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L’emploi en Italie : chroniques d’une génération perdue

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Ce n’est pas un mot que l’on oublie facilement, « choosy », c'est-à-dire « exigeants ». Surtout lorsqu’il est adressé aux jeunes d’un pays dont le taux de chômage est l’un des plus élevés d’Europe. Plongée dans les dysfonctionnements du système de travail italien où la génération « bamboccioni » (Tanguy) n’est même plus apte à servir des kebabs.

En Italie, c’est à la mode d’être « choosy ». Aujourd’hui, c’est au tour de la ministre Fornero, qui, après avoir emprunté ce triste terme, effrayée à l’idée d’une nouvelle fustigation de la part du peuple de la Toile, a demandé à ce que les portes d’une conférence soient fermées aux journalistes car, a-t-elle dit, « autrement je serais obligée de réfléchir à chaque mot que je prononce ». Ignorant, peut être, qu’un choix des mots plus responsable serait souhaitable pour un ministre.

La famille en dernier recours

Faute d’un soutien de l’État, ils se tournent de nouveau vers leur famille, perpétuant ce cercle vicieux qui les contraint à rester liés au foyer domestique

En Italie, la famille est devenue le bouc émissaire des erreurs politiques et sociales survenues depuis l’après-guerre, le réceptacle d’attentes impossibles, d’espérances vaines, d’illusions de gloire. Malgré cela, elle reste encore le seul appui sur lequel les jeunes peuvent compter pour faire face à une politique qui leur a déjà attribuée, en reprenant les mots du technicien Monti, l’étiquette de « perdus ». Le président du Conseil s’est également lavé les mains, se déclarant incapable de résoudre les problèmes mais seulement en mesure d'en limiter les dégâts. Approche intéressante et très évasive. C’est parce qu’en Italie, il manque depuis longtemps ces amortisseurs qui dans d’autres pays, comme l’Allemagne et la Finlande, permettent aux jeunes de débuter dans le monde des adultes et de faire leur vie à 18 ans : primes de naissances, salaires payés (cela parait évident, mais ça ne l’est pas), frais universitaires réduits ou gratuits, aides aux jeunes entreprises et primes à l’embauche. Dans l’Europe du nord, tout cela est fourni par l’État, non pas pour en faire des assistés, mais pour récompenser les citoyens qui paient les taxes et font des sacrifices. Il suffirait seulement aux jeunes italiens de ne pas être considérés comme des « bamboccioni », jusqu’à 35-40 ans, aux yeux du reste du continent.

Plusieurs fois, je me suis vu demander pourquoi je ne réclamais pas l’allocation de chômage à l’État. « Quelle allocation ? », répondais-je. Et la personne qui était en face de moi était Biélorusse, pas Suédoise. C'est-à-dire qu’en dehors des stéréotypes et des clichés, l’aide aux chômeurs n’est pas un privilège d’une Europe du nord toujours plus inaccessible. En Italie, à qui les jeunes doivent-ils s’adresser ? Au sous-secrétaire d’État qui les appelle « guignards » ? Au Premier ministre qui les a condamnés à un enfer presque sans issue ? A l’ex-ministre qui définit les précaires comme « la pire partie de l’Italie » ? Faute d’un soutien de l’État, ils se tournent de nouveau vers leur famille, perpétuant ce cercle vicieux qui les contraint à rester liés au foyer domestique et donne cette image de l’Italien incurablement accroché aux jupons de sa maman. Et si jusqu’à maintenant, l’aptitude des Italiens à économiser, propre au Bel Paese, sauve aussi ce dernier pilier de l’écroulement, que se passera-t-il si la reprise, que les ministres souhaitent pour 2014 (année où ils auront probablement démissionné), commence dans 5 ans, comme le prévoit au contraire la sombre FrauMerkel.

Quand un kebab devient « choosy »

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Il serait trop facile de rappeler comment, depuis le pic des années 2000, la dépense publique italienne a seulement doublé, alors que la dette a presque décuplé. Ou que selon une enquête de Bankitalia, 25% des étudiants ayant obtenu un diplôme universitaire se sont très bien adaptés au fait d’occuper un poste de travail demandant des qualifications basses voire aucune qualification, beaucoup plus que les Allemands au même âge (en Allemagne, les chiffres chutent à 18%). Si ensuite nous insérions, toujours selon Bankitalia, le tristement célèbre NEET (ni employé, ni étudiant, ni stagiaire) dans le calcul du chômage, notre pourcentage de chômeurs s’élèverait à 12,4%, le sixième taux le plus important de toute la zone euro. Et ceci, avec les salaires moyens les plus bas, de la très civilisée « Europe Marshall », en excluant le Portugal. Notre pays détient une suprématie bien peu enviable dans la zone euro, rejoignant le podium du chômage des jeunes, à la troisième position aux cotés du Portugal, avec 35,1%. D’après les données du Rapporto Giovani, obtenues à partir d’un échantillon de 9000 de personnes âgées de 18 à 29 ans, il ressort que ces derniers mettent sans cesse tout en œuvre pour rechercher un emploi et que 45% ne sont pas satisfaits mais quand même obligés de répondre à leurs besoins. Et on ose dire qu’ils font la fine bouche.

Ce n’est pas un hasard si les sites qui diffusent des articles sur comment émigrer sans problème sont littéralement pris d’assaut.

Mais l’impression que l’on a est celle d’une classe politique qui cherche à rejeter la faute sur l’élément faible de la société, plutôt que d’admettre ses propres erreurs. Tout comme Berlusconi qui demande pardon aux Italiens sur son plateau de télévision préféré, pas d’avoir été un incapable mais de ne pas avoir réussi à porter à terme sa grande réforme libérale car la crise l’en a empêché. Tout comme cette Europe qui condamne les sorties grossières de Viktor Orbán, mais qui n’empêche pas l’arrestation de Kostas Vaxevanis. Avec ces promesses, les jeunes italiens, de plus en plus « choosy », deviendront trop difficiles, et iront chercher un futur à l’étranger. Ce n’est pas un hasard si les sites qui diffusent des articles sur comment émigrer sans problème (parmi les plus connus, on trouve Italiansinfuga et Goodbye Mamma) sont littéralement pris d’assaut par nos compatriotes.

Je ne me présente pas comme un cerveau en fuite, mais je pense sérieusement à l’expatriation. J’ai peut être attendu trop longtemps que les choses changent et à 32 ans on n’a plus envie de s’accorder le luxe d’attendre encore. Peut-être que je ne trouverai pas plus ce que je cherche en Allemagne ou aux États-Unis, mais au moins, je ne me retrouverai pas comme hier, de nouveau acteur d’un théâtre de l’absurde, dans un kebab où ils cherchent du personnel mais ont refusé ma candidature « parce que les subventions ne nous sont versées que pour les employés ayant moins de 22 ans, et qu’ensuite cela n’est pas intéressant pour nous de t’embaucher ». Pas plus que la charia de la bureaucratie italienne n’est intéressante pour nous faire travailler.

Photos : © lintmachine/flickr; Vidéo: rai/youtube

Translated from The Italian Job: cronache di una generazione perduta