Les Allemands fuient leur fac pour étudier en Autriche
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Auteur: Mélanie Sueur Edition: Jane Mery, Cafebabel.com Ils sont jusqu’à 12 % dans certaines villes universitaires frontalières : les étudiants allemands tentent d’échapper au numerus clausus et s’inscrivent en médecine ou en psycho chez leurs voisins autrichiens. Une même langue, et des frais de scolarité récemment supprimés. Zoom sur ce phénomène migratoire.
18 000, c’est le nombre approximatif d’étudiants allemands actuellement inscrits dans une université autrichienne selon l’agence de presse autrichienne APA. Un chiffre qui a enregistré une progression constante au fil des ans, faisant de l’Autriche la seconde destination favorite des étudiants allemands, pour tout ou partie de leur cursus universitaire. Les Allemands représentent 5 % de la population étudiante au niveau national, et jusqu’à 12 % des inscrits dans certaines villes autrichiennes proches de la frontière allemande, comme à Salzbourg.
« Les contribuables autrichiens doivent-ils mettre leur infrastructure universitaire à la disposition de l’Europe centrale ? »
Ce phénomène migratoire n’est pas nouveau : depuis plusieurs années déjà, l’Autriche accueille des vagues d’étudiants allemands qui fuient surtout le « numerus clausus » appliqué dans leur pays. La médecine et la psychologie, des disciplines pour lesquelles l’Autriche n’organise pas de concours d’admission à l’université, sont les plus prisées. « Je suis l’un de ces fugitifs du numerus clausus, avoue Bertram, 23 ans, étudiant allemand inscrit à l’université de médecine de Vienne. J’ai choisi d’étudier la médecine après un stage à la Croix rouge, et une expérience d’ambulancier ; mais en Allemagne, il est très difficile d’obtenir une place à l’université. » « En Autriche, tout le monde peut étudier ce qu’il veut, alors qu’en Allemagne, seuls les meilleurs bacheliers peuvent choisir leur matière principale », résume Stella, étudiante originaire de Sarrebrück en Allemagne, elle aussi installée à Vienne.
Dans les couloirs de l’université de Vienne | (Photo: Matthias Wurz/babelWien)
Dans d’autres matières aussi, comme la communication, les sciences politiques, le droit et les sciences de l’éducation, le système universitaire autrichien fait recette. « En Allemagne, on doit passer deux examens d’Etat pour devenir avocat, l’un portant sur les quatre premières années d’université, l’autre sur les deux suivantes. Le système autrichien permet de valider chaque matière après chaque cours, et une bonne fois pour toutes », explique Shahanaz qui s’est inscrite en droit à l’université de Vienne, après quatre semestres validés à Mainz en Allemagne. « Grâce à l’Europe, j’ai pu transférer mes crédits », explique-t- elle. « C’est grâce à l’UE que j’ai le droit d’étudier ici, ajoute Beltram, seule l’Europe a rendu cela possible. »
Des frais de scolarité gratuits
Si la proximité géographique entre les deux pays, et surtout leur langue commune, a facilité l’émigration des étudiants allemands vers la petite république alpine, la suppression des frais de scolarité à l’université, actée en mars dernier par la nouvelle coalition autrichienne au pouvoir - elle s’applique depuis la rentrée 2009 - ne peut qu’amplifier le phénomène.
Réintroduits en 2000-2001 après 29 ans de gratuité, les frais de scolarité s’élevaient jusqu’alors à 363 euros par semestre pour les citoyens autrichiens et de l’Union européenne. Depuis septembre 2009, les étudiants inscrits en Autriche paient la modique somme de 16 euros par an. Du coup, à l’université de Salzbourg, une augmentation de près de 20 % des demandes d’inscription en psychologie a déjà été constatée depuis cet été.
Loin de se réjouir d’attirer de plus en plus d’étudiants, les universités autrichiennes craignent de ne pas avoir la capacité d’accueillir tout ce monde. Des critiques s’élèvent également pour dénoncer la facture, salée pour les contribuables autrichiens, du financement de la formation des étudiants étrangers. Le recteur de l’université d’Innsbruck posait, fin octobre, le problème en ces termes, sur la chaîne de télévision ORF : « Peut-on attendre des contribuables autrichiens qu’ils mettent leur infrastructure universitaire à la disposition d’une grande partie de l’Europe centrale ? » Néanmoins, l’impact de la suppression de frais d’inscription sur la progression du nombre de candidats allemands en Autriche reste difficile à évaluer.
Pour ou contre les quotas
Car en proportion, les étudiants autrichiens sont bien plus nombreux que les Allemands à s’inscrire chez leur voisin germanophone ! En 2007, 2 % de la population estudiantine autrichienne a intégré une université allemande, contre seulement 0,6 % d’étudiants allemands en Autriche, selon l’Unesco et les statistiques nationales autrichiennes et allemandes. Inquiètes de ce phénomène migratoire, les autorités autrichiennes ont pourtant toujours tenté de favoriser l’admission de leurs étudiants nationaux, au détriment du principe européen de non-discrimination des citoyens de l’Union européenne.
Déjà épinglée en 2005 par la Cour de justice des communautés européennes pour discrimination envers les citoyens européens non nationaux, l’Autriche applique depuis 2006 un nouvelle mesure visant à favoriser l’admission des étudiants autrichiens : la politique des quotas. Ces quotas sont appliqués dans plusieurs filières particulièrement prisées des étudiants allemands. C’est le cas des études de médecine, où 75 % des places sont réservées aux Autrichiens, 20 % aux citoyens de l’Union européenne et enfin 5 % pour les étudiants originaires de pays tiers de l’UE.
« L’examen d’entrée est encore plus difficile pour nous », se plaint Beltram, étudiant allemand qui, à cause du faible nombre de places disponibles pour les étudiants européens non-nationaux, a dû obtenir un bien meilleur résultat que les candidats autrichiens, pour avoir une chance d’intégrer sa première année de médecine. Et en quel honneur ? L’Autriche se justifie en pointant le risque de pénurie de professionnels de santé pour le pays. Un argument qui a convaincu la Commission européenne, du moins pour un temps. La politique des quotas est tolérée jusqu’en 2012.