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L'élargissement, instant de vérité de la construction européenne.

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Eclairage sur le lien profond entre élargissement et la réforme de l’Union entreprise par la convention.

En mai 2004, dix des treize pays candidats à l’entrée dans l'Union européenne y seront admis. Parallèlement, d'ici juin 2003, l'Union devra repenser son fonctionnement à marche forcée dans le cadre de la Convention pour l'avenir de l'Europe. Cet élargissement n'est pas le premier de l'Union et ne sera pas le dernier. Néanmoins, beaucoup plus que les autres, ce prochain élargissement sera sans doute l'instant de vérité pour l'Union européenne: sa réussite dépend de la capacité de l’Union à se réformer, de la définition de l’identité européenne et du sens que l'on veut donner à l'Europe.

L'élargissement a parfois été qualifié de fuite en avant par ses détracteurs. En élargissant l'Europe, les Quinze auraient voulu accélérer la réforme des institutions. Repenser le mode de fonctionnement des institutions s'avère en effet nécessaire pour éviter la paralysie. La Commission ne pourra pas efficacement fonctionner à 25 membres, les propositions de textes risquent fort de s'abîmer dans un consensus mou. De même, au niveau de la prise de décision du Conseil, l'extension des champs d’utilisation du vote à la majorité qualifiée et sa réforme seront essentielles pour éviter les blocages. Ces réformes seront d'autant plus nécessaires que les débats risquent d'être vifs et le consensus rare.

Les pays candidats ont une situation économique, politique, et des intérêts qui divergent encore beaucoup de ceux des Quinze. Certains sujets comme l'agriculture, les aides publiques, les contributions respectives des Etats ont toutes les chances de faire l'objet de débats passionnés. Certes, l'entrée dans l'Union sera un puissant facteur de rattrapage économique et d'affermissement de la démocratie : les précédents de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce sont là pour le prouver. Néanmoins, lors de ces précédents élargissements, la Communauté européenne ne connaissait pas la recomposition institutionnelle actuelle. La réussite économique et politique de l'élargissement est donc étroitement conditionnée à la capacité de la Convention à réformer efficacement les institutions.

"On ne tombe pas amoureux d'un marché"

L'élargissement va aussi conduire à repenser le sens et le contenu de la construction européenne. La formule adoptée par la Convention d'inviter des représentants et des parlementaires des pays candidats à participer à la réforme était à cet égard une solution politiquement légitime et stratégiquement nécessaire. Il était juste que les pays candidats puissent contribuer à l'élaboration des règles qui s'appliqueront à eux dans peu de temps. Il était également stratégique d'apprendre déjà à travailler à 25 : les traditions diplomatiques et les préoccupations des pays candidats sont en grande partie analogues à celles des Quinze. Il n'y a donc pas de raison pour que l'élargissement dissolve l'Union européenne, comme cela a été parfois avancé.

Toutefois, au moment de repenser le sens de la construction européenne, l'élargissement montre aussi l'importance des débats irrésolus autour de l'identité européenne, du choix entre une Europe zone de libre échange et une Europe politique, sur sa place dans le monde et notamment vis à vis des Etats Unis. Là, encore, la solution institutionnelle donnée par la Convention sur la citoyenneté européenne, les institutions et la PESC sera déterminante. Mais elle ne suffira pas. Au-delà des institutions, il faudra susciter l'adhésion des peuples, ce qui sera sans doute difficile: créer enfin une opinion publique européenne, calmer les inquiétudes que soulève l'élargissement aussi bien chez les Quinze que chez les pays candidats, et définir ensemble de ce que chacun attend de l'Union.

"On ne tombe pas amoureux d'un marché", pour citer le mot de Jacques Delors. L'élargissement nous rappelle que l'Europe a toujours du mal à être plus qu'un marché. Il implique une réforme politique profonde : c'est même la condition première de son succès. Mais il nécessite aussi une prise de conscience politique des opinions nationales de plus longue haleine : la constitution de véritables opinion et classe politique européennes.