Les DJs berlinois : mix et melting-pot culturel
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Medhi MakhloufLe monde est parfois nimbé de paradoxes. Il l’est par exemple quand une discipline caractéristique d’un pays donné compte de plus en plus sur les immigrés. On appelle ça le melting-pot. Ici, on parlera de mix car si Berlin est la capitale européenne de l’electro, c’est en partie grâce aux étrangers. Le « Multikulti n’est par mort », madame Merkel : « last night a Dj save (your) life ».
A Berlin, la fête ne s’arrête jamais. La ville est animée, facile à vivre et pleine de gens intéressants. Peu importe la façon dont vous vous habillez ou d’où vous venez. « Loyer pas cher », trois mots qui sonnent comme une formule magique. Et il semble que ce soit tout ce qui est nécessaire au développement de la créativité. Une question demeure : qui vient ici, maintenant et pourquoi ?
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« Tout ceux qui le peuvent », déclare le DJ/producteur né à Berlin mais d’origine hongroise Stefan Goldmann. « En général, il y a deux catégories : les jeunes de classes moyenne qui reçoivent une aide de leurs parents, et dans une moindre mesure, les gens en marge de la société. Le premier groupe s’y installe car ils y ont entendu que cette ville est une fête permanente. Le second groupe cherche à migrer vers l’Europe de l’ouest. Ce qui est stupéfiant, c’est qu’on ne voit aucune différence à partir du moment où l’on fait partie de la classe moyenne. Ils parlent tous Anglais, s’habillent de la même façon, écoutent le même style de musique et affirment tous avoir la même culture. Il n’y a donc pas vraiment d’influence culturelle de migration remarquable. »
Multi dans la culture
« C’est juste différent de ce dont ils ont l’habitude d’entendre. »
La carrière du DJ allemand/turque Ipek Ipekcioglu, alias « Dj Ipek », s’est vu propulsée d’une façon involontairement abrupte. « Le gérant du club m’a demandé si j’étais lesbienne et turque, avant de me supplier de mixer, m’expliquant qu’une fête orientale gay allait se tenir et qu’il n’y avait pas de DJ turque. Je ne savais pas comment cela fonctionnait, je ne possédais que des cassettes audio. L’idée d’être musicien ou DJ ne m’avait jamais traversé l’esprit. » C’était en 1994 lorsque l’idée de multiculturalisme et des soi-disant « quotas culturels » accordèrent une faveur à Ipek. Pendant une longue période, elle fut la seule à passer de la musique non américaine sur scène, en incluant des sons venus de Turquie, du Moyen-Orient et d’autres pays arabes dans ses sets qu’elle mixera plus tard avec de l’electro.
Aujourd’hui, elle est internationalement sollicitée et son savoir-faire est reconnu comme l’une des contributions culturelles les plus importantes de Berlin. On s’est rencontrés dans un café entre le quartier Kreuzberg et celui de Neukölln (pour votre information – l’appellation pour désigner le mix des deux quartiers, « Kreuzkoln », est ringarde désormais). Sur la table de son salon, trône un DVD intitulé TokyoGodfathers, sur son mur – sont accrochés un poster indien et une immense photo d’Istanbul. « Il est parfois difficile de sortir d’un cliché ethnique, je fais donc aussi de l’electro », dit-elle « les gens réclament des "chansons Arabes" et je leur répond "CE SONT des chansons arabes". C’est juste différent de ce dont ils ont l’habitude d’entendre. Les gens veulent souvent des choses traditionnelles, mais vous devez parfois leur faire découvrir de nouveaux sons. » Ipek estime sévèrement qu’il y a 5 ou 6 DJs comme elle, et qu’elle est constamment à l’écoute des nouveaux artistes en les encourageant à jouer « des morceaux ethniques ».
En revanche, les musiques qui incorporent des rythmes balkaniques ne semblent pas correspondre aux standards de Berlin. « Elles n’ont rien à voir avec les musiques berlinoises, mais elles passent », explique Théo Lessour, un Français expatrié à Berlin et auteur du livre Berlin Sampler. Stefan Goldmann pense quant à lui que seules les minorités profondément implantées témoignent d’une influence sur la population et la musique de la capitale. C’est la raison pour laquelle les Allemands ont une certaine idée de la « pop turque ». D’autres se rencardent grâce aux médias et aux compagnies de maison de disques, surtout dans le milieu du reggae. Parfois, ils font de grandes découvertes, comme Nordic By Nature. Les deux suédoises diffusent la musique scandinave en Allemagne, sont DJs, ont leur propre émission de radio sur BLN.FM et organisent des concerts, des fêtes et d’autres évènements tels que le festival MidSommar. Vladimir Kaminer a également connu pas mal de succès via son émission-radio « Russendisko ». Mais ça n’a pas duré bien longtemps. D’après Stefan, « les gens se saoulaient à la vodka en dansant sur du Vissotskiy – et ça s’arrêtait là. » En effet, il pense que même lorsque la musique est vraiment bonne, elle reste cantonnée dans des espèces de frontières ethniques. « Les Allemands peuvent un jour écouter de la musique gitane, des fanfares venues de Roumanie, mais jamais le genre electro tzigane ne passera dans un bar ou une boite de nuit. Cette musique existe, mais elle passe inaperçue. »
Si loin, si proche
« Les influences ethniques en musique sont trop souvent utilisées en guise d’arrangements », explique Andreana Slavcheva, ancienne rédactrice de la radio en ligne Aupeo.com. « Les DJs se moquent réellement de l’essence de ces sons. » Andreana pense que c’est désormais très difficile d’être créatif, exotique ou original. Théo Lessour confirme à travers un exemple de soirée assez récente où « le type ne jouait que des sons maliens d’un label africain des 80’s. Il était blanc et la plupart des gens étaient blanc - il n’y a pas beaucoup d’africains à Berlin. C’était une fête branchée avec de la musique africaine bon marché qui plus est diffusée avec du mauvais matériel. »
« Le monde est plus que prêt pour lechalga. »
D’un autre coté, la dernière chanson techno de Goldmann utilise des motifs (non samplés mais composés et joués par ses soins) qui rappellent le style populaire et tout aussi méprisé du pop-folk bulgaro-turque alias « chalga ». « Le monde est plus que prêt pour le chalga. Je l’ai joué partout, de l’Italie au Japon. A Sofia, c’est en train de prendre aussi. Je l’ai joué au réveillon du jour de l’an à Kino Vlaykova et les gens commençaient à comprendre à quel point ce style est génial. C’est la musique électronique moderne qui s’en inspire, et personne à Berlin, New York ou Londres ne peut tenir le niveau pour le moment. Le potentiel est incroyable en terme de créativité. Et je peux tenir la distance. »
« Berlin est une petite ile qui vous laisse croire »
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Tim Thaler, co-fondateur et éditeur en chef de la station de radio BLN FM, enseigne aussi le journalisme, dans l’appartement charmant et quelque peu délabré ou se situent les locaux. Nous étions assis sur le trottoir où nous à rejoint Barbara Hallama, la DJ/productrice radieuse - et tellement expérimentée que ça en devient intimidant - qui passait par là sur son vélo. « Je ne crois pas avoir vu quelqu’un faire ça à Berlin. Ils s’installent ici, essaient d’y parvenir pendant une année et repartent quand ils se rendent compte que ça ne marche pas. » L’escapade radicale c’est leur truc, conclut Théo. » Il n’y a pas de pression sociale pour faire ça. Berlin est une petite ile qui vous laisse croire l’espace d’un instant que le capitalisme ne vous dévore pas chaque jour et que vous pouvez résister. Les gens ici pensent vivre différemment. »
Quand on est Dj à Berlin, face à 50 000 compères en ville, il est impossible de s’introduire dans le monde de la nuit à moins de connaitre des gens qui y sont déjà implantés. Les concerts dans de petits bars sont aussi extrêmement difficiles à obtenir que payés au rabais. Vous pouvez faire votre propre fête mais cela ne marchera pas non plus, selon Tim. Il faut donc de l’auto-discipline afin de rester concentré, comme l’a mentionné lors d’une émission radio sur Spark FM, l’ancien rédacteur musical de l'émission, David Strauss : « Mes ambitions intellectuelles ont été subsumées par mon simple désir berlinois de m’en sortir. »
Cet article fait partie de Multikulti on the Ground 2011-2012, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans toute l’Europe. Pour en savoir plus sur Multikulti on the Ground. Merci à l'équipe de cafebabel Berlin.
Photos : Une © courtoisie de la page Facebook officielle de Ipek Ipekcioglu; Texte : Kater Holzig club © Bistra Andreeva, Vladimir Kaminer © Jan Kopetzky ; Vidéos : (cc) YouTube
Translated from Berlin's multicultural music mix: subsuming Berlin