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Leipzig : l'islamophobie en zig-zag (2/2)

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Société

Pour la seconde fois, l’alliance islamophobe Legida, l’équivalent de Pegida à Leipzig, s’est rassemblée mercredi 21 janvier. Qui sont ces manifestants qui crient « Nous sommes le peuple » et conspuent la « Lügenpresse » ? Tentative de rapprochement avec ces marcheurs du soir. 

Ce qui est surprenant, c'est que beaucoup de manifestants du mouvement Pegida sont prêts à nous en dire plus aujourd'hui. Deux jeunes d'une vingtaine d'années ont fait le voyage depuis Paderborn (dans l'ouest de l'Allemagne) afin de « marcher » pour leurs valeurs : « À cause des questions du genre, de plus en plus de familles éclatent. C'est la représentation traditionnelle que l'on a de la famille qui se voit détruite - et nous sommes contre ça. En politique, je prends pour référence le modèle familial français. En ce qui concerne les réfugiés, j'exige une clé de répartition dans la zone européenne. Ils peuvent tous venir ici, ça ne me pose aucun problème, c'est juste que l'Allemagne ne devrait pas être exploitée en tant qu' État social. » 

Quand on les interroge sur l'attentat contre Charlie Hebdo à Paris, ils répondent : « Oui enfin, on a bien vu que le journal a été repris par la famille Rothschild. » Ils auraient lu cette information sur Internet. Pas besoin de chercher très longtemps sur le Web pour tomber sur des magazines comme NEOPresse ou ContraMagazin qui véhiculent leur penchant pour la théorie du complot. On peut notamment y lire que l'attentat aurait été commis dans le but de faire monter les ventes du journal.

Une question de rang

Les petits groupes se mélangent tandis que la manifestation commence - un quart d'heure de retard, bien loin du cliché de l'allemand ponctuel. Mais on attend encore les « collègues » de Dresde qui ne sont pas encore arrivés. À cause de deux incendies criminels sur la voie ferroviaire ? À 18h45, ils sont enfin là, peut-être une centaine. Beaucoup de gens qui portent des bombers et des capuches se font remarquer. La plupart d'entre eux ont l'air d'avoir à peine plus de 20 ans. On trouve généralement peu de femmes sur place et s'il nous arrive d'en croiser, elles ont souvent les cheveux colorés ou des piercings au visage.

En pleine « balade du soir », les chiffres tombent : 15 000 manifestants pour le mouvement Legida et 20 000 manifestants contre. Ces chiffres seront vite corrigés à la fin de la semaine pour chuter à environ 5 000 manifestants pour Legida. 

On marche sous le bruit des hélicoptères et accompagnés des aboiements des policiers. Des doigts d'honneur sont tendus en direction des habitants à leurs fenêtres, mais au milieu de la foule, on ne retrouve en réalité que des « citoyens préoccupés ». Pas de violence pure ici, les plus radicaux sont plutôt en tête de cortège. Là-bas, la populace s'en prend même aux journalistes reporter d'images - la police ne réagit qu'à partir du moment où la personne se relève et constate que son appareil est cassé. C'est ce que déclare plus tard un journaliste en montrant son objectif rayé et son pantalon déchiré. 

La violence entre les pro et les contre Legida ne surviendra que vers la fin. Alors que le porte-parole de Legida, Jörg Hoyer, intervient encore une fois, une centaine de participants quittent déjà la place. Ils s'exécutent d'un bon pas dans leurs baggys. Là, c'est la police qui court mais elle ne réussit pourtant pas à séparer les manifestants des deux côtés avec juste une rangée de représentants des forces de l'ordre. Sur les voies de tram devant la gare centrale, on assiste finalement à une escalade de violence entre pétards et lancers de bouteilles : deux hommes de Pegida s'en prennent à une femme. Elle est au sol et crie, se servant de ses bras pour se protéger la tête. Ils continueront même pendant l'arrestation. Devant la gare centrale, les deux groupes disparaissent et personne ne sait vraiment où la foule est passée tout à coup. Une demi-heure durant, la tension ne se maintiendra qu'entre les autonomistes et la police - à l'égard du Black Bloc, les représentants des forces de l'ordre agissent bizarrement assez vite. 

Tendre la main aux insatisfaits 

À la fin de cette longue soirée, on s'étonne d'une chose en particulier : comment autant de gens différents peuvent-ils se retrouver dans les idées de Legida ? On pourrait dire que le mouvement est tentaculaire. Car, pour commencer, Legida peut être bon : il tend les « bras » à tous les insatisfaits. Et il le fait très habilement : en adaptant son vocabulaire. Par exemple, alors qu'on parlait au début encore d'un « culte du sentiment de culpabilité lié à la guerre », on parle maintenant du « digne souvenir de notre histoire, non pas de la responsabilité de notre génération ». C'est avec des notions moins compliquées que l'on peut convaincre le plus de gens. 

Et à la tête de la manifestation, on retrouve un Jörg Hoyer qui s'exprime avec une telle violence dans ses mots que l'on ne peut que l'associer au Führer. Mais même avec ce genre d'orateur, il y en a forcément quelques-un qui se laissent prendre : « Nous ne sommes pas xénophobes, mais on ne nous forcera pas à adhérer à la multiculturalité. Nous nous engageons quand notre culture subit des changements. Nous sommes le peuple parce que nous sommes allemands, et c'est une évidence pour nous ». 

« La peur pour l'identité allemande »

Hoyer parle d'un « gouvernement contrôlé par les Américains, et par l'économie » qui monterait les gens du peuple les uns contre les autres. À savoir également : Legida est contre le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership) entre les États-Unis et l'Allemagne. C'est compréhensible, quand l'on ne sait ni en Allemagne ni ailleurs ce que cela signifie réellement. C'est compréhensible, quand l'on ne sait pas ce qu'il se passe aujourd'hui, par exemple, dans l'industrie alimentaire, sur le marché du livre ou dans l'industrie pharmaceutique. Legida bondit sur l'occasion d'un tollé rouge-vert (coalition entre le parti social-démocrate et les Verts, ndlr), et pose immédiatement les premières pierres de la « peur pour l'identité allemande ». 

On peut avoir vraiment peur d'une chose de nos jours : du pouvoir d'une langue - orale ou écrite - qui est arbitraire et à laquelle chacun peut s'identifier. Et qui oublie par là que les paroles et les « valeurs » de Lutz Bachmann (un des fondateurs de Pegida, ndlr) ont été faites à partir de n'importe quoi. Quelqu'un qui, « pour rire », s'amuse à faire une photo avec la « moustache d'Hitler » représente ce que Pegida et Legida cachent sous leur masque : une idéologie raciste, discriminante et xénophobe. 

Retrouvez la première partie de notre reportage sur Legida à Leipzig

Translated from Leipzig: Alle unter einem Legida-Hut