Les étudiants hongrois, perdants de Bologne
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Catherine Bobko« Bologne », le processus d’harmonisation du système universitaire en Europe, a exactement dix ans. Pour des étudiants de Budapest, promo 2009, il reste pour le moins impopulaire. Bienvenue dans l'enfer de la fac.
« C’est dommage que le système d’enseignement hongrois ait été remplacé ! », soupire Szidónia. Cet étudiant en sociologie à l’université Corvinus de Budapest décrit les débuts difficiles du nouveau fonctionnement des universités en Hongrie. « L’ancien système n’était pas classé parmi les meilleurs pour rien ! », poursuit-il.
Jusqu’en 2005, les étudiants hongrois passaient 4 ans au lycée, 5 ou 6 ans à l’université ou 3 ou 4 ans dans une « école supérieure ». Le processus de Bologne qui doit jeter les bases d’un espace européen de l’enseignement supérieur d’ici 2010 et qui est à l’œuvre dans 46 pays, a mis fin aux examens d’entrée à l’université. Il a établi un diplôme de fin d’études secondaires, comparable au baccalauréat, et a aboli un système dans lequel les étudiants convertissaient leurs résultats scolaires et ceux du baccalauréat en points. Cette somme déterminait si l’étudiant était accepté à l’université et le cas échéant si sa formation pouvait être financée par l’Etat.
Les lycéens en dernière année finissaient leurs examens en juin et pouvaient calculer eux-mêmes leurs points. Ils ne recevaient pas les résultats officiels avant la traditionnelle « nuit de la crise des points pour l’entrée à l’université »,« Ponthatárok Éjszakája», en juillet.
Un Master inaccessible
La raison d’être du processus de Bologne est de renforcer la croissance économique et de préserver la compétitivité de l’UE, par une meilleure coordination des systèmes d’enseignement de la future force de travail européenne. L’UE a établi le système ECTS (système européen de transfert et d’accumulation de crédits) par le biais d’Erasmus et de la Magna Carta des universités européennes, respectivement mis en œuvre en 1989 et 1988. Erasmus, Leonardo, Socrates et autres programmes d’échanges ont sensiblement accru la mobilité des jeunes à travers le continent.
Quelques facultés hongroises ont proposé des BA/BSc (Bachelor of arts/sciences : l’enseignement universitaire de base, en trois ans, qui équivaut aux licences en sciences humaines et en sciences dures) bien avant 2005. Mais le système n’a été introduit massivement qu’au cours de l’année universitaire 2006-2007. « C’est étrange que cinq années d’études soient désormais comprimées en trois, remarque Zoltán. J’ai beaucoup trop de matières, c’est plus dur de finir ses études. En plus, au début, les employeurs ne sauront pas ce que vaut un diplôme BA/BSc, en termes de connaissances acquises ». Une situation tristement commune à tous les étudiants : dès le premier jour de fac, les enseignants leur disent que personne ne les recrutera après seulement trois ans d’études.
« C'est étrange : cinq années d’études sont désormais comprimées en trois!»
D’autre part, les critères de sélection, les places disponibles et le contenu exact des programmes de Master restent encore incertains : « En octobre 2007, je me suis renseignée auprès du service de la scolarité pour savoir ce que je devais faire pour pouvoir suivre un Master, raconte Csilla. ‘Nous n’avons pas encore réussi à nous renseigner’, m’a-t-on répondu. A la fin de la session de janvier, j’ai essayé à nouveau : ‘Je n’ai aucune idée, nous n’y avons même pas encore pensé’. En avril, on me répond sur un ton agacé : ‘Comment voulez-vous que nous sachions quelque chose ? Nous n’avons encore rien préparé pour les étudiants de Bologne !’ »
Et les réponses sont identiques dans toutes les facultés. Une autre étudiante qui se plaignait du peu d’heures de conversation lors de son inscription dans une faculté de langues, s’est entendue répliquer que si elle n’aimait pas l’emploi du temps, elle pouvait faire appel à un professeur particulier. Pourquoi les universités sont-elles si peu organisées ?
Des cours mal organisés
Ági prépare une deuxième licence à l’université Corvinus de Budapest : « C’est absurde que nous ne soyons informés des programmes des 5e et 6e semestres qu’à la seconde moitié du 4e semestre. » Balint reconnaît que de nombreux professeurs ne « se maintiennent pas à la page », d’autres étudiants évoquent des manuels et des supports de cours datés. Csaba, lui, est satisfait de ses professeurs mais il pense que la valeur de son diplôme final ne sera pas proportionnelle : « Nous étudions beaucoup trop de disciplines, de façon plus dense et notre diplôme ne mentionnera qu’un niveau de base. L’employeur aura-t-il conscience du travail que nous avons fourni pour obtenir ce diplôme ? »
« Il y a trop d’étudiants de second cycle », reconnaissent Éva et Bálint, face à l’hétérogénéité de la population estudiantine de niveau Master. Les maîtres de conférences qui considèrent qu’il est impossible d’enseigner en trois ans, ce qu’ils enseignaient en 5 ans, sont d’accord. « Le problème, c’est l’augmentation du nombre d’étudiants qui, soit ne possèdent pas les connaissances de base nécessaires, soit manquent de motivation pour apprendre. Mais cela est en grande partie indépendant de la réforme de Bologne », avoue Ildikó Hrubos, professeur à l’université Corvinus de Budapest. « Il devient plus difficile de progresser dans un tel système », ajoute une de ses collègues, maître de conférences, Ágnes G. Havril. Bálint propose d’ajuster les débouchés offerts à l’issue des Masters aux besoins du marché du travail – les deux ne s’accordant pas à l’heure actuelle, comme le reconnaissent les autres étudiants. Il faudrait, par exemple, accroître le nombre d’étudiants en sciences ou dans les domaines techniques, par rapport à ceux qui choisissent la philosophie, les arts, le droit, l’économie et autres sciences sociales.
Pourcentages d’insatisfaction
Et que pensent les professeurs de la promotion 2009 ? « Cela va finir par s’équilibrer, si le système n’est pas modifié, une fois de plus », affirme Attila Forgács, maître de conférences. Certains prédisent une période d’adaptation de deux à trois ans ; d’autres de dix à quinze ans. En même temps, 55 % des étudiants de deuxième année de Corvinus reconnaissent que cela vaut la peine d’essayer de trouver un emploi avec seulement un BA/BSc mais seuls 11 % pensent pouvoir trouver un emploi qui les satisfasse.
Cependant 33 % d’entre eux ne croient pas qu’un diplôme de base soit suffisant. Et 72 % ont déjà décidé de continuer et de faire un master, mais beaucoup ne savent pas encore quelle matière ils voudraient approfondir. Néanmoins, une majorité significative s’accorde à reconnaître que le développement d’un système d’éducation convenable est essentiel pour le maintien de la compétitivité du pays. Ainsi, non seulement le futur des étudiants de Bologne ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, mais en plus, leur situation présente n’est guère enviable : 77 % jugent que le système de Bologne n’a pas été bien conçu pour la Hongrie.
Traduit du hongrois par Virág Varsányi et Lóránt Havas.
Translated from Unpopular Bologna process for Budapest’s class of 2009