Les Britanniques craignent pour leur droit de manifester
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Amaury de SartPendant la veillée en l'honneur de Sarah Everard, une jeune femme enlevée et tuée en mars alors qu'elle rentrait chez elle à Londres, des scènes d'affrontements entre policiers et participants sont devenues virales. Depuis lors, un nouveau projet de loi concernant la police a été présenté. Il est censé augmenter le pouvoir des agents en cas d'intervention dans des manifestations pacifistes. Ce projet a reçu de vives critiques de la part d’activistes à travers le Royaume-Uni, et de nombreuses personnes craignent que les scènes de violences survenues pendant la veillée ne deviennent la nouvelle norme.
Alors qu'en ce samedi 13 mars le soleil se couche sur le parc londonien de Clapham Common, Bella descend de son vélo pour rejoindre une foule de plusieurs centaines de femmes. Elles se rassemblent en mémoire de Sarah Everard, une responsable marketing enlevée et tuée à South London plus tôt cette année.
Bella décrit une scène à la fois belle et étrange. Celle d'une foule composée de femmes aux parcours très différents. Certaines personnes s'avancent pour déposer des fleurs. D'autres restent debout, silencieuses, plongées dans leurs pensées.
Après le coucher du soleil, pourtant, la police intervient, arrête quatre personnes et plaque quatre femmes au sol. Ces scènes deviendront ensuite virales. Elles semblent illustrer la rudesse et le manque de tact de la police, d'autant qu'un membre des forces de l'ordre a été accusé du meurtre de Sarah.
« Les gens voulaient juste un moment pour faire leur deuil, explique Bella. Ça ne ressemblait pas à une manifestation jusqu'à ce que la police arrive. On avait plutôt l'impression de voir des gens qui se consolaient et qui partageaient un moment ensemble ». Ce genre d'événements fait désormais face à un futur incertain, notamment avec des inquiétudes sur le droit de protester au Royaume-Uni.
Kill The Bill
Mardi 16 mars, un amendement de la loi qui régit la police, les peines de prison et les procédures judiciaires (the Police, Crime, Sentencing and Courts Bill) a été approuvé par les députés britanniques. Il est notamment destiné à augmenter le pouvoir de la police face aux manifestations. Il permettra également aux officiers d'imposer certaines conditions en cas de manifestations tapageuses qui pourraient intimider ou agresser les spectateurs ou provoquer chez eux « un sentiment de malaise, d'inquiétude et de harcèlement ». Il fera également entrer en vigueur l'infraction statuaire de nuisance publique intentionnelle ou dangereuse.
L'amendement proposé a été accueilli avec méfiance et colère. « Manifester, ce n'est pas une faveur de l'État. C'est notre droit fondamental », affirme Gracie Bradley, directrice intérim au sein de l'association en faveur des droits de l'homme Liberty. L'association a fait part de ses inquiétudes sur le fait que le gouvernement britannique utilisait la crise sanitaire comme excuse pour rendre les mesures policières d'urgence permanentes.
Amnesty International UK s'est également levé contre l'amendement. La directrice de l'association, Kate Allen, craint que « cet amendement normalise les scènes vues à Clapham Common », faisant référence aux interventions agressives lors de l'événement.
Revenant sur son expérience de la veillée, Bella explique que « l'ambiance est devenue plus agressive à l'arrivée des policiers. Au début, ils n'avaient pas l'air si violents, et puis nous avons entendu les premiers cris, du genre 'laissez notre sœur tranquille' ».
Elle a quitté la veillée avec ses amis quand ils ont entendu les policiers annoncer qu'ils allaient mettre la loi en application. « C'était trop chargé émotionnellement. Beaucoup de personnes dans notre groupe avaient déjà subi des agressions sexuelles et cela ressemblait à une provocation ».
Selon Bradley, « on a donné le choix aux policiers quant à la façon d'aborder cette manifestation. Ils auraient pu collaborer avec les organisateurs pour s'assurer que les participants puissent se recueillir collectivement et manifester contre le manque de protection. Au lieu de cela, ils ont choisi d'intervenir de façon agressive, ce qui a mis en danger la santé des gens et mené au chaos et à la panique ».
La commissaire de la police métropolitaine, Cressida Dick, a défendu les actions des forces de l'ordre. Elle affirme que « son équipe a senti qu'il y [avait] un rassemblement illégal qui, sur base du règlement, mettait la santé des gens en grand danger. Mes officiers se sont trouvés dans une position très difficile ».
La veillée 'Reclaim These Streets' (Reprendre ces rues, ndlr) a été officiellement annulée après que le service de police métropolitain a refusé le jour avant l'événement qu'elle soit organisée. Malgré cela, des centaines de personnes se sont rassemblées en signe de respect pour Sarah Everard. Elles se sont exprimées contre les féminicides et ont manifesté contre les agressions et les dangers que les femmes subissent quotidiennement.
Selon Femicide Census, une femme est tuée par un homme tous les trois jours en moyenne. Les chiffres de UN Women UK révèlent également que pas moins de 97% des femmes britanniques âgées de 18 à 24 ans ont déjà été agressées sexuellement.
Une menace pour la démocratie
Depuis la veillée, partout en au Royaume-Uni, des gens sont descendus dans la rue pour protester contre l'amendement de la loi qui régit la police, les peines de prison et les procédures judiciaires. Ainsi, une manifestation du nom de 'Kill the Bill' a eu lieu à Bristol et s'est terminée par des scènes de chaos et de violences après que les manifestants se sont heurtés à la police, menant à dix arrestations.
Les opposants à l'amendement, des manifestants aux députés qui ont voté contre, craignent que les incidents survenus lors de la veillée de Sarah Everard et de la manifestation 'Kill the Bill' se reproduisent même après que les restrictions liées au coronavirus soient levées. L’amendement autorisera la police à fixer une heure de début et de fin, à imposer des limitations en termes de bruit et à disposer d'une autorité plus grande dans les manifestations pacifistes. Pour beaucoup, ces régulations sont considérées comme une atteinte dangereuse aux droits qu'ont les citoyens de protester et de manifester leurs opinions.
Le député travailliste Chris Lewis l'a dit sans détour dans un tweet: « Notre démocratie est balayée par un programme calculé visant à laisser le public sans voix et sans force. Toutes les personnes qui accordent de l'importance à la démocratie doivent s'organiser et se défendre ».
Photo de couverture : La veillée pour Sarah Everard le 13 mars à Clapham Common © Bella S.
Translated from Brits fear for their right to protest in the UK