Les fonds structurels en danger ?
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La répartition des fonds structurels distribués aux régions européennes a été profondément bouleversée par l’entrée des dix nouveaux Etats membres. Mais qui en sort gagnant ?
A l’approche de l’élargissement en 2004, neuf des dix pays entrants sont plus pauvres que le plus pauvre des quinze anciens. Panique chez les principaux contributeurs au budget européen : les fonds structurels passent à l’Est. Après les controverses sur l’atlantisme, la référence à l’héritage chrétien ou les délocalisations, voilà qu’à nouveau les pays de l’est cristallisent les craintes et les rancoeurs de la « vieille Europe ».
A l’Ouest, « sauver la politique régionale »
Depuis la création du FEDER il y a tout juste 30 ans, la politique des fonds structurels – dite « politique régionale » – symbolise, face à la politique de concurrence, le volet solidaire de l’intégration européenne. Près d’un tiers du budget de l’Union est redistribué aux régions en difficulté dans un souci de cohésion économique, sociale et territoriale. Il a permis le rattrapage de l’Espagne, de l’Irlande ou du Portugal. Il a encouragé le lancement de projets innovants à dimension européenne. Il a incité à moderniser la gestion publique et à renforcer le pouvoir des collectivités locales.
La Commission européenne lance alors la réforme des fonds structurels pour la période 2007-2013, et en juillet 2002, l’entourage de Romano Prodi - alors Président - avec le rapport Sapir, saisit l’élargissement comme prétexte à la remise en cause de l’efficacité de la politique régionale. On préconise que cette dernière soit limitée aux régions des Etats les plus pauvres. Ainsi, l’Europe se retirerait purement et simplement des territoires.
Lors de la présentation du rapport Sapir en juillet 2003,les régions se mobilisent autour de l’ancien Commissaire à la politique régionale Michel Barnier et parviennent à « sauver leur politique ».
Après l’élargissement en 2004, certaines régions qui bénéficiaient des fonds ont été victimes de « l’effet statistique » : en effet, elles ont vu leur PIB moyen augmenter par rapport au PIB moyen de l’Union et n’ont donc plus été considérées comme « régions en retard de développement ». Pour les autres, les fonds européens ne seront partiellement maintenus qu’à condition qu’ils servent, non seulement la cohésion, mais avant tout la stratégie de compétitivité définie à Lisbonne en 2000.
Aujourd’hui, aux yeux de tous, il est naturel que les fonds européens soient destinés en priorité aux nouveaux Etats membres en vue d’une convergence globale. Il en va de l’équilibre de l’espace européen, et de l’esprit même de la politique régionale.
A l’Est, « qui va monter les projets ? »
Les nouveaux Etats membres seraient-ils les grands gagnants de la future politique régionale ? Encore faut-il qu’ils puissent en tirer les bénéfices en pouvant compter sur des administrations locales, capables de gérer les fonds. En Lituanie, la géographe Jurgita Maciulyte estime qu’« il n’existe pas aujourd’hui un réel niveau local décentralisé, autonome et doté de compétences propres, sauf dans les villes de taille plus importante. Qui sera dès lors en mesure de monter des projets ? » se demande-t-elle. Sous la pression de l’Union européenne, un niveau régional a parfois été créé de toutes pièces, surtout dans les pays de tradition communiste. En effet, les nouveaux Etats héritent d’une grande centralisation politique et administrative. Or, une règle communautaire impose qu’en cas de non-consommation des fonds, l’argent est définitivement perdu pour les années qui suivent.
De plus, les fonds européens vont-ils vraiment bénéficier aux populations locales ? En Pologne, l’eurodéputé Jan Olbrycht prévient : « Ce sont les compagnies des pays forts qui viennent dans nos régions et qui gagnent les appels d’offre. Au moins 50 à 60% des ces fonds ne vont pas rester dans les régions. Ce n’est pas du transfert pur. C’est du profit pour les vieux pays membres de l’UE. » Et l’inquiétude quant à l’avenir des fonds structurels change de camp…
Comme pour conjurer les difficultés de chacun, la future politique régionale prévoit une enveloppe dédiée à la coopération entre les régions, par exemple entre l’Est et l’Ouest. Les premières ont pour elles le soutien financier ; les secondes, l’expérience. Condamnées à s’entendre ?
Un problème de fond : le budget de l’Union
L’avenir des fonds européens dans l’Europe élargie ne peut se résumer à une opposition entre gagnants de l’Est et perdants de l’Ouest. La question n’est pas seulement celle de l’élargissement mais aussi celle du sens que l’on souhaite donner à une Europe à 25. Jan Olbrycht défend une augmentation du budget pour tous : « Entrer dans l’UE pour toucher de l’argent, c’est complètement stupide. Mais entrer dans l’UE pour être plus fort et plus dynamique, ça c’est intéressant. » Afin de faire face à l’entrée de dix Etats membres sans ralentir cette dynamique européenne, la logique aurait voulu que l’on accroisse le budget de l’Union. Au contraire, six des principaux Etats contributeurs souhaitent actuellement le réduire de 1,24% à 1% du PIB. Avec la Politique agricole commune (PAC) sanctuarisée, la politique régionale reste la seule variable d’ajustement. Quitte à diviser le principal outil de solidarité dont a pu se doter l’Union.