L'échec : moteur de l'entrepreneuriat
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Anaïs DE VITALa peur de l'échec est un des plus grands freins à la création d'entreprise en Europe, et empêche beaucoup de jeunes de se lancer dans un projet. Fail2Succeed s'attaque au problème pour favoriser l'entrepreneuriat en Europe. Doit-on échouer pour réussir ? Nous avons posé la question à Andrea Gerosa, fondateur de ThinkYoung.
cafébabel : En permettant aux jeunes d'avoir moins peur de l'échec lorsqu'ils créent leur entreprise, quelle influence pensez-vous avoir ?
Andrea Gerosa : Fail2Succeed (qui signifie échouer pour réussir [ndt]) est un projet de ThinkYoung, une organisation que j'ai fondée pour rendre le monde un peu moins hostile pour la jeunesse. À court terme, on pourrait permettre à de nombreux jeunes de devenir chefs d'entreprise, surtout en ces temps de crise où beaucoup y pensent mais ont peur de franchir le pas. Car s'ils font faillite, il y a six mois très désagréables qui suivent : les banques et les créanciers appellent régulièrement, on cesse d'aller au travail, et les problèmes psychologiques arrivent. Parfois, les gens se mettent à boire, ou se brouillent avec leur famille... C'est une longue descente aux enfers et l'idée est de l'écourter le plus possible.
À long terme, si on pouvait commencer à avoir une influence sur la culture de l'entreprise, alors on favoriserait l'innovation. Le problème en Europe, c'est que nos entreprises n'innovent plus parce qu'elles ne prennent plus de risque.
cafébabel : Votre projet met en avant l'idée que la réussite passe forcément par l'échec. Est-ce qu'échouer augmente vraiment les chances de réussir ?
Andrea Gerosa : Oui, bien sûr ! Et c'est comme ça pour tout dans la vie. Si vous passez cinq ans à faire de la recherche sur le cancer et que vous échouez, personne ne vous jugera pour ça. Au moins, vous aurez essayé. C'est pareil quand on se lance dans les nouvelles technologies. Mais accepter d'échouer quand on entreprend un projet n'est pas chose commune en Europe. Pourtant, dans la vie de tous les jours, on échoue et on se relève.
cafébabel : En quoi la mentalité aux États-Unis diffère de celle en Europe ?
Andrea Gerosa : Là-bas, on n'a pas peur de prendre des risques. Si on crée une entreprise et qu'on fait faillite, l'entretien d'embauche suivant se passera bien parce que cet échec sera valorisé, alors qu'en Europe on veut le cacher et surtout ne pas le mettre sur le CV.
Si on fait faillite outre-Atlantique, on a plus de chances d'obtenir un poste chez Google ou Apple, alors qu'en Europe, ce genre d'opportunité ne se présente pas vraiment. Ici, le métier est d'avantage lié à une réussite familiale, ou sociale, et non une simple recherche de profit, ou de réussite personnelle.
cafébabel : Vous venez du Nord de l'Italie, région très dynamique qui a inspiré tes projets. Pensez-vous que l'entrepreneuriat est une question culturelle ?
Andrea Gerosa : Je pense que la volonté d'entreprendre est liée à la culture. En Europe et surtout dans le sud de l'Europe, les médias ont une forte influence sur la population. Et en lisant les journaux espagnols, italiens ou grecs, les quinze premières pages parlent de politique. Il paraît donc naturel que les gens se dirigent plus vers la politique que vers l'entreprenariat. C'est difficile de devenir joueur de foot si on n'a jamais vu de match de sa vie. C'est comme faire de l'escalade pour la première fois sans avoir vu personne pratiquer, être devant une montagne et entendre « vas-y, escalade » !
C'est la raison pour laquelle nos stages d'été ne sont pris en charge que par des intervenants professionnels et non par des professeurs. C'est loin d'être le cas à l'université, ce que je ne comprends pas. On devrait donner plus de visibilité au travail qu'effectuent les entrepreneurs quand ils créent une entreprise, des emplois, quand ils innovent et améliorent notre quotidien.
cafébabel : Est-ce que les jeunes commencent à changer de comportement envers l'entreprenariat ?
Andrea Gerosa : Ces quatre dernières années, les gens ont commencé à voir la création d'entreprise comme une opportunité, comme un moyen de sortir du chômage. On commence aussi à percevoir les chefs d'entreprise comme des modèles de réussite.
Quand Steve Jobs est mort, les médias ont beaucoup parlé de sa vie et les gens ont commencé à voir le chef d'entreprise de manière plus positive. Une grande partie des jeunes générations a aussi été influencée par l'apparition de Facebook. L'histoire de Mark Zuckerberg a sans doute participé à un regain d'intérêt pour l'entrepreneuriat.
cafébabel : Quelle mission Fail2Succeed s'est-elle donnée ?
Andrea Gerosa : La première étape de notre travail était de faire des recherches pour découvrir ce que pensent les jeunes de l'échec, pourquoi en ont-ils peur et à quoi cela est-il dû. Nous sommes en train de préparer un documentaire sur six portraits de jeunes entrepreneurs qui ont fait face à l'échec et qui ont réussi à s'en sortir. Le but est de montrer aux jeunes qu'il est possible de tout recommencer et de réussir. Nous avons choisi le documentaire car un film est plus facile à diffuser, à partager et à trouver sur Internet qu'une publication écrite.
Documentaire de Fail2Succeed sur l'entrepreneuriat et une certaine stratégie de l'échec.
La dernière partie du projet consiste à proposer de nouvelles mesures aux institutions européennes, afin de changer les lois sur la faillite et l'insolvabilité pour les startups, les PME et les multinationales.
Nous souhaitons aussi proposer des mesures concernant le délai imposé avant de créer à nouveau une entreprise, qui varie en Europe selon les pays. La dernière mesure concernerait le remboursement des créanciers, dont le montant serait mieux déterminé avant d'entreprendre.
cafébabel : À l'instar de cafébabel, vous vous adressez aux jeunes. Comment cela influence vos stratégies de communication et que pensez-vous de la communication à l'échelle européenne ?
Andrea Gerosa : Nous nous concentrons principalement sur Internet et les réseaux sociaux. Ce qui est positif et en même temps problématique aujourd'hui, c'est que tous les cinq ans environ, une nouvelle technologie émerge. Il faut être capable de s'y adapter. Notre équipe chargée de la communication vit un vrai calvaire.
Concernant l'Europe, je n'irai pas jusqu'à dire que le continent a tout à apprendre de nos projets, mais c'est vrai que la communication n'est pas leur fort. Une bonne communication nécessite d'être à l'écoute, et jusque là, l'Union européenne se montre plus bavarde. J'insisterai aussi sur le fait que la bureaucratie en place à Bruxelles reste dans sa tour d'ivoire. Ils ne prennent pas l'initiative d'aller par exemple dans le sud de l'Espagne écouter les plaintes des gens. Je crois qu'ils devraient prendre ces initiatives, parce qu'ils ont beaucoup de compétences, et les moyens de les utiliser.
Cet article fait partie d'un dossier spécial consacré aux jeunes entrepreneurs en Europe et édité par la rédaction. Retrouvez bientôt tous les articles à la Une du magazine.
Translated from Fail2Succeed: changing european attitudes to entrepreneurship