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"Les pays du Sud attendent beaucoup de l'Europe"

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Interview de Julien Luçon, membre de la coordination européenne du Contre-sommet du G8 à Evian, organisée par la galaxie des mouvements antimondialisation.

Comment s’organise le contre-sommet du G8 au niveau européen ? Est-ce que tous les européens sont impliqués dans ce sommet ?

L’essentiel des initiatives sont concentrées en France et en Suisse, essentiellement à Genève et autour du Lac Léman. Les premières concertations européennes ont eu lieu lors du Forum Social Européen (FSE) de Florence, en novembre 2003. Des Français, des Suisses, mais également des Belges, des Britanniques, des Italiens, des Espagnols ont participé, et se sont revus lors du Forum Social Mondial, à Porto Alegre.

L’idée était de créer un cadre de cohérence pour les différentes initiatives et leur préparation, et de les faire converger vers Evian.

Est-ce que vous voyez se dessiner un véritable mouvement européen, ou bien les initiatives restent-elles segmentées au niveau national ?

Il y a une dimension européenne. Pas complètement européenne, mais plus exclusivement nationale, et qui provient de la dynamique du Forum Social Européen.

Le FSE a vraiment donné un élan ?

Oui. Aujourd’hui, les invitations, les comptes rendus, les textes, les annonces d’initiatives et de mobilisation sur le G8 circulent sur des listes européennes, où il y a des milliers de personnes, pas seulement à l’ouest, mais aussi l’Europe de l’est. Il y a des ouvertures aussi vers le sud, la Méditerranée.

Y-a-t-il une unité européenne sur ces enjeux ?

La guerre en Irak a créé une situation inédite. Elle a été un élément fondamental pour le mouvement puisque elle l’a unifié.

C’était la naissance d’une opinion publique européenne… ?

Et mondiale, je pense, avec un vaste mouvement antiguerre, qui a consolidé le mouvement antimondialisation. Les questions de droits sociaux et économiques sont des thèmes sensibles, qui mobilisent fortement en Europe. On l’a vérifié dans le cadre du FSE.

Par rapport à la construction européenne, qui joue en adéquation avec la régression sociale actuelle, il y a une communauté d’intérêts des mouvements européens, même dans les pays candidats, sur ces problématiques. La réflexion a déjà commencé sur les services publics, les retraites, le financement des politiques publiques, la question de la fiscalité…

Est-ce que la nature de la mobilisation contre le G8 est en train de changer : de grosses manifestations très visibles médiatiquement comme Seattle Prague, on passerait à des initiatives plus structurées en termes de propositions, mais plus discrètes ?

En ce qui concerne l’organisation, Gênes était fortement structuré. L’état de leur préparation était plus visible que nous, plusieurs mois auparavant. Il s’était passé beaucoup de choses, pas seulement des manifestations massives, mais aussi des débats, des expositions, des initiatives. On s’y est moins bien pris en termes de visibilité préalable, mais les manifestations d’Evian seront de toute façon visibles. Par contre, elles s’inscrivent dans un contexte différent de Gênes.

Gênes a eu lieu avant le 11 septembre, dans un contexte de forte croissance du mouvement dit « alter-mondialiste », et arrivait comme un point d’orgue des différents sommets. Et c’est vrai que la gestion de Gênes par les autorités italiennes a largement contribué à délégitimer plus encore le G8.

Aujourd’hui, on n’en est plus là. Le contexte est marqué par la politique extérieure américaine - agressive, unilatéraliste, belliqueuse -, par la crise entre les grandes puissances qu’a révélée la guerre en Irak, mais également par des tensions fortes, dans les différents pays - riches ou pas - avec les montées des extrêmes (extrême droite, fondamentalisme…) et une situation sociale marquée par la révolution conservatrice néo-thatchérienne. Des choses qui font que le mouvement reste crédible, mais qu’il est obligé de prendre en compte d’autres enjeux. C’est aussi beaucoup plus compliqué à gérer politiquement.

Pourquoi contester le G8 ? C’est finalement un forum d’échange, comme Porto Alegre.

Nous soulignons l’illégitimité du G8 parce que ce n’est justement pas qu’un forum d’échange. C’est un club qui n’émane d’aucune demande démocratique. Qui marche depuis 1975 sur un agenda correspondant aux intérêts des pays industrialisés. Le poids des gouvernement du G8 est considérable dans les institutions internationales - ce sont les « actionnaires majoritaires » du FMI et de la Banque mondiale – et dans les richesses mondiales (60 % du PIB mondial).

Ce que nous contestons, c’est le rôle que s’est attribué le G8 dans le fonctionnement de l’ordre international. Au nom de quoi huit pays décident-ils des choix politiques mondiaux, indépendamment de tout débat politique, avec d’autres pays, d’autres gouvernements, et avec les peuples.

S’il y a bien une institution légitime pour assumer ce rôle, selon nous, ce sont les Nations Unies. C’est certes un cadre imparfait, et d’ailleurs un chantier à prendre en charge. En plus, depuis 25 ans, si on regarde le décalage entre les déclarations et la réalité des faits, la disparition du G8 serait sans conséquence.

Le G8 a pourtant pris des initiatives, sur la dette par exemple…

Quelles initiatives ? Le G8 de Cologne (1999) a appelé à une réduction de la dette des pays pauvres. C’est largement insuffisant au regard des enjeux et des besoins.

Nous réclamons depuis longtemps un sommet sur la dette. Que Jacques Chirac, hôte du G8, propose un sommet des Nations Unies sur la dette. Dans lequel la société civile pourra intervenir. Et nous aurons beaucoup de choses à dire…

On est passé de l’ « antimondialisation » à l’ « altermondialisation ». Quelles sont les propositions sur lesquelles vous souhaitez mettre l’accent ?

Sur la question de la gouvernance mondiale, en insistant sur son caractère anti-démocratique, et en prenant en compte la question de l’hégémonie américaine.

Le Sommet Pour un Autre Monde (SPAM) [organisé dans le cadre du contre G8] s’organise autour des thèmes proposés par la présidence française du G8 : NEPAD [Nouveau partenariat pour le développement en Afrique], responsabilité sociale des entreprises, eau, conflits liés à l’extraction minière, le terrorisme.

En termes de propositions, un certain nombre de mouvements ont voulu montrer qu’il était possible de mettre en acte des relations sociales différentes de celles dictées par le capitalisme : les villages alternatifs du contre-sommet auront notamment cette vocation là.

Vous pensez que l’Europe peut jouer un rôle par rapport à l’hégémonie américaine sur la gouvernance mondiale ? Ou est-ce que finalement l’UE est aussi un espace qui tend vers le néolibéralisme ?

C’est un espace dans lequel les politiques néolibérales sont imposées. Il y a des raisons historiques… L’Europe peut jouer un rôle, mais il ne faut pas s’arrêter à çà. Il faut s’interroger sur les conditions dans lesquelles elle pourrait jouer ce rôle. Et commencer à travailler, au niveau des forces syndicales, politiques et associatives liées au mouvement altermondialisation, pour mener la bataille politique pour transformer l’Europe, son contenu, son rôle, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Pour dénoncer son caractère anti-démocratique actuel.

Est-ce qu’il y a un mouvement qui se dessine dans ce sens ?

Il y a un travail qui se dessine sur l’Europe, issu du FSE… Ce que la guerre en Irak a montré, ce sont les fractures politiques en Europe. Et donc aussi l’existence d’un débat politique que l’on peut mener à l’échelle du continent, et d’une bataille politique. Il y a différents projets européens. Il faudrait faire en sorte que le notre s’impose, et donc créer les conditions d’une bataille politique sur ce sujet.

L’Europe peut jouer un rôle dans la construction d’un monde multipolaire (encore faut-il s’entendre sur ce que ce mot recouvre. De nombreux pays et d’organisations du sud, attendent beaucoup d’elle. Et en même temps on voit qu’aujourd’hui, l’Europe, dans sa version dominante, tend plutôt à promouvoir des politiques aussi néolibérales que les politiques américaines, voire pire dans certains cas.