L’église hongroise des « Yuppies »
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debora baptistePrès de 40 000 fidèles de l’église « Hit » se retrouvent chaque semaine pour des célébrations extatiques, retransmises à la télévision et sur le net. L'influence grandissante de cette communauté chrétienne effraie l’Establishment.
Dimanche, 10h00. Il fait froid. C’est pour cette raison que le «Vasárnap» ( le dimanche joyeux ) n’aura pas lieu au stade, mais dans la salle des congrès. Une longue marée humaine se presse jusqu’au parc du « Hit» à Budapest, des croyants des quartiers plus éloignés arrivent grâce au bus affrété spécialement par la confrérie. Dans la cour, le parking se remplit de centaines de voitures. Des drapeaux flottent au vent devant l’immense bâtiment, pur produit d’une architecture post-communiste pas très inspirée. Devant chaque entrée, des agents de sécurité contrôlent le contenu des sacs et les passent au détecteur de métaux. Un groupe de jeunes ecclésiastiques vêtus de sombre, cheveux gominés, discutent dans le foyer. De nombreux stands vendent des CD, des livres, des tee-shirts à l’effigie de Jésus. Des croyants affamés s’agglutinent autour de grandes buvettes dont s’échappent des effluves de café et de petit pain. Plus loin, une file d’attente s’est formée devant les toilettes pour dames. Des dizaines de jeunes femmes se remaquillent devant les miroirs des couloirs. Beaucoup ont une tenue de fête. L’ambiance rappelle un peu celle d’un mariage à la campagne.
Les « Yuppies » au premier rang
Dans la salle qui compte 5 000 places assises, d’immenses affiches accrochées aux murs exhortent les visiteurs à attribuer 1 % de leur revenu – un montant qui, en Hongrie, doit systématiquement être reversé à une organisation caritative – à l’église du « Hit ». Mais nulle part il n’est question de la « dîme du Hit », ces 10 % supplémentaires des revenus que chaque membre vire obligatoirement sur le compte de cette congrégation. Aux premiers rangs sont rangés les « Yuppies », de très riches commerçants, coursiers en bourse aguerris ou jeunes politiciens. Au fonds, les familles et les Roms. De nombreux enfants en bas âge jouent sous la tribune, les gens ont amené des paniers de pique nique, du pain, des biscuits et des coloriages. Le « dimanche joyeux » dure de 10h à 16h – il faut pouvoir occuper tout ce petit monde…
Retransmission « live »
Plusieurs caméras retransmettent la manifestation à la télévision. La tribune, décorée avec des fleurs fraîchement coupées, est drapée d’un tissu bleu ciel. De chaque côté de l’esplanade se tient un chœur. Soudain, le tumulte fait place au silence. Sándor Néméth, le fondateur de cette communauté religieuse, entame les cérémonies du culte. La soixantaine, une stature imposante, il montre une verve inconcevable dans une église de l’Europe de l’Ouest : son prêche emplit la salle de manière quasi offensive.
Comme l’explique le docteur en théologie, Andréas Máté-Tóth, le pasteur Néméth est le « cœur » de la communauté. Cet homme simple a su gagner les foules avec son aura exceptionnelle. En un quart de siècle, son charisme a littéralement « dopé » sa communauté, passée d’une simple assemblée chrétienne à une église influente de quasiment 40 000 fidèles. Dans les années 80, ce regroupement de croyants était interdit en Hongrie et les fidèles se rassemblaient en secret. A l'époque, porté par l'atmosphère de déception entourant le crépuscule de l'ère communiste, leur journal clandestin n'avait cessé d'appeler à la résistance. Une attitude qui a vite attiré la sympathie de la population.
Aujourd’hui, le pasteur Néméth est la star du « dimanche joyeux », il écrit des livres et dirige avec sa femme l’institution religieuse « Saint-Paul » et le collège du « Hit ». L’organisation possède le parc du « Hit » à Budapest avec des salles de congrès, elle a également acheté des parts de la chaîne de télévision hongroise « ATV », possède sa propre chaîne de radio, plusieurs écoles, et est implantée dans 250 communes en Hongrie. Un pouvoir qui fait peur aux églises établies et aux hommes politiques. L’assemblée du « Hit » a fait l’objet de plusieurs contrôles fiscaux ces dernières années et se trouve sous observation constante des services secrets.
Jésus-Christ superstar
Sándor Néméth, perché sur la tribune lit la Bible. Puis il exhorte le public à chanter et à danser. La salle s’anime aux sons d’un mini-orchestre de violons, trompettes, guitares électriques, harpes, batterie et chant. Dans les heures à venir, ballades et chants rythmés vont envahir l’espace. Plusieurs milliers de gens chantent et dansent ensemble : deux pas à gauche, deux pas à droite, suivis d’un claquement dans les mains. Jeunes et vieux sautent, gémissent, sifflent, rient de façon hystérique, crient de manière presque orgasmique, certains tombent à terre. Des jeunes filles qui habituellement « font tapisserie» se déhanchent comme des rock stars, sans entraves. Pendant quelques minutes, des projecteurs balayent la salle, étoiles de lumières sur le ciel de tissu de la tribune; la musique se fait plus douce. Au sein de l’assistance, les gens échangent des poignées de main avec leurs voisins et se serrent dans les bras. Plusieurs hommes passent dans les rangs avec des corbeilles et ramassent la quête, alors que le public entonne des actions de louanges. Vraiment « joyeux », ce «dimanche.»
Translated from Die ungarische Yuppiekirche