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Le tourisme à Budapest : intolérable cruauté

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Après Barcelone, Berlin et Amsterdam, c'est désormais au tour de Budapest d'être victime du tourisme festif. Quand les initatives citoyennes se multiplient en Espagne contre le tourisme de masse, la capitale hongroise ne fait qu'entamer sa lutte contre Airbnb, les gros sabots des étrangers et les EVG. Reportage.

Quand j'ai emménagé dans le 7e arrondissement de Budapest, en 2008, cet endroit était LE bon plan pour les étudiants étrangers. Avec son passé mouvementé, l'ancien quartier juif semblant tout droit sorti d'un autre temps s'était transformé en un coin branché et vivant de la ville. Depuis 2000, ce lieu qui abrite la deuxième plus grande synagogue du monde était devenu un véritable carrefour de cultures et de religions. De plus en plus de juifs hongrois étaient revenus et les blessures de 1944 semblaient guérir lentement.

En face de mon appartement de la Király utca, autrefois somptueuse rue commerçante, de jeunes juifs, artistes et autres hipsters avaient l'habitude de se rencontrer dans le légendaire Sirály Bar. Un peu plus loin se trouve le Szimpla Kert, un bar qui a ouvert ses portes dans un squat, en 2002, avant de devenir rapidement l'une des institutions de la vie nocturne budapestoise. Les gens allaient spontanément à Szimpla pour y boire quelques bières sur des chaises achetées aux puces, discuter avec d'autres étudiants étrangers et profiter d'une atmosphère unique en son genre. Tout y était un peu improvisé, la décoration intérieure était hétéroclite, les façades s'effritaient, on tendait plus vers le bistro miteux que chic. Chacun y trouvait sa place. Le monde à Erzsébetváros, c'est ainsi que s'appelle le 7e arrondissement, trouvait ainsi son propre équilibre.

En 2010, lasse de me faire toujours réveiller par des touristes ivres qui s'amusaient sous ma fenêtre jusqu'au petit matin, j'ai dû faire mes valises. D'autres bars à touristes avaient fait leur apparition dans ma rue, accompagnés de panneaux criards garantissant de l'alcool à prix irrésistible. Je m'y sentais de moins en moins chez moi. 

Hongrois en voie de disparition

Le public underground de Budapest, qui se réunissait dans les ruines de vieilles maisons et dans des arrière-cours délabrées, a peu à peu laissé place au tourisme commercial. Après avoir fait connaître la capitale hongroise aux jeunes touristes, les « Ruin-Bars » sont devenus des incontournables de la ville. Les sites touristiques ainsi que les compagnies aériennes n'hésitent pas à mettre en avant ces bars situés dans des immeubles abandonnés. En 2012, Szimpla a été élu troisième meilleur bar au monde par Lonely Planet. Depuis, l'ancêtre de ces bars particuliers voit régulièrement des queues de plusieurs mètres de long se former devant sa porte. Pourtant, les Hongrois s'aventurent rarement par ici pour boire un verre.

Avec l'arrivée de grand complexes tels que le Gozsdu udvar et ses nombreux bars, clubs et restaurants sur une surface de 12 000 mètres carrés, des rues entières sont dédiées à la restauration des touristes. Entre 10 000 et 20 000 personnes se retrouvent dans le 7ème arrondissement pendant la haute saison. Les gastronomes affirment que ce nouveau haut-lieu de la fête serait fréquenté à 80 % par des touristes. Ils sont la principale source de revenus du quartier. Toutefois, les effets négatifs de ce tourisme de masse ne sont pas négligeables.

Selon le système d'informations touristiques autrichien TourMIS, Budapest a atteint son objectif de 3,3 millions de touristes en 2016. Dans la même période, le 7e arrondissement perdait 1 171 habitants. Depuis le début du tourisme de masse à Budapest, plus de 8 000 habitants ont quitté le quartier juif. Les riverains qui ne pouvaient plus supporter le bruit et le saleté ont vendu leurs biens en dessous de la valeur du marché. Mais certains ont été obligés de rester.

Les personnes âgées vivant là-bas depuis des décennies, elles, n'ont pas les moyens de déménager. C'est le cas de Mari Néni, propriétaire d'un trois pièces dans la Király utca : « Je ne me sens pas en sécurité quand je vais faire des courses. Plusieurs fois, des jeunes sont venus m'ennuyer, ils se déplacent souvent en bande. Malheureusement, les rues ici sont très étroites, donc il est impossible de les éviter », déplore t-elle. Mari Néni ne supporte plus du tout le bruit que font les touristes dans les habitations à proximité : « Ils rentrent tard, sont très bruyants et laissent leurs déchets partout ».

Elle fait particulièrement référence aux touristes qui réservent leur séjour via des sites tels que Airbnb. Parmi les 24 logements de l'immeuble, 15 sont actuellement loués via la plateforme : une entreprise lucrative pour les investisseurs souvent étrangers, mais une situation difficile pour les habitants. Jusqu'à 8 000 hébergements du même genre sont enregistrés sur la version hongroise du site web. Et tous les touristes qui réservent leur séjour grâce au fournisseur n'apparaissent pas dans les chiffres officiels. Il n'est donc pas totalement insensé de parler de quelque 4,5 millions de touristes par an à Budapest.

Beerbike, EVG et strip tease sur le Danube

La ville doit sa grande popularité à ses offres low cost et à sa réputation de « capitale de la fête d'Europe centrale ». Une simple journée dans le centre-ville de Budapest suffit à remarquer son côté très festif. On aperçoit souvent des groupes de 10 à 30 jeunes hommes déguisés en vikings, capitaines ou prisonniers, célébrant un enterrement de vie de garçon.

Dans ce pays, la clientèle peut contacter des agences événementielles spécialisées dans les enterrements de vie de garçon. Balade en bateau sur le Danube avec strip-tease inclu, excursion en « beer bike », tournée des bars, paintball et détente aux thermes historiques font partie des grands classiques. « Une visite de la ville est également possible, assure une employée de l'une des agences en question, mais très peu de personnes en veulent. » Depuis quelques mois, elle accompagne ces groupes d'hommes en excursion. « La plupart d'entre eux veulent boire le plus d'alcool possible, faire connaissance avec de jolies hongroises et dépenser peu d'argent pour leurs soirées », explique la guide. À Budapest, un touriste dépense en moyenne 325 € lors de son séjour. À Prague, par exemple, cela revient à 550 €. 

D'après les responsables du marketing du tourisme et des festivals de BFTK (Budapesti Fesztivál-és Turisztikai Központ), Budapest pourrait encore développer ses capacités touristiques. Avec le slogan « Toujours plus loin », ils s'efforcent de changer l'image de la ville en lui donnant celle d'une destination haut de gamme et gastronomique. Leur objectif sur le long terme : rattraper Prague et Vienne dans la course pour la ville la plus appréciée d'Europe centrale. Avec plus de 5 millions de visiteurs par an, les deux villes sont en tête du classement. 

Pour l'heure, les deux représentants du conseil municipal d'Erzsébetváros, Gábor Devosa et Tibor Kispál, demandent une meilleure régulation des activités touristiques dans le 7e arrondissement. Ils critiquent notamment le retrait, en 2013, de la loi selon laquelle les bars et les clubs devaient obtenir l'approbation des habitants d'un immeuble pour continuer leurs activités après minuit.

Selon Gábor Devosa, les résidents sont abandonnés à leur propre sort, alors que toute la ville profite du tourisme du quartier. Le docteur Kispáls dénonce quant à lui le manque de sécurité à Erzsébetváros : « Aujourd'hui, les dix policiers qui assuraient la sécurité du quartier il y a quelques années ne suffisent plus. Quelques 20 000 touristes se retrouvent ici tous les soirs », regrette t-il.

Vers la fin d'Airbnb ?

Ábel Zsendovits, cofondateur de Szimpla, estime également que le peu d'agents en place est vite débordé : « Ce sont nos propres employés qui surveillent la rue pour le moment », déplore t-il. Devosa et Kispál sont formels : aucun retour en arrière n'est possible en matière de tourisme. Le seul moyen de le contrôler est de rassembler toutes les personnes concernées, que ce soit le gouvernement, l'office du tourisme, la police, les propriétaires de bars et les habitants, pour chercher des solutions ensemble. « Ça ne peut pas continuer », déclare Gábor Devosa.

Face à cette situation, des initiatives citoyennes se sont créées. Ceux qui n'ont pas encore fui Erzsébetváros et aiment le quartier rejoignent le groupe « Pour un Erzsébetváros plus agréable » (Élhetö Erzsébetváros). Le groupe est composé d'habitants qui souhaitent changer les choses. Pour Attila Vajnai, homme politique et membre du groupe, les choses pourraient s'améliorer avec un meilleur contrôle des locations Airbnb.

Avec l'aide des habitants et des « moyens juridiques des pays de l'UE », l'homme politique veut qu'Airbnb et ses semblables ne soient plus autorisés à Budapest. Le but n'est pas d'imposer des amendes pouvant aller jusqu'à 600 000 euros comme à Barcelone, ni de stigmatiser le tourisme en général. Mais à Erzsébetváros, certains préfèrent voir les touristes partir plutôt que leurs voisins.

Translated from Partytourismus in Budapest: Der Aufstand der Nachbarn