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Les Etats membres de l'Union européenne naissent-ils libres et égaux en droit ?

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Babel Sofia

Sofia

Au prix d’un lobbying intensif de ses représentants et partisans, ajouté à la volonté politique de l’Union européenne de voir le pays évoluer plus considérablement en son sein qu’en dehors, la Bulgarie fait partie de la « grande famille européenne » depuis le 1er janvier 2007.

Dans les mêmes conditions que tout autres État membre, la Bulgarie participe à l’élaboration d’une législation européenne : 18 députés européens d’origine bulgare ont été élus en 2007 (liste ici), et le pays dispose de 10 voix au Conseil des États membres et une bulgare, Meglena Kouneva, a été nommé au poste de commissaire européen à la protection des consommateurs. Son intégration au club très sélect de l’Union Européenne confère ainsi des droits et des pouvoirs à la Bulgarie mais surtout des devoirs en matière de Justice et affaires intérieures (JAI), d’autant plus originaux qu’aucun Etat membre ne s’était vu par le passé imposé d’obligations de résultats après son adhésion à l’Union Européenne. Si par soucis de diplomatie et de pédagogie, la Commission évoque davantage un « mécanisme de coopération » et « d’accompagnement » les modalités d’exécution font réellement penser à un mécanisme de suivi, contraignant et dévalorisant pour le pays ciblé. Cela témoigne aussi du raidissement de la politique d’élargissement de l’Union.

Un nouvel État membre en examen continu

A travers le mécanisme ad hoc, dit de coopération et de vérification (adopté par la) l’Union européenne évalue, juge l’intensité des efforts et l’avancée des réformes consentis par la Bulgarie dans le domaine sensible de la Justice et des affaires européennes. Au vu du stade relativement précoce de certaines réformes à la veille de l’adhésion, la nécessité de mettre en place un mécanisme d’accompagnement trouvait sa légitimité. Il conduisait à prolonger le mécanisme de « monitoring » mis en place durant le processus de pré adhésion.  Pour les 25 États membres, le transfert de compétences se décide dans les instances européennes. Dans le cas de la Bulgarie, la Commission s’arroge un droit de regard sur les réformes nationales engagées, comprenant leur orientation et leur évaluation, ainsi que la sanction en cas d’appréciation négative.

Décision de la Commission du 13 décembre 2006mutatis mutandis

Il s’agit là d’un instrument nouveau, ancré juridiquement et à la portée politique conséquente. En l’absence de fiabilité suffisante du système judiciaire, la Commission peut juger de l’opportunité de suspendre la reconnaissance mutuelle des décisions de justice dans «  les relations entre la Bulgarie et un ou plusieurs États membres », un outil de sanction qu’on appelle clause de sauvegarde. La décision du 13 décembre précise que cette suspension concerne la reconnaissance par un ou plusieurs États membres des décisions de justice bulgare. Sur la base de la formule « sans que soit remise en cause l’étroite coopération judiciaire » de l’article 38 de l’acte d’adhésion, on peut considérer que l’activation de la clause de sauvegarde JAI ne remettrait pas en cause l’obligation pour la Bulgarie de reconnaître les décisions de justice des États membres ; le mandat d’arrêt, institué par une décision cadre, transposée dans la législation bulgare, ne serait pas remis en cause. La suspension ne concernait donc que les mandats bulgares adressés aux États membres et non les mandats adressés par les États membres à la Bulgarie, et ne pénaliserait donc pas les États membres. Néanmoins, en re-politisant l’exécution des mandats d’arrêts adressés par les États membres, la Bulgarie pourrait faire obstruction à leur mise en œuvre. Pourtant fort par son statut de nouvel État membre, la Bulgarie passe sous le feu des projecteurs communautaires tous les six mois au moment de la publication du rapport de la Commission européenne, le dernier datant du 23 juillet 2008, qui se fonde sur le travail de missions d’expertise régulières, supervisé par le secrétariat général de la commission, et de l’adoption de conclusions sur les progrès réalisés et les réponses à apporter par le Conseil européen. La tonalité des trois rapports déjà publiés a évolué vers un regain de sévérité de la Commission, qui maintient tout de même ses encouragements constants afin de ne pas déstabiliser le gouvernement en place, maître des réformes (les rapports se trouvent ). 

ici

L’instauration de ce mécanisme, et les résultats pour le moment peu probants qu’il donne, sous entend par ailleurs un renforcement de la rigueur du processus de sélection des futurs candidats à l’élargissement.

L’intégration bulgare comme référentiel dans la politique d’élargissement de l’Union

L’application du mécanisme à la Bulgarie et la Roumanie s’inscrit dans un processus de re-crédibilisation de l’ensemble de la vague d’élargissement à l’Est depuis 2004. Cet excès de surveillance donne l’impression de vouloir rattraper un manque antérieur de vigilance. Parti dans le même « train d’intégration », mais dans un wagon rapidement décroché, Bulgarie et Roumanie n’ont pas hérité de la souplesse de l’intégration de leurs 10 autres collègues, qui ne se sont pas vus instaurés de telles mesures d’accompagnement. L’application d’un mécanisme de vérification à ces pays aurait sans doute pu faire l’objet de discussions : les réseaux de grandes criminalité sont aussi puissants, et les pratiques frauduleuses, de corruption, réelles. L’irritation des instances communautaires face aux faibles progrès de la Bulgarie a montré ses limites ces derniers mois. Initialement prévu pour 3 ans, jusqu’au 30 décembre 2009, le mécanisme de suivi de la Bulgarie risque fort d’être reconduit, et à ce jour, les dates d’entrée dans l’espace Schengen et la zone euro restent floues. En 2005, lors des débats sur l’opportunité de l’intégration de la Bulgarie, les pays naturellement intransigeant avec le respect de l’Etat de droit, la transparence et la responsabilisation du système judiciaire, et l’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée, comme l’Allemagne, la Hollande, les pays scandinaves, avaient accepté l’intégration bulgare au motif que les réformes seraient plus favorablement encouragées, s’inclinant devant les partisans d’un élargissement propice à ne faire de l’Union qu’un vaste marché économique. Bruxelles ne s’attendait certainement pas à une telle lenteur du processus de réforme. L’instauration d’un mécanisme contraignant fut préconisée en vue de justifier la crédibilité de la politique d’élargissement de l’Union. Quelque soit le plaidoyer européen que l’on peut faire, la politique d’élargissement de l’Union était déjà bien écorné. L’élargissement de 2004 avait très tôt été décrié, comme une sorte d’emballement de la politique d’élargissement de l’UE. A travers ces critiques, il fut reproché à l’Union bien plus que sa capacité d’absorption, son absence de projet politique.Si la perspective d’adhésion des pays des Balkans occidentaux reste encore suspendue au sort du Traité de Lisbonne, ou de quelque autre réforme du système institutionnel de l’UE, leur avenir communautaire ne fait nul doute.  Toutefois, les difficultés de l’intégration bulgare risquent fort d’alourdir l’examen de passage des futurs prétendants. A l’exception des pays d’Europe de l’Est, qui s’en sont sorti sans trop de maux, la communauté européenne ne tient certainement plus à rééditer une expérience décevante. Les crises affectant l’Europe et la construction européenne ne manquant pas -elles n’ont d’ailleurs jamais manqué- la caserne des pompiers de l’Union ne souhaiterait sûrement pas crier au feu. En cela, la Bulgarie participe malgré elle à la remise en cause de l’élargissement de l’Union et à la réflexion sur l’avenir de sa politique. Avec l’application d’un mécanisme d’accompagnement, on assiste de toute évidence à la naissance d’une modalité d’intégration, un instrument de la future politique d’élargissement, qui a fait de la Bulgarie, au départ considérée comme une « terre d’exception », un laboratoire du renforcement de la conditionnalité dans l’adhésion de nouveaux États. De façon moins eurocratique, il convient de considérer l’apport de l’intégration à la Bulgarie. L’ancrage européen du pays est bien réel. Les derniers sondages ont démontré que les citoyens bulgares faisaient davantage confiance aux autorités européennes qu’à leurs propres autorités. Malgré les tristes conséquences du gel des fonds européens pour un citoyen ordinaire, et pour tout contribuable européen, Bruxelles, fort de ses instruments de pression, s’affirment comme une aide considérable, presque un palliatif aux difficultés nationales à lutter contre l’oligarchie des groupes criminels. C’est finalement cela aussi que l’on pourrait qualifier de solidarité européenne…Arnaud STEYER, étudiant en droit européen à l'Université Robert Schuman de Strasbourg

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