« Les réformes de la PAC s'essaient à tout sans aboutir à rien »
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Où va l’argent de la PAC ? Dans un entretien avec café babel, l'économiste français Pierre Boulanger insiste sur les nécessaires évolutions d’une PAC vieillissante et opaque.
« La PAC: moment de vérité en France », tel est le nom d’une étude rédigée par Pierre Boulanger et publiée en novembre dernier par un centre de recherche de Sciences-Po, le Groupe d’Economie Mondiale (GEM). Ce qu’il révèle, c’est qu’en France les subventions agricoles accordées par l’UE vont principalement aux très gros producteurs : alors qu'ils ne représentent qu'1% de l'ensemble des exploitants, ils perçoivent un total de subventions supérieur à celui reçu par les 40% d'agriculteurs gérant les plus petites exploitations.
Vous soulignez dans votre rapport l’opacité de l’information disponible sur les bénéficiaires français des aides directes de la PAC. Comment avez-vous été en mesure d’identifier 58 de ces propriétaires ?
Nous avons recherché l’information de deux manières : officielle et officieuse. Officiellement, nous avons demandé aux Directions Départementales de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF) de nous indiquer les montants des aides directes versées aux exploitants agricoles. Les DDAF ont refusé en s’abritant derrière la loi Informatique et Libertés de 1978 [qui permet de maintenir confidentielles des données administratives]. Nous avons alors déposé un recours devant la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), qui doit se prononcer d’ici décembre prochain sur le caractère public de ces informations. Plus officieusement, nous nous sommes appuyés sur la Confédération Paysanne afin de procéder localement à des estimations basées sur les surfaces cultivées et les assolements [alternances de cultures] pratiqués par les grandes exploitations. Nous avons recoupé ces informations avec celles obtenues par un journaliste du magazine Capital et publiées en novembre 2004 et avons pu établir un tableau des 58 exploitants agricoles parmi les plus gros bénéficiaires des subventions directes.
Comment expliquez-vous le silence entourant l’attribution des aides directes ? Quel impact cette culture du secret peut-elle avoir sur la mise en œuvre et l’évolution de la PAC ?
On pourrait presque parler d’omerta. Les gros exploitants sont élus dans les Chambres régionales d’Agriculture et exercent un lobbying important. Si la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) s’est récemment positionnée en faveur d’une plus grande transparence, le gouvernement ne semble pas enclin à diffuser ces informations d’intérêt public ! Cette opacité dans l’attribution des aides directes aboutit finalement à une répartition encore plus inégalitaire de la manne européenne. Les deniers communautaires renforcent la concentration des exploitations et encouragent l’exode rural. Dans le système, plus on cultive, plus on est aidé. Les petits exploitants n’y trouvent pas leur place. L’Agenda 2000 [conçu pour renforcer la mise en place des politiques communautaires ] et l'instauration des droits à paiement unique (DPU) ne vont pas modifier fondamentalement la donne. Les DPU devaient permettre un découplage des aides européennes et de la production afin que les choix de cultures soient guidés par le marché et non par les subventions européennes. Or le calcul du montant des DPU est basé sur une référence historique et renouvellera donc les inégalités distributives passées. Autrement dit, à partir de 2006, un exploitant de céréales, qu’il produise ou non, va recevoir 75% des subventions qu’il recevait durant la période 2000-2001-2002 ! En outre, Bruxelles à tendance à se dessaisir de plus en plus des orientations et modalités concrètes de la PAC : abandonnée aux Etats membres, elle est de moins en moins communautaire !
Moins communautaire, opaque… la PAC a-t-elle encore un avenir ? Prévue pour raviver une population exsangue dans les années 1950, comment peut-elle encore fonctionner à l’heure de la mondialisation ?
En un sens, j’ai beau me sentir profondément Européen, je ne peux que constater que les réformes de la PAC s’essaient à tout sans aboutir à rien. Cette politique se maintient inexorablement dans une logique prévalant dans les années 1960 alors que le secteur agricole s’est industrialisé. Nous tendons aujourd’hui vers plus de libéralisation commerciale, quelque soit le secteur économique. L’agriculture se libéralise au même titre que les services ! Il est donc indispensable de repenser les systèmes d’aide, tout en tenant compte de la multifonctionnalité de l’agriculture. L’agriculture ce ne sont pas seulement les produits alimentaires mais aussi la protection de l’environnement, le développement rural, les équilibres démographiques… On constate aujourd’hui une volonté de transférer les crédits des aides directes vers le financement de mesures agro-environnementales. Dans ce contexte de compétition au niveau mondial, l’agriculture doit servir de monnaie d’échange dans les négociations internationales. Il convient de mettre en place un processus de libéralisation agricole non linéaire : cesser de subventionner les grosses exploitations et aider les petites en tant qu’acteurs de nos campagnes, tout en prenant en compte l’hétérogénéité des structures de production, en particulier celles des nouveaux Etats membres. Le système actuel de la PAC, décidé en 1999 et complété en 2003, prévaut jusqu’en 2013. D’ici là, une réforme ambitieuse tant d’un point de vue d‘efficience économique que de justice sociale, semble inéluctable.