Les Indignés en BD : quand la révolution a bonne mine
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Les Indignés sont un succès de librairie en Espagne. Les essais sur le 15M font la course en tête des ventes. Coup de projecteur sur deux œuvres différentes, dessinées, engagées et drôles, sur le mouvement des Indignés. Revolution complex et Cuaderno de Sol. Le message est sans équivoque : engagez-vous, ou je vous gomme.
Un comprimé d’humour sérieux
L’une est collective. Revolution complex, édité par Norma editorial : 22 plumes pour un sujet d’actualité encore en gestation, le soulèvement démocratique de la génération ni-ni espagnole débuté le 15 mai. Sujet difficile et refus direct de prendre le dessus sur l’acteur collectif qu’est le mouvement citoyen. Les dessinateurs jouent donc sur l’autodérision : « La première chose qui était claire quand on a commencé Revolution complex, c’est qu’on ne voulait pas profiter de la BD pour surfer sur la vague des Indignés », explique Claudio Stassi, l’un des dessinateurs, à cafebabel.com. L’ironie comme arme contre la morosité ambiante, comme les visages de clowns et les tournesols décoraient la Plaza del Sol pendant que les CRS remontaient leurs gants et rechargeaient leurs bombes de gaz lacrymogène.
Beaucoup d’auteurs ont choisi pour cible la classe dirigeante : de Danide qui illustre un aristocrate (désarçonné) face à une petite fille mendiante à Sergi Alvarez qui met en scène des argentiers en train de dicter à Aznar et Zapatero le scénario à suivre pour entraîner des plans d’austérité. Sauf que cette-fois, ces dessinateurs-citoyens ont crayonné leurs propres rôles. Esthétique et engagement sont dans un bateau… personne ne tombe à l’eau.
« Les acampadas, le 15M, etc., c’est un thème assez ample, et complexe. Du coup, on a beaucoup pensé non seulement aux histoires, mais aussi au titre, à l’idée unitaire du livre et son concept général »
« Les acampadas, le 15M, etc., c’est un thème assez ample, et complexe. Du coup, on a beaucoup pensé non seulement aux histoires, mais aussi au titre, à l’idée unitaire du livre et son concept général », explique Claudio Stassi, dessinateur italien installé à Barcelone. Cyniques de tous les pays, vous pouvez souffler : le concept n’est pas l’enthousiasme sans distance. Tout est dans le titre. Jordi Lafebre offre un magnifique face à face entre un fils indigné et son père, qui en dit long sur la notion d’engagement et ses multiples facettes, tandis que d’autres font la part belle au mouvement des « indignes », ces Espagnols qui ont décidé de tout faire pour maintenir le système tel qu’il est.
Et pourquoi pas ? L’Histoire n’est-elle pas faite de révolutions et de contre-révolutions ? Humour, histoires variées, styles singuliers, mais aussi analyses. Celles du journaliste Jaume Vidal et d’Arcadi Olivers, président de l’association Justicia y Paz, par écrit. Celles d’un curé, d’un journaliste, d’une retraitée, d’un patron de restaurant, réalisées et dessinées par Claudio Stassi, donnent corps à la préface de Jaume Vidal : « La bande dessinée démontre que l’esthétique et le divertissement n’étaient pas brouillés avec l’engagement. »
L’avenir du journalisme ?
« Un nouveau journalisme vécu, radical et anticonformiste a fait son trou grâce à un support qui, loin de se faire l’ennemi de l’évolution technologique, s’est servi d’elle pour se diffuser et s’étendre », dit encore Jaume Vidal en introduction de Revolution Complex. Anticonformiste sûrement. La BD étant vendue comme un comprimé effervescent qui s’ingère par voie visuelle, à ne pas lire « si vous êtes allergiques à l’État-providence ou si les coupes budgétaires n’affectent pas votre quotidien ». L’humour et l’autodérision feraient sans doute grand bien au monde du journalisme. Heureusement, il a déjà été pris d’assaut par les blogs, qui occupent désormais même les portails des journaux de références. Mais tandis que la relation entre journalisme et mouvements sociaux est faite d’amour-haine, le mec qui se pose avec son sac de couchage, son calepin et ses crayons de couleurs sur la Plaza del Sol sera lui directement membre de la famille, et pourra faire son travail d’observation comme bon lui semble. C’est ce qu’a fait le bédéiste d’EstrémadureEnrique Flores. Son Cuarderno de Sol, publié chez les éditions Blur , relate ses 28 jours passés sur la place où est né le mouvement des Indignés, du civisme des balayeurs au montage des tentes en passant par les Assemblées générales et les veillées nocturnes, Enrique Flores fait un travail d’anthropologie contemporaine, en toute subjectivité et, lui aussi, avec beaucoup d’humour.
Nouveau journalisme et métamorphose du dessin de presse
Alors journalisme, pas dans le sens de l’objectivité forcée, ni du recoupement des sources. Peut-être en allant chercher vers le nouveau journalisme américain des années 1960, sa subjectivité assumée, ses sujets décalés. Un journalisme plus humain, en somme. Peut-être des idées à piocher pour les journalistes qui veulent eux aussi faire leur révolution… De toute manière, comme le rappelle Claudio Stassi : « Aujourd’hui, le public va directement à l’information, il n’attend pas d’être informé. »
Photos : Une et texte, « Revolucion Complex », courtoisie de Norma Editorial; videos/youtube