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Les agrocarburants n’ont plus la cote en Europe

Published on

Lyon

L’Union Européenne s’était fixée comme objectif d’incorporer d’ici 2010 5,75% de cultures énergétiques dans sa consommation de carburant (et 20% d’ici 2020). Cet objectif a été révisé à la baisse par le parlement européen , suite à l’adoption du rapport Thurmes le 12 septembre 2008 à une écrasante majorité (50 voix pour, 2 contre, 0 abstention ; sur 785 députés normalement présents).

Il est désormais question d’incorporer 5% d’énergies renouvelables (4% d’agrocarburants et 1% d’énergies telles qu’électricité et hydrogène) dans les carburants routiers en 2015 ; et 10% en 2020. Actuellement, la proportion d’agrocarburant dans la consommation européenne est de 3%.

Par Lutin Jovial

La France, par contre, souhaite aller au-delà de cet objectif. Le plan biocarburant fixe un seuil de 5,75% de cultures énergétiques en 2008 ; 7% d’ici 2010 et 10% d’ici 2015.

Plusieurs associations réunies sous la campagne « Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde » (comprenant entre autres Les Amis de la Terre, Oxfam France et le Comité catholique contre la faim et pour le développement) lancent un appel à l’Union Européenne et à la France afin qu’ils suppriment tout objectif chiffré pour la consommation d’agrocarburant. L’ARF (Associaton des Régions de France) plaide également pour une révision à la baisse des objectifs européens d’incorporation d’agrocarburants dans les transports.

L’utilisation des agrocarburants vise à incorporer des dérivées de cultures (canne à sucre, maïs, colza, soja, blé, algues) à de l’essence ou à du gazole pour diminuer la consommation d’énergies fossiles (en particulier le pétrole) ainsi que les émissions de gaz à effet de serre.

On distingue principalement 2 filières d’agrocarburants :

la filière « huile » (agrodiesel)

L’huile végétale peut être extraite d’espèces végétales riches en huile (colza, tournesol, palmier à huile, jatropha, ricin…). L’huile végétale peut alors être utilisée dans des moteurs à diesel adaptés. Le biodiesel est également appelé « diester ». La filière agrodiesel (parfois appelés biodiesel) représentait 20% de la production mondiale d’agrocarburants en 2007. L’Union Européenne (60%) et les Etats-Unis (17%) sont les principaux producteurs mondiaux d’agrodiesel. Presque la moitié de la production mondiale d’agrodiesel est réalisée par l’Allemagne et la France.

la filière « alcool » (agroéthanoll)

Il s’agit d’utiliser des cultures riches en sucres (betterave sucrière, blé, maïs, canne à sucre, certaines algues…) pour la production de carburant.

En 2007, la production d’agroéthanol (parfois appelé bioéthanol) était équivalente à 80% de la production mondiale d’agrocarburants. La majorité de la production d’agroéthanol se trouvait aux Etats-Unis (51%) et au Brésil (37%). La production de l’Union Européenne représente 4% de la production mondiale d’agroéthanol.

En 2006, la production d’agrocarburants en Europe dépassait 6 millions de tonnes (80% de biodiesel et 20% d’éthanol); contre moins de 1,5 million de tonnes en 2002. En 2006, la part des agrocarburants dans la consommation de carburant pour les transports en Europe était de 1,9%. En 2007, les agrocarburants représentaient 1,8% de la consommation totale de carburant pour les transports.

Note : Le terme « biocarburant » désigne les carburants fabriqués à partir de cultures énergétiques ou de déchets tels que le suif (graisse d’animaux herbivores) ou l’huile de cuisine. Le terme « agrocarburant » se limite aux cultures énergétiques. Les détracteurs préfèrent le terme « agrocarburant » qui n’induit pas de confusion sur le caractère écologique du mot « biocarburant ». Une distinction est également faite entre les agrocarburants de 1ère et de 2e génération ; bien qu’il n’y ait pas de définition officielle claire. La « 2e génération » fait tantôt référence à l’utilisation de cultures énergétiques qui ne peuvent pas être utilisées dans l’alimentation (bois, feuilles, paille…), tantôt à la différence en termes de technologies « simples » et « avancées ».

Plusieurs raisons peuvent expliquer la désaffection récente que l’on observe à propos des agrocarburants :

facteurs économiques

La forte augmentation du prix des denrées alimentaires rend les cultures alimentaires financièrement plus intéressantes que les cultures énergétiques. Un changement des régles européennes permet désormais d’utiliser les surfaces en jachère pour des cultures alimentaires, et non plus seulement pour des cultures industrielles. Une aide de 45 € par hectare était versée aux agriculteurs européens pour les cultures énergétiques. Ce n’est plus le cas.

Note : Une jachère est une terre cultivable laissée « au repos » soit pour laisser le temps au sol de se reconstituer en éléments nutritifs ; soit pour diminuer les risques de surproduction agricole (comme imposé jusque récemment par la Politique Agricole Commune de l’Union Européenne).

facteurs écologiques

Accusés d’entrer en compétition avec les cultures alimentaires, de contribuer à la destruction de zones riche en biodiversité -forêts, zones humides…- (rendue nécessaire par la recherche de nouvelles surfaces cultivables due à l’accroissement de la demande pour les cultures), l’intérêt écologique des agrocarburants est de plus en plus contesté.

On peut s’interroger sur l’intérêt de remplacer une dépendance à l’égard du pétrole par une autre dépendance à l’égard des cultures énergétiques cultivées dans les climats tropicaux (éthanol produit à partir de la canne à sucre au Brésil, huile de palme en Indonésie et en Malaisie…). Les surfaces cultivables en Europe sont en effet largement insuffisantes pour répondre aux besoins en cultures énergétiques. De plus, le différentiel des coûts de production des agrocarburants (que ce soit pour la main d’œuvre ou les rendements des cultures énergétiques) risque d’inciter les pays européens à satisfaire les objectifs d’incorporation d’agrocarburants grâce aux importations. En 2007, les Etats-Unis et le Brésil contrôlaient presque les trois quarts de la production mondiale des biocombustibles. Quid alors des impacts écologiques liées au transport depuis des régions éloignées de l’Europe ?

Une augmentation de la demande en agrocarburant inciterait à rechercher des rendements agricoles élevées ; ce qui se traduit entre autres par une utilisation accrue de pesticides. Un certain nombre de fertilisants sont des dérivés du pétrole. Par conséquent, la réduction de la dépendance à l’égard des hydrocarbures grâce aux agrocarburants risque d’être illusoire. De plus, une plus grande utilisation de fertilisants (engrais azotés notamment) accroit les risques d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, de pollution du sol et des cours d’eau. Des rendements agricoles plus élevés pourraient être en contradiction avec des politiques agricoles relatives à l’aménagement du territoire (entretien du paysage, préservation du milieu naturel, lutte contre l’érosion des sols…).

Rendre cultivable des surfaces auparavant destinées à la jachère, aux pâturages, à la forêt ont pour conséquence une réduction des « puits de carbone » (zones dont la forte végétation « capte » le carbone contenu dans l’atmosphère).

Quant au bilan énergétique (rapport entre l’énergie fossile -pétrole- utilisée et l’énergie fossile économisée), il est également discutable. Une étude sur les agrocarburants réalisée pour l’ARF (Association des Régions de France) a été rendue publique le 10 septembre dernier. Elle critique les études d’évaluation de l’impact des agrocarburants. Un grand nombre d’entre elles, en se focalisant sur les impacts liés à l’effet de serre et à la dépendance énergétique, ne tiennent pas compte des effets d’une augmentation des cultures énergétiques sur l’utilisation des sols et la consommation d’eau. La variété des méthodologies employées et la qualité des données utilisées pour les différentes études rend difficile leurs comparaisons. Par exemple, les rendements agricoles varient fortement selon le type de sol, le climat, les pratiques agricoles (types et doses de pesticides, travail du sol…) et la consommation d’eau. Selon les hypothèses choisies, le carbone libéré dans l’atmosphère (et donc l’intérêt des agrocarburants) varie fortement. Un certain nombre d’inconnues concernent également le rendement énergétique des agrocarburants ; et notamment, la valorisation des résidus agricoles (les parties de la plante qui restent une fois que l’on a extrait le composé valorisable en énergie : tourteaux pour les filières d’huile, drêches pour les filières d’éthanol…). Ces co-produits peuvent être utilisés comme combustibles ou bien dans l’alimentation animale. Selon le type de valorisation choisie, le bilan énergétique des agrocarburants s’en trouve modifié.

L’intérêt écologique des agrocarburants étant discutable, on peut se demander s’il est encore justifié d’accorder des déductions fiscales pour la commercialisation et la production d’agrocarburants. Le collectif d’ONG de la campagne « Les agrocarburants ça nourrit pas son monde » estime que ces mesures de défiscalisation atteindront, 800 millions d’euros pour l’année 2008 (en France). Cette déduction fiscale n’est pas applicable pour le consommateur final d’agrocarburant (l’automobiliste). Elle favorise donc surtout les industriels (en France : Téréos, Cristal Union et Sofiproteol).

Quoi qu’il en soit de l’intérêt écologique des agrocarburants, les surfaces agricoles sont insuffisantes pour répondre à la demande en carburant. Les agrocarburants ne sont pas la « solution miracle ». D’autres pistes sont à explorer pour réduire la dépendance à l’égard du pétrole : transports en commun, priorité donnée au transport ferroviaire, relocalisation de l’économie, urbanisme, nouvelles sources d’énergie (voiture solaire ou à hydrogène…). Une autre alternative (biodiesel issue de l’huile de friture usagé) fait également son apparition. L’association « Roule ma frite » (implantée notamment à Lyon, Saint-Priest, Marseille, Oléron, Rochefort et Royan) organise la collecte et la distribution d’huile de friture usagé pour les automobilistes. Cette valorisation d’un déchet en carburant laisse néanmoins perplexe. Il est peu probable que la consommation d’huile suffise à satisfaire la demande en carburant.

Voir aussi : Campagne "Les agrocarburants, ça nourrit pas son monde" par Oxfam France – Agir ici, le CCFD et Les Amis de la Terre.