Le vin moldave, le business et la survie
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Si Mikhaël, 26 ans, soigne amoureusement ses vignes, c’est aussi dans l’espoir de cultiver la bosse des affaires. Comme une majorité de ses compatriotes.
Comme chaque premier week-end d’octobre, le Festival du Vin a envahi Chisinau, la capitale moldave. Des célébrations éthyliques qui figurent parmi les fêtes les plus importantes de ce petit Etat, coincé entre l’Ukraine et la Roumanie. Car, les Moldaves eux-mêmes le disent souvent : leur pays n’a qu’une richesse, les vignes. Selon l’agence Moldovavin, le vin représenterait près de 20 % du PIB du pays et un tiers des exportations.
Contrôleur qualité et directeur marketing de la maison de production ‘Lion Gri’, Mikhaël se doit d’être présent sur la place centrale de Chisinau. Sous un large auvent à l’entrée protégée par des petits lions, ce jeune homme de 26 ans aux larges épaules et au sourire ravi accueille les intéressés et les curieux. Ce week-end est l’occasion pour lui de tisser des contacts, de représenter sa maison, de vendre des bouteilles et, surtout, de faire un peu la fête.
Couper le robinet vinicole
Mais cette année, l’évènement est un peu assombri par les récentes décisions russes d’interdire les importations de vin moldave et géorgien. Le motif officiel soulevé par les autorités sanitaires russes ? La découverte de traces de pesticides non autorisés dans le précieux breuvage.
« La décision russe a mis les entreprises vinicoles moldaves dans une situation très délicate. Il nous faut verser des salaires, rembourser des crédits, payer des intérêts et des impôts », déclarait en avril dernier le président de l'Union des exportateurs de vins moldaves, Gheorghe Kozub. Chisinau exportait ainsi 86 % de sa production vers son grand voisin et ex-frère soviétique. A cause de cet embargo russe et de facteurs conjoncturels, tels que l'augmentation des prix du gaz importés de Russie, le gouvernement moldave a revu à la baisse ses prévisions de croissance économique cette année : 4 %, contre 6 % ces dernières années.
La maison de production où travaille Mikhaël, avec ses 1600 hectares et ses wagons entiers de tonneaux de vin qui partent chaque semaine à l’étranger, souffre aussi de cette décision purement politique. Incarnation de la nouvelle stratégie de Vladimir Poutine qui consiste à tout couper que ce soit le gaz ou l’exportation des produits alimentaires, l’interdiction des importations écœure Andreï.
Prudent, « on ne parle pas de politique à l’extérieur» dit-il, il finit par lâcher tristement « les Russes font chier. Ils sont fous, fous, fous. » Pour autant, Mikhaël admet ne pas être réellement passionné par le vin : ce qu’il aime, c’est le « business ». D’un large sourire, il explique que les affaires l’excitent et que « le commerce lui donne de l’adrénaline. »
Malheureusement, son salaire ne suffit pas à le faire vivre lui et sa copine Diana. Alors comme tout le monde ici, il se débrouille comme il peut pour améliorer l’ordinaire.
Le business
Fonceur et avec une bonne dose de culot, il s’est spécialisé depuis quelque temps dans la mise en relation de pépiniéristes français et d’entreprises russes et ukrainiennes. Pour le moment, il n’a conclu qu’une vente mais qui porte sur des milliers de greffes de pommiers et de noyers. Patiemment, Mikhaël attend son tour pour monter sa propre entreprise, car selon lui, « le marché moldave n’est pas comme le marché canadien : si quelqu’un entre, un autre doit sortir. »
Grâce à sa double casquette, Mikhaël vit plutôt bien : il est propriétaire d’un appartement non loin du centre de Chisinau et possède une belle Toyota. Mais il continue tout de même à limiter ses dépenses et sort que rarement. Son maître mot : le travail. Mikhaël sait qu’il a de la chance par rapport aux jeunes de son âge, une chance pour laquelle il « s’est battu sans faillir, » confie-t-il. « A 22 ans, mon père m’a dit de me débrouiller. C’est pour ça que je m’en suis sorti. Si tu veux réussir ici, tu peux », ajoute-t-il. « Contrairement aux Ukrainiens qui ont dépassé l’état de survie au jour le jour, les Moldaves ne peuvent pas, pour le moment, penser à autre chose qu’aux besoins primaires : se loger et se nourrir. »
Blackout
Malgré ses difficultés matérielles, Mikhaël aime son pays et s’attriste du départ des jeunes à l’étranger. Il ajoute sans emphase, « je préfère vivre ici qu’ailleurs. J’ai mes amis, ma famille et c’est mon pays. Et puis, j’ai vu ce que c’était la France, il n’y a pas d’ambiance dans la rue, même le soir de Noël. C’est très individualiste et c’est dur .» Pour le moment, Mikhaël avoue ne pas trop penser à l’avenir. « Pour le moment, on a trop de préoccupations au quotidien pour s’occuper du futur. On a souvent l’impression d’être coupé de tout ici ; comme si on était dans le noir. On n’a pas de rêve, c’est peut-être triste mais c’est comme ça. »
Quelques clients américains attendent ses conseils près des bouteilles de Cabernet Sauvignon et de Chardonnay exposées dans un coin. En un clin d’œil, il retrouve le sourire qui s’était effacé de son visage depuis quelques instants. La vie continue et puis, ce week-end, c’est la fête du vin. Au fond, rien ne pourra la gâcher.
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