Les héros du mausolée Mărăşeşti
Published on
Laveurs de voitures la journée et maquereaux le soir. Le mausolée de Mărăşeşti sur la Route nationale 2, en Roumanie attend toujours d’être rénové. Tranche de vie dans l’Union européenne.
Près de 5 000 soldats tombés pendant la première guerre mondiale dorment ici d’un sommeil éternel. Le jour, le parking en face du monument devient un lieu ad hoc de lavage de voitures, avec ou sans la permission des propriétaires. La nuit, l’enceinte du mausolée se transforme en un paradis des maquereaux, des prostituées et des routiers, dans lequel les autorités ne peuvent plus intervenir. Bien que de nombreux habitants de la zone portent un respect spécial à ce monument dédié aux Héros du peuple, la misère a beaucoup altéré le sens et la dignité du mausolée.
Vasile a 37 ans et, pour pouvoir nourrir ses deux enfants, il lave les voitures des touristes qui s’arrêtent pour visiter le mausolée des Héros de Mărăşeşti. Comme lui, 10 à 15 autres hommes ont suivi la même « vocation ». Ils n’ont pas d’autre perspective. La ville ou les autorités ne peuvent pas leur offrir un lieu de travail décent. Même l’intégration dans l’Union européenne ne leur a rien apporté de bon. L’homme raconte que, ces dernières années, toutes les usines de la ville ont tour à tour fermé leurs portes.
400 000 lei et un paquet de cigarettes
« Il y avait trois usines et ça marchait bien pendant le communisme, tout le monde chez nous y travaillait. Aujourd’hui, nous travaillons à la journée pendant l’été pour biner les champs mais l’hiver, comme vous voyez, nous lavons des voitures car nous n’avons rien d’autre à faire. Finalement, nous gagnons mieux notre vie en restant près de chez nous qu’en partant à l’étranger pour revenir entre quatre planches », explique l’homme. L’été, il travaille à la journée pour un prix fixe : « 400 000 lei (environ 11 euros) et un paquet de cigarettes ».
Depuis environ deux ans, de plus en plus d’étrangers passent par le mausolée et ils allongent parfois quelques euros. Le lavage marche donc assez bien. « Ils nous donnent 2 ou 3 euros mais nous ne pouvons même pas les échanger car il n’y a pas ici de bureau de change », raconte Vasile en grimaçant à cause du soleil. Il porte des bottes de caoutchouc et ses vêtements sont élimés mais propres. Toutes les deux phrases, il s’excuse de son apparence : « Je ne peux pas m’habiller autrement, c’est le travail. En portant l’eau, on se mouille et on se salit avec la boue des voitures. Excusez-moi. »
Lavage minute
Avec ses collègues de travail, Vasile guette chaque jour les automobiles qui stationnent en face du mausolée et il les lave en l’absence de leur propriétaire. Souvent, raconte-t-il, il arrive que cela ne rapporte pas un leu. « Que Dieu nous protège, qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? On ne vole rien dans ces voitures, on ne fait que les laver. Et, en plus, M’dame, pour que ça brille, on les frotte avec une peau de chèvre. Vous avez vu comme elle est belle », dit Vasile en montrant une voiture en stationnement. Vasile n’aime pas tellement sa ville mais il est content qu’en l’année de grâce 2008, le maire ait amené l’électricité dans sa rue et la lumière dans sa maison, pour ses enfants.
« Heureusement qu’on a l’aide sociale, sans cela on n’y arriverait pas. Quoi ? Les fonds européens ? Ca ne me rapporte pas un sou, alors qu’est-ce que j’en sais, moi !! Ca ne m’intéresse pas, notre vie reste toujours aussi dure, avec ou sans l’Union européenne. » Voilà ce qu’il dit. Vasile est loin d’être le plus misérable des habitants de la ville de Mărăşeşti (district de Vrancea). Il se considère même comme un homme heureux alors que beaucoup des habitants de la ville ont le sida : « La moitié est tsigane et un quart a le sida. Nous sommes une zone défavorisée. On reçoit de l’argent de l’Etat mais ça n’aide pas. La misère noire, M’dame. Qu’est-ce qu’on peut faire ? », se plaint-il d’une voix digne et d’un ton malgré tout contrôlé. Il ne cherche pas à éveiller la pitié, rien qu’à présenter sa vie comme elle est.
Les peintures tombent en poussière
Un autre homme, lui aussi de Mărăşeşti. Cela fait 17 ans qu’il travaille au mausolée, parmi les tombes. Il en a assez de son travail mais il est heureux que quelque chose soit fait pour le monument. « Nous allons recevoir de l’argent pour la restauration. Des fonds européens. 10 millions d’euros ont été alloués pour quatre mausolées et nous allons commencer les travaux également sur celui-ci », explique l’administrateur, enchanté. Les peintures de la partie supérieure de la crypte se sont décollées des parois à cause de la pluie. Sous les murs décrépis gisent les ossements du général Eremia Grigorescu, le commandant de la 1ère Armée roumaine au temps des combats de Mărăşeşti.
« La toiture a été réparée mais il y a toujours des infiltrations d’eau. Il faudrait tout refaire. Nous savons exactement les couleurs qui ont été utilisées et comment étaient les peintures d’origine. Ce n’est pas un gros problème. L’arrivée des subsides résoudra tout », ajoute-t-il. Il s’indigne néanmoins de ce qui se passe la nuit dans la zone.
Paradis des maquereaux et des prostituées
La nuit, le monument dédié à ceux qui se sont sacrifiés lors de la première guerre mondiale dans les combats de Mărăşeşti se transforme en un véritable paradis des maquereaux et des prostituées, où les autorités ne jouissent plus d’aucune autorité. Les administrateurs du mausolée ont décidé de ne plus allumer les lumières autour du monument, désespérés de ce qu’il s’y passe quand le soleil se couche. « Vous voyez les portes fermées ? Ils sautent la palissade et se cachent dans la haie lors des rondes de nuit. Ou bien ils restent là, ils guettent et vendent des femmes. Personne ne peut rien leur faire. Nous n’allumons presque plus pour qu’ils ne restent pas dans les parages. C’est peine perdue », ajoute l’homme, avec des regrets dans la voix.
Malgré son importance exceptionnelle, le mausolée de Mărăşeşti est trop peu promu par les autorités du district de Vrancea. On dit de lui qu’il a imposé un respect tellement fort qu’au moment des bombardements aériens de la vallée de la Prahova et des menaces pesant sur la Moldavie, Hitler lui-même aurait demandé au maréchal Antonescu d’envoyer deux sous-unités anti-aériennes défendre le mausolée. Terminé en 1938, le mausolée n’a jamais été restauré. Les premiers fonds de l’UE permettront cette année de s’occuper de ses 154 cryptes et fosses communes.
La version longue, en langue originale roumaine, de cet article a remporté le prix du jeune journalisme européen 2008.