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Les hommes du candidat

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Savoir qui conseille le candidat Kerry en politique etrangère, n’est-ce pas savoir quelle sera, en 2005, l’attitude des Etats-Unis à l’extérieur ?

Qui sera la Condoleezza Rice de demain ? Pour pallier à ses lacunes notoires, George W. Bush s’est entouré d’une équipe de Raspoutines, parfois guère plus cosmopolites que lui, mais éminemment familiers des cercles décisionnels de la politique étrangère américaine. John Kerry, mondain et polyglotte, qui a grandit entre une maison familiale bretonne et le delta du Mekong, aujourd’hui un pilier de la commission des affaires étrangères du Sénat, n’a guère besoin de tuteurs pour appréhender la scène internationale. On peut s’attendre à ce que ses conseillers jouent un rôle moins décisif et prééminent que leurs prédécesseurs si leur parti remporte l’élection.

Un petit air de déjà vu

En revanche, l’identité de ces conseillers peut d’ores et déjà offrir des indices quant à la politique d’une future administration Kerry. Le candidat lui-même reste en effet extrêmement prudent dans la formulation de ses politiques, jouant la discrétion et craignant l’antagonisme prématuré de quelque électeur que ce soit, estimant aussi à ce stade de la campagne que l’équipe Bush n’a besoin de personne pour perdre des points dans les sondages. Cela ne l’empêche pourtant pas d’avoir déjà retenu parmi ses conseillers, des personnalités comme Sandy Berger, le prédécesseur de Condoleeza Rice, Richard Holbrooke, le célèbre négociateur des accords de Dayton qui ont mis fin au conflit bosniaque, ou surtout, Randy Beers, qui a fait une entrée récente mais remarquée sur la scène publique en quittant le Conseil pour la Sécurité Nationale avec fracas après 20 ans de carrière dans l’institution, suite à ses désaccords avec l’administration Bush. C’est le principal collaborateur actuel du candidat Kerry avec qui il s’est allié à Kerry très tôt dans la campagne. Il est aujourd’hui pressenti comme le successeur de Condoleeza Rice à la direction de son organisme d’origine. Ces grands pontes ne sont que les membres les plus directement impliqués d’un illustre panel. Qui constitue donc cette équipe Kerry, et peut-on même parler d’une équipe ? Quels rapports entretiennent-ils entre eux ? Comment contribuent-ils à la campagne aujourd’hui ? Autant d’éléments de réponse qui, à défaut de préjuger du produit final, offrent quelques indices à nos interrogations sur une politique étrangère démocrate à partir de 2005.

A Washington, on recycle

Aucune équipe de « Vulcains » ne s’est constituée autour de Kerry. La formulation de sa politique étrangère est beaucoup plus « décentralisée » et moins partisane que ne l’était celle du candidat Bush, et ce pour plusieurs raisons. Si les membres de l’équipe de Bill Clinton se sont dispersés dans les think-tanks et cabinets de conseil en 2001, à la manière washingtonienne après une défaite électorale, ils ont quitté le pouvoir seulement trois ans plus tôt et ne sont pas partis bien loin. Sandy Berger a crée son propre cabinet de conseil en géostratégie et lobbying, Madeleine Albright enseigne à l’université de Georgetown, Richard Holbrooke est devenu conseiller au Council on Foreign Relations et dans diverses fondations. Chacun reste influent dans son propre domaine : un retour aux affaires publiques serait pour les uns et les autres une étape naturelle. Il le sera d’autant plus que le sentiment partisan s’est considérablement renforcé en trois ans aux Etats-Unis et que les enjeux de cette élection sont bien plus élevés que lors des cinq ou six consultations précédentes : dans de telles circonstances, aucun des ténors du parti ne résiste à la perspective d’imprimer sa marque sur la campagne et sur une future administration démocrate, au prix peut-être d’une certaine ligne directrice.

Kerry le cosmopolite a des amis chez les Républicains

Les nombreuses expériences de John Kerry en matière de relations internationales élargissent le pool de conseillers potentiels au-delà de l’équipe clintonienne. De son passage à l’armée, il retient notamment un solide soutien parmi les officiers militaires, soutien qui s’est révélé précieux pendant les primaires. De nombreux officiers supérieurs, actifs et retraités, se sont rapprochés de lui, comme l’ancien Secrétaire aux Armées John Shalikashvili, « retiré » de son poste au printemps 2003 après des rapports houleux avec le Pentagone civil à propos de la préparation à la guerre en Irak.

Au cours de ses deux décennies au Sénat, et en particulier à la commission des affaires étrangères, John Kerry a noué d’étroites relations avec les Républicains modérés, « réalistes » aujourd’hui en lutte avec la frange radicale de leur parti. Les Sénateurs John McCain, Chuck Hagel ou Richard Lugar sont paradoxalement très proches du candidat démocrate sur les questions de politique étrangère. Un Président Kerry continuera d’entretenir les relations du Sénateur Kerry, et il n’est pas exclu que l’un de ses amis républicains se voient même offrir un poste au sein d’une éventuelle administration démocrate. On peut aussi citer les amis démocrates du Sénat: Joe Biden, Gary Hart, Bob Kerrey.

Le déroulement des primaires a laissé sa marque sur toute la campagne démocrate. La politique étrangère a été l’un des sujets sur lesquels les candidats démocrates se sont le plus divisés. Alors que Kerry cherche aujourd’hui à unir le parti après une campagne particulièrement acrimonieuse, il doit prendre en compte le sentiment anti-guerre incarné par Howard Dean, un sentiment qui menace de porter des voix sous l’aile du candidat indépendant Nader.

Les vieilles recettes sur de nouveaux problèmes

Sans préjuger à nouveau du produit de leur collaboration si ces différentes personnalités venaient à occuper la Maison Blanche l’an prochain, on peut néanmoins dégager deux remarques.

Si les conseillers de Kerry sont conscients des nouveaux enjeux post-11 septembre, l’expérience diplomatique ou militaire et la pratique des forums multilatéraux est beaucoup plus prégnante dans leur carrière que dans celle des conseillers de George Bush, plus habitués à voir le monde à la lunette depuis Washington. Pragmatiques, conscients des réalités du terrain et des limites de la toute-puissance américaine, formés à la résolution des conflits dans les Balkans ou dans le cadre du défunt Processus de Paix au Proche-Orient, ils devraient appliquer ces vieilles méthodes aux nouveaux problèmes, là où l’administration Bush a révolutionné, et la fin, et les moyens de la politique étrangère américaine. L'évolution la plus visible, si la Maison Blanche change de main, sera un changement de ton et de style. Pas une révolution de fond.