrière le Palais de Justice. Le soleil au zénith, l'atmosphère transpire le sud latin en ce début d'automne. Nous pénétrons dans la Casa afin d'assister à la suite du programme annoncé. Les artistes, sans-papiers, ne vont pas tarder à arriver.
Nous rencontrons alors Odette, propriétaire de l'établissement. Elle nous explique que la "Casa" soutient l'initiative et ajoute: "les migrants à Liège occupent, entre autre, une ancienne école d'horticulture située dans le quartier Burenville. Ils vont devoir être expulsés parce que la ville, propriétaire du bâtiment, va le vendre."
"Peu importait le danger, il fallait le braver..."
Le Slam commence vers 13h45. De manière solennelle, le slameur sans-papier conte la nostalgie d'une terre qu'il a quittée ("là-bas, la communauté est un socle. Là-bas, la solidarité a un sens"), forcé par une guerre, une situation économique précaire. Il raconte aussi son parcours migratoire difficile ("sans savoir où mes pas me portaient, sans sentir la fatigue, la faim, la soif. Peu importait le danger, il fallait le braver...") et les rencontres avec d'autres femmes et hommes imbriqués dans la même situation ("ils venaient de Raqqa, de Rassoul. Ils venaient de Lybie, d'Afghanistan, de Palestine, des rives du Zambèze, du lac Tchad et d'ailleurs..."). Il exprime la confusion qui règne parmi les migrants vis-à-vis les situations politiques dans les zones de guerre qu'ils fuient et la perte d'identité ("sans papiers, sans emploi, elle voulait éviter la condamnation à l'errance, elle voulait éviter d'être fantôme entre deux mondes, sans appartenance à aucun").
Un autre sans-papier prend ensuite la parole et s'adresse à Théo Francken, Secrétaire d'Etat fédéral à l'Asile et la Migration en Belgique. Il l'interpelle sur la situation des migrants et l'accuse de semer la peur parmi la population belge "en leur faisant croire que les immigrés sont la cause de leur malheur". Cette intervention, plus politique, laisse place à une femme qui rapporte son expérience dans le site de Burenville, un lieu de solidarité et d'entraide selon elle. Ses paroles seront pourtant nuancées plus tard par un autre occupant lors des échanges. Le spectacle se termine par une saynète jouée par les sans-papiers où revendications et témoignages s'entremêlent.
Damienne Martin, coordinatrice du projet, explique que "les sans-papiers exercent cette citoyenneté qu'on leur refuse". La volonté affichée par La caravane des migrants est d'activer des échanges et des liens entre les différentes associations présentes sur le terrain de la défense des sans-papiers et les sans-papiers eux-mêmes avec, en filigrane, un dialogue constant avec les citoyens.
Présenter une autre image des migrants
Différents acteurs associatifs composés de sans-papiers prennent ensuite la parole. Plusieurs initiatives ont vu le jour: Le Journal des sans-papiers, Le comité des femmes sans-papiers de Bruxelles, Sans-Papiers TV, Le collectif des travailleurs sans-papiers de la CSC et L'Ecole des Solidarités. Pour les syndicats, encadrer les activités des migrants est primordial pour éviter un dumping social larvé car les sans-papiers sont sollicités pour travailler au noir dans des conditions non conformes aux normes sociales belges. Toutes ces initiatives entendent présenter une autre image des migrants auprès du public et oeuvrent afin de faire exister des espaces d'échanges où toutes les strates socio-économiques de la société belge seraient présentes.
La dernière partie de cette journée s'est articulée autour d'échanges. Tout d'abord, les témoignages. Un sans-papier algérien nuance la situation à Burenville : "Malgré l'organisation et la solidarité qui règnent, la présence de multiples cultures engendre parfois des problèmes d'ordre idéologique et politique. Cependant, l'hiver et le froid représentent les plus gros problèmes et la solidarité est nécessaire pour traverser les moments difficiles. A l'intérieur même du site, il existe des inégalités socio-économiques."
Après, gros plan sur les initiatives actuellement en place. Saïd, actif au sein de Sans-Papiers TV, déplore la faible couverture de la réalité et des actions entreprises par les sans-papiers: "les représentations véhiculées par les médias classiques sont trop péjoratives et simplistes". Abel, du collectif des travailleurs sans-papiers de la CSC ajoute que "le but est de porter la problématique auprès des citoyens belges et déconstruire les préjugés." Rosario Marmol Perez, initiatrice de l'Ecole des Solidarités rappelle "qu'il y a 50 ans, une vague d'immigration avait touché la Belgique. Les personnes issues de cette immigration sont aujourd'hui des personnes clés pour appréhender la situation présente, bien que le contexte du plein-emploi n'est plus une réalité. Il faut activer les chaînes de solidarité pour faire apparaître la complexité du parcours des migrants."
Deux questions ont clôturées les discussions : Qu'est-ce qui nous lie? Que peut-on faire ensemble? L'idée principale soulevée lors des débats est de tourner autour de projets rassemblant toute la population, l'idée d'habitats groupés qui créeraient des liens afin de pouvoir protéger les sans-papiers et les inclure.
Selon Damienne Martin, le but de la Caravane des migrants est de sillonner le plus de villes en Belgique. Les prochaines étapes de la Caravane seront Verviers, Mons et La Louvière.