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Le voyage forcé des Rroms de Saint-Denis : chronique d'un manège politique

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La Parisienne

Après avoir été expulsés du plus ancien campement français, 150 Rroms subissent l’acharnement d’une politique d’expulsion tudesque. Contraints de bouger, les Gens du voyage sont aussi victimes d’applications juridiques paradoxales. Et ils comptent bien les réfréner. Suivi des Rroms-charettes.

Le voyage forcé des Rroms de Saint-Denis, chronique d'un manège politique Un consortium de personnes âgées est posté en rang d’Oignon sur un parapet tandis que deux gamines s’abreuvent à la fontaine d’eau potable. Les hommes et femmes les plus hardis s’échinent à monter tentes et abris de fortune pour pallier à la menace d’un ciel orageux. Ce soir, peut-être que les Rroms pourront enfin dormir tranquilles…

« Nettoyage ethnique, pogroms et épuration »

Désormais, c’est carrément sur le parvis d’une l’Eglise de Saint-Denis (93) qu’ils tentent de s’installer. N’y voir aucun élan de provocation : les Rroms n’ont plus le choix. Chaque fois qu’ils se donnent la peine de planter une sardine, le bâton blanc des CRS leur somme de circuler. Depuis deux semaines, une trentaine de familles rroms sont contraintes de transbahuter leur matériel ambulant vers une autre destination. Sans avoir le moindre gage de tranquillité.

Haltes aux rafles 2 A mesure d’expulsions, la communauté rroms de Saint-Denis a quasiment fait le tour de la ville. Aujourd’hui, l’espoir de trouver un abri a laissé place à une bourrasque d’indignation qui ne cesse d’attiser la flamme humanitaire de certains médias. Ici et , les interfaces les plus sensibles relayent l’errance de la communauté. Et n’hésitent pas à mettre en exergue des termes prononcés tels que « La chasse aux Rroms » ou « Les Rroms traqués ». Les associations de défense des minorités, dépassent quant à elle les limites de l’information, ravivant des expressions que l’on pensait éculées. Les formules téméraires telles que « nettoyage ethnique », « pogroms » ou « rafle » fleurissent autant sur les blogs que sur les panneaux de manifestations…

L’histoire commence par une surprise

Loin d’eux l’idée de raviver les réminiscences pénibles des conflits révolus. Mais parfois l’outrance interpelle. Et les Rroms cherchent simplement le moyen idoine de sensibiliser quiconque pourra leur intimer des réponses sur ce qui est en train d’advenir. Parce qu’à entendre le courroux des intéressés, c’est bien d’une incompréhension dont il s’agit. Les Rroms cherchent encore le bien-fondé des expulsions systématiques perpétrées par les pouvoirs publics.

A la pelleteuse L’histoire commence par une surprise. A l’aube du 6 juillet dernier, la préfecture de Paris a décidé de démanteler définitivement l’espace de vie qu’ils s’étaient procuré. Depuis dix ans, 150 habitants dont 28 enfants dormaient dans la frêle retraite d’une caravane, à proximité de la Seine, au sein du célèbre campement du Hanul. Cet immense caravansérail, souvent assimilé aux basses représentations des bidonvilles, était ni plus ni moins que le plus ancien baraquement de Rroms en France. Mais, au-delà de la symbolique, ce sont dix ans de vie défrichés à la pelleteuse. « La police est arrivée à l’aube. Nous avons été soulevés et malmenés. Après nous être fait expulsés, une pelleteuse est passée entre les habitations pour déblayer le terrain » décrit Saimir Mile, président de l’association « La voix des Rroms ». La centaine d’habitants regardent, aussi impuissants que médusés, leurs anciennes habitations ployer sous les coups de godets.

Un vaudeville politique

Du jour même jusqu’à aujourd’hui, les anciens résidents du Hanul ont cherché à comprendre ce qu’il leur arrivait. Soutenus par diverses associations telles que Parada ou la MRAP, ils ont commencé par solliciter la mansuétude de la mairie communiste de Saint-Denis dont l’ancien maire, Patrick Braouzec, avait signé une convention d’occupation en 2003. Que dalle. « C’est dégueulasse. Certains élus de la ville était amis avec les résidents. Ils venaient diner. Ils ont vu grandir les enfants. Le maire a même marié certains d’entre eux ! », se lamente Pierre, un ancien résident du camp. D’autres, comme M. Boti, noyés dans le désarroi, s’abandonnent à la révolte : « votre soutien n'a été qu'une mise en scène politique, pour faire semblant d'aider les pauvres en bons communistes, mais finalement vous nous jetez dans la rue comme des chiens ». Devant le profond mutisme d’une mairie déconfite, les Rroms n’ont pu accéder à un gymnase ou à un quelconque intérieur susceptible de leur prodiguer ne serait-ce qu’une nuit de sursis.

Seulement, doit-on jeter l’anathème sur une institution sclérosée ? Les Rroms le savent bien. L’ordre vient « d’en haut ». L’administration territoriale de Saint-Denis a appliqué stricto sensu « la république irréprochable » prescrite par Nicolas Sarkozy en matière d’immigration et de délinquance. Sous la férule de la personnification de cette politique, le « super flic » Christian Lambert, les Rroms ne sont ici que les proies d’une loi d’airain. Avocat de l’association « La voix des Rroms », Henri Braun n’est d’ailleurs pas dupe : « je pense fortement que la nomination du préfet de Saint-Denis à accélérer l’expulsion ».

L’Etat et le déni de justice

Bref, la préfecture, d’un coup d’ordonnance « brandie par une dame blonde » a décidé de démanteler une communauté qui faisait apparemment ombrage à la collectivité dionysienne. Un texte juridique dont les Rroms contestent, sans relâche, la légalité. « On nous a montré un papier très bizarre, sans en-tête, alors que personne ne nous a prévenu de quoi que ce soit » allègue Saimir Mile. De son côté, Henri Braun confesse qu’ « un recours en justice portant sur l’ordonnance est d’ores et déjà en cours ».

Campement rrom Et, conformément à la loi, il se pourrait bien que l’action spontanée des pouvoirs publics, ouvre le champ à une âpre bataille juridique. En vertu de l’article 1 de la loi Besson, qui dispose que toute personne a droit à une aide de la collectivité, les Rroms peuvent solidement ester en justice. Et par la même, de révoquer vigoureusement les dispositions françaises à l’égard de ses engagements d’intégration. Comme le soulignait récemment la Ligue des Droits de l’Homme dans un communiqué, « plus de dix ans après l'adoption d'une loi imposant aux communes la réalisation d'aires d'accueil et de stationnement pour les Gens du voyage, à peine la moitié des places prévues sur toute la France sont aujourd'hui ouvertes ».

Même les Rroms ont des racines

Ce « fait-divers » montre aussi comment un cas isolé peut raviver l’incurie de tout un système politique. En désintégrant un camp dans lequel plus de la moitié des résidents sont nés en France, ce sont ses propres compatriotes que l’Etat discrimine. A ce titre, Henri Braun martèle : « cela pose un véritable problème de chasser les gens. Je constate qu’il y a un acharnement. »

Alors après avoir ostracisé les dispositions de justice, bafoué les vertus sociales et galvaudé les valeurs morales, le gouvernement, de l’aveu d’un avocat, aura fort à faire : « Les Rroms vont rester dans le coin. Les enfants sont scolarisés à Saint-Denis. Ils sont installés depuis dix ans sur le terrain. Je le dis clairement, ils ne bougeront pas. ». Pas loin, du moins...

Photos : Une : Mkorchia/Flickr, Halte aux rafles par Philippe Leroyer/Flickr, Pelleteuse par Vincent Laine/Flickr et Campement par Dumplife

Story by

Matthieu Amaré

Je viens du sud de la France. J'aime les traditions. Mon père a été traumatisé par Séville 82 contre les Allemands au foot. J'ai du mal avec les Anglais au rugby. J'adore le jambon-beurre. Je n'ai jamais fait Erasmus. Autant vous dire que c'était mal barré. Et pourtant, je suis rédacteur en chef du meilleur magazine sur l'Europe du monde.